Entre Démocratie et Communautarisme ?
La puissance économique de Singapour a été élaborée en partie grâce à un consensus entre le PAP et le peuple. Ensemble ils ont supprimé les différences entre les individus pour réaliser une unité afin de développer l’économie et améliorer le bien être matériel de la population. Ces intérêts collectifs ont su garder la nation unie.
Cependant, cette croissance de richesse et de capital a apporté inévitablement une différenciation parmi la population en ce qui concerne le niveau et le mode de vie. D’où un surgissement de l’individualisme et du libéralisme qui représente une menace pour l’unité économique. En conséquence, le gouvernement combat ces forces en promouvant et en institutionnalisant une version de l’idéologie communautaire. Cette idéologie doit faire croire à la population de Singapour qu’il existe un héritage traditionnel asiatique. Ils pensent développer ce qu’on pourrait appeler une démocratie communautaire.
Cependant, les promoteurs d’une telle idéologie, à Singapour ou à l’étranger, doivent encore travailler sur ce que serait cette démocratie communautaire. Les conditions nécessaires pour réaliser une démocratie sont vraiment différentes entre un Etat libéral et un Etat communautaire. De plus, les conséquences restent encore inconnues. En effet, en privilégiant les droits individuels ou les droits collectifs, cela va produire des différences significatives dans les décisions gouvernementales au niveau national. Par exemple, dans une idéologie communautaire, les logements publics seront prédominants et le droit conventionnel de propriété n’existe pas. La construction de ce type de logement est donc fortement réduite. Au contraire, dans les Etats libéraux, la protection des droits de propriété marquée par le concept de l’individualisme mène à une augmentation du coup du terrain ce qui minimise la construction de logement public.
Pourtant, certains aspects sont similaires entre une démocratie libérale et une démocratie communautaire. Tout d’abord, pour être une démocratie, une personne doit correspondre à un vote dans le processus électoral institutionnel. De plus, pour arriver à un consensus national qui est une caractéristique du communautarisme, la formation de groupes d’intérêts et l’institutionnalisation d’une relative liberté de presse sont aussi des conditions nécessaires. Sans ces deux institutions, la proclamation de ce consensus considérant les intérêts nationaux est nécessairement, logiquement et substantiellement imparfaite.
Ces trois institutions dont nous avons parlé plus haut (les élections, les groupes d’intérêts et la presse) sont aussi présentes dans les démocraties libérales. Seulement, leur justification est différente du fait que l’on soit dans une démocratie libérale ou dans une démocratie communautaire prônée par le PAP.
A Singapour, il existe des contraintes en ce qui concerne les intérêts de certains groupes de personnes comme les minorités ethniques. En effet, leurs intérêts sont réduits pour faire valoir les problèmes généraux qui concernent la société toute entière.
Il existe aussi des contraintes au niveau de la presse, ce qui engendre un déclin de crédibilité de la presse nationale. Pour se renseigner sur l’actualité de cette cité-Etat, on va plutôt lire les articles des presses étrangères, surtout dans le domaine politique. Ce manque de crédibilité est mauvais pour les intérêts nationaux.
Au niveau de ces différents aspects, le gouvernement du PAP à Singapour est toujours loin d’atteindre les conditions nécessaires pour concrétiser ce projet de démocratie communautaire.
Mais on peut se demander dans quelles mesures Singapour est-il en transition vers cette démocratie communautaire. Singapour est-il nécessairement voué à atteindre cette fin qu’est la démocratie. Plus largement, la téléologie démocratique s’applique-t-elle à Singapour. Autrement dit, la fin ultime de tous les Etats est-elle la démocratie ?
Vers une démocratie ?
On a tendance à considérer la démocratie comme un système supérieur aux autres et surtout que l’on ne peut éviter. Elle est considérée comme le système idéal car elle apporterait suffisamment d’autorité pour maintenir la stabilité du pays tout en renforçant l’égalité et la liberté du peuple. Le célèbre livre de Francis Fukuyama démontre cette convergence inévitable qui mènerait au triomphe de la démocratie libérale et donc à « la fin de l’histoire ». En effet, dans la plupart des pays du monde cette théorie est vérifiée mais Singapour vient contredire cette règle. Dans quelles mesures Singapour serait différent ? Tout d’abord, selon la thèse sur la fin de l’histoire, Singapour aurait du devenir une démocratie libérale puisque ce pays a toutes les conditions nécessaires et les prérequis pour entamer cette évolution. Le succès économique et son développement sont internationalement reconnus, ce qui fait de Singapour un parfait contre-exemple de la théorie de Fukuyama.
Singapour a en effet surpassé tous les autres nouveaux pays industrialisés d’Asie. Il ne faut pas oublier que cette cité Etat possède le plus haut PIB au monde avec une croissance de 9% par an.
Pourtant, malgré cet excellent développement économique et social ainsi que son ouverture internationale très libre, Singapour reste tout de même un Etat autoritaire. Pour certains chercheurs, Singapour possède toutes les formes d’une démocratie mais la réalité est telle que ce pays reste une dictature. D’autres, plus optimistes, notent que Singapour est dans tous les domaines le pays le plus avancé de la région après le Japon.
Singapour est aussi un contre exemple de cette téléologie démocratique parce que non seulement elle n’est pas devenue une démocratie libérale mais surtout elle ne montre aucun signe qui pourrait nous amener à penser qu’elle en deviendra une dans le futur.
Bien que Singapour soit certainement un Etat autoritaire, on ne parlera pas de dictature mais plutôt d’un Etat hégémonique, c’est-à-dire que cet Etat n’est pas simplement basé sur la coercition mais aussi sur le consensus. En effet, les politiques du PAP sont davantage basées sur l’hégémonie que sur la coercition ce qui lui permet de faire passer des projets politiques sans un engagement politique comprenant des coûts politiques comme on peut le voir dans les Etats libéraux.
Singapour est constamment placée dans les cinq pays les plus stables politiquement et son régime est décrit comme étant probablement destiné à durer dans le temps précisément parce que le PAP est plus hégémonique qu’autoritaire. Autrement dit, la fin de l’histoire ou le triomphe de la démocratie libérale n’est pas une perspective en vue à Singapour.