La route vers l’indépendance

 

À partir de 1955, le pouvoir colonial opte pour une stratégie beaucoup plus conciliante. L’état d’urgence ainsi que l’interdiction du PCM sont maintenus, mais l’Angleterre commence à montrer des signes d’ouverture. Au cours de cette année auront lieu les premières élections Singapouriennes. Bien que le nouveau gouvernement soit encore redevable face au gouverneur général anglais, qui conserve un droit de veto sur l’ensemble des décisions prises, l’élection d’un premier pouvoir civil responsable calme les tensions à Singapour.

 

 

Lors des élections de l955, cinq partis se font compétition, le Parti Progressiste, le Parti Démocrate (PD), l’Alliance UMNO-MCA (Malayan Chine Association) le Labor Front ainsi que le Parti d’Action Populaire (PAP).

 

  • Le Parti Progressiste, très près des britanniques, représentait la classe moyenne anglophone.
  • Le Parti Conservateur plus à droite, ne réclamait pas l’indépendance.
  • Le Parti Démocrate, se situant aussi à droite de l’échiquier politique, représentait les intérêts des citoyens les plus riches de l’île.
  • L’Alliance UMNO-MCA, groupe conservateur très près des Britanniques, était ouvertement anti-communiste.
  • Le Labor Front ainsi que le PAP étaient tous deux de gauche. Formés d’anciens membres du PCM, moins radicaux, ces partis se montraient plus favorable au socialisme qu’au communisme.

Les premières élections seront remportées par le Labor Front et son chef David Marshal. Ce premier mandat de 4 ans est marqué par l’agitation sociale instiguée par la mouvance communiste ainsi que par l’expression du « chauvinisme pan-chinois». Pouvoir symbolique considérable, le gouvernement tient bon. On se souviendra du gouvernement de Marshal pour sa Politique Linguistique. Cette politique coule les bases du multiculturalisme qui caractérise encore Singapour aujourd’hui. Dans un effort visant à diminuer les frictions entre les différentes ethnies cohabitant sur l’île, cette mesure consacre le malais comme langue nationale, mais reconnait aussi le statut officiel de trois autres langues : le chinois, le tamoul et l’anglais.

 

 

Le véritable point tournant vers l’indépendance Singapourienne aura lieu en 1959, alors que pour la première fois, les élections permettront d’élire un gouvernement jouissant d’une autonomie interne complète[1]. À cette époque, Singapour est considéré comme un pays du tiers monde. Son Produit Intérieur Brut, per capita, se situe à 443 US$. Au cours de ces élections historiques, le PAP et son leader Lee Kuan Yew ravissent le pouvoir avec une victoire décisive. Le PAP remporte 43 des 51 sièges disponibles[2]. Issu d’un parti à forte tendance communiste, lui-même anticolonialiste, Lee saura tirer profit des diverses tendances qui cohabitent à Singapour. Tout en marginalisant les partisans d’un communiste plus radicale au sein du PAP, son leadership permet de mettre sur pied un impressionnant système d’État providence qui s’appuie sur de généreuses politiques sociales. À l’externe, Lee Kuan Yew développe un système très libéral basé sur le commerce. Lee est cependant conscient des limites à l’intérieur desquelles l’économie de Singapour se trouve confinée. Sa situation d’île, bien que surpeuplée, limite naturellement son marché interne. Lee est aussi conscient que tôt ou tard, la question d’approvisionnement en ressources naturelles devra être réglée de manière permanente[3]. Dans cet esprit qu’à l’occasion de la rupture définitive avec le pouvoir colonial, Lee souhaite que son « petit » pays en profite pour se fédérer avec la Malaisie », dans une union qui inclurait aussi Sabah, Sarawak et Brunei[4].

 

1960-1965 : Le rêve de La Grande Malaisie

Tout comme le PAP, l’Angleterre est favorable à l’idée de l’intégration de Singapour au projet de fédération de La Grande Malaisie. La Couronne met au clair que l’indépendance ne pourrait être conférée tant que des mesures garantissant l’accommodation des différentes minorités ethniques au sein de cette nouvelle structure ne seraient adoptées. Loin d’être guidée par des considérations altruistes, l’Angleterre ne cherche qu’à s’assurer qu’après son départ, le pays n’entre pas en guerre civile. Une telle situation mettrait grandement en péril ses nombreux investissements sur la péninsule.
L’intégration de Singapour à La Grande Malaisie sous-entend une modification majeure de l’équilibre ethnique dans région. En tenant compte de son poids relatif, l’inclusion de Singapour ferait passer le nombre de sièges alloués à la minorité chinoise à la chambre des représentant à 22, contre 104 pour les malais, 12 pour Sarawak et 7 pour Sabah. Cette situation inquiète grandement la minorité indienne, qui bénéficie traditionnellement du contrôle politique en Malaisie. En menaçant le pouvoir politique de cette dernière, l’ajout de deux millions de nouveaux chinois en provenance de Singapour risque de faire échouer le projet. Cependant, en échange du maintien d’un plus grand niveau d’autonomie accordé à Singapour dans le domaine de l’éducation et du travail, l’île accepte de diminuer sa représentation à 15 sièges. Les résidents de Singapour consentent aussi à limiter leur influence électorale. Ils acceptent de ne pouvoir voter et de se présenter aux élections fédérales, que sur le territoire de Singapour.
Pour les Singapouriens, les enjeux se situent surtout du côté de la répartition de la richesse. L’asymétrie entre le développement économique de Singapour et celui de Sabah, Sarawak et de Brunei est évidente. Singapour craint que son adhésion à la fédération ne serve qu’à financer le retard économique de ces régions. Ultimement, Singapour réussira à se négocier un droit lui permettant de collecter et d’administrer ses propres taxes, dont 40% devront être remis au gouvernement central de Kuala Lumpur.
En 1962, Lee Kuan Yew soumet son projet d’intégration à un référendum populaire. Suite à une victoire à plus de 70%, le 31 août 1963, la Fédération de Malaisie voit le jour. La lune de miel n’est cependant que de courte durée. Le PAP, qui caressait le rêve de pouvoir s’affirmer comme représentant de la minorité chinoise malaise, espérait faire une percée électorale au sein de l’entité nouvellement créée. Les élections de 1964 marginaliseront cependant le PAP, les chinois péninsulaires ayant préféré rester fidèles à l’Alliance. À peine un an après la création de la Fédération, une logique xénophobe commence à se développer et prend de plus en plus de place dans les débats politiques. Les frictions entre minorités deviennent plus fréquentes et donnent parfois lieu à des dérapages. En juillet 1964, une série d’émeutes raciales éclate à Singapour. 36 personnes sont tués et 556 blessées. En août 1965, face à la montée des conflits, Singapour se retire et scelle le sort du rêve de La Grande Malaisie. Suite à ces événements, Lee Kuan Yew se retrouve aux commandes d’un nouvel état pleinement indépendant, protégé uniquement par la présence militaire anglaise, qui ne quittera l’ile qu’en 1971.