La lutte contre le terrorisme

 

Depuis les attentats du 11 septembre, Singapour est entré dans une nouvelle ère de sécurité.  Impliquant un ennemi apatride, la lutte au terrorisme ne se limite pas à un pays ou à une région : elle se déploie aux quatre coins du monde.  Dans la foulée du déclanchement de cette guerre globale, l’Asie du Sud-Est est identifiée par Washington comme le deuxième front en importance dans cette lutte.  Singapour  n’hésite pas à affirmer son « soutien sans réserve à la lutte contre le terrorisme et à mettre à la disposition de la flotte de guerre américaine ses installations d’entretien et de ravitaillement[4] ».

 

 

Les craintes formulées par la Maison Blanche ne tardent pas à se matérialiser.  De décembre 2001 à août 2002, la police singapourienne procède au démantèlement de cellules locales affiliées au groupe Jemaah Islamiyah (JI), organisation terroriste associée à Al-Qaïda.  Le JI forme un groupe dissident du mouvement Darul Islam indonésien, formé par d’anciens membres du Darul Islam, basé en Malaisie. Bien que les effectifs réels du groupe demeurent inconnus, on estime qu’il compte de 60 à 80 membres[5].  La menace est prise au sérieux.  Une attaque terroriste dans l’un des plus importants centres nerveux financiers et commerciaux de l’Asie du Sud-Est, où cohabitent plus de 6000 centres régionaux de multinationales, pourrait avoir des conséquences dévastatrices sur l’économie de l’île, voire l’Asie du Sud-Est en entier. Singapour ne ménage aucun effort afin de se prémunir contre d’éventuels attentats.  L’État met premièrement en place « un dispositif global de protection des 685 km2 de l’île et de ses abords. Car, explique un expert occidental, une poignée d’hommes armés de missiles sol-air pourrait prendre pour cible un avion au décollage ou à l’atterrissage, ou piéger un des millions de conteneurs déchargés dans le port, où l’alerte est maximale.[6] »  Au niveau régional, Singapour saisit l’urgence d’entrer dans une phase de coopération multilatérale avec l’Indonésie et les Philippines, souvent pointés du doigt comme étant de véritables camps d’entraînement d’Al Qu’aida.  Mais, au-delà de la logique sécuritaire traditionnelle, la stratégie de Singapour passe par une redéfinition du multiculturalisme qui caractérise le tissu social de sa société.

Avec une population à 15% musulmane, la plus grande préoccupation des autorités singapouriennes se situe au niveau des risques d’infiltration de cette communauté par des groupes extrémistes moyen-orientaux[7].  Au cœur de cette guerre asymétrique, où l’ennemi ne peut être uniquement considéré en temps que menace extérieure, Singapour se lance dans une guerre idéologique visant à conquérir le cœur et l’esprit du peuple.  Différentes initiatives voient le jour.

Le gouvernement établit d’abord des « Inter-Raciale Confiance Circles » (IRCC), met en œuvre le « Communautarian engagment Program » et donne une importance nouvelle au Programme National d’Éducation. Plus particulièrement, les IRCC, sont créés afin de promouvoir l’harmonie intercommunautaire ainsi que le « multiracialisme », variante singapourienne du multiculturalisme.  Ces cercles visent aussi à accroître la compréhension et la communication entre les différents groupes raciaux.  Les représentants du gouvernement espèrent que les IRCC permettront  de bâtir des liens de confiance, au niveau personnel, entre les dirigeants religieux et communautaires de Singapour.  Cette confiance permettra de traiter les problèmes raciaux et religieux plus efficacement sur le terrain. Comme l’a noté le Premier Ministre Goh Chok Tong, «l’objectif principal est de se débarrasser, à travers le dialogue, de nos peurs irrationnelles, et d’apprendre à mieux connaître les autres[8]

Plus surprenant encore, le gouvernement est d’avis que la responsabilité première de la lutte contre le terrorisme doit être mise entre les mains de la communauté musulmane elle-même.  Face aux limites du gouvernement et des forces de l’ordre, les érudits musulmans et les dirigeants sont le mieux placés pour atteindre la communauté, à travers les mosquées et les madrassas, et à l’immuniser contre les effets pervers et dangereux des enseignements religieux[9].  Les musulmans de Singapour, généralement modérés, font donc partie intégrante de la stratégie  de lutte contre les fausses idéologies de haine diffusées par Al-Qaïda et le JI.