Politique Chapitre 1 : La construction d’un État fort

 

La construction d’un État fort autour du triptyque Richesse-Influence-Contrôle

 

Ville louée pour ses prouesses économiques et son développement rapide, Singapour fascine autant qu’elle interroge. Nul ne peut nier avoir déjà entendu parler de ses lois insolites telles que manger du chewing-gum en public ou encore de ses nombreuses amendes à montant excessifs. Afin de maintenir l’ordre pour le “confort et le bien-être” de sa population, cette ville État n’hésite pas à user de tous les leviers possibles (économique, culturel et la force).

Bon nombre s’accorde à croire que les élites dirigeantes de Singapour ne seront pas en mesure d’arrêter les tendances démocratiques régionales et mondiales étant donné que « le développement socio-économique a traditionnellement produit la libération politique » (Singh, 2011). Mais bien que la démocratisation s’y fasse de manière graduelle, la construction de cet État fort autour du triptyque richesse-influence-contrôle la laisse encore lacunaire.

 

Essor économique et dynamisme

 

Petit joyau de l’économie moderne, Singapour a su dynamiser ses ports port de commerce dès les années 1819, sous l’égide de Sir Stamford Raffles (alors représentant de la Compagnie anglaise des Indes orientales en pleine période coloniale). Plaque tournante du commerce international, elle favorisera le transit de ressources telles que l’étain, le caoutchouc ou encore le pétrole malais et le ravitaillement de navires étrangers.

 

Port de Singapour, aujourd’hui très dynamique

 

En 2019, la cité-état sut tirer partie de la guerre économique sino-américaine et dépassa les Etats-Unis en terme “d’économie la plus compétitive”,  atteignant la note de 84,8/100 contre 83,7. Toute cette effervescence économique conjuguée aux nombreux investissements et capitaux étrangers venant soutenir le secteur financier, il va sans dire que la Ville – Lion prospère. Bien que dépourvue d’arrière pays naturel et de ressources sur son sol, elle s’en est bien sortie et en a fait bénéficier la population.

En effet, le gouvernement a beaucoup investi dans des secteurs à forte demande de main-d’œuvre et dans des secteurs plus spécialisés à plus haute valeur ajoutée – au travers de l’Economic Development Board. Il a de plus résolu la crise du logement des années 70 et le chômage, pourvoyant à tous un travail et des conditions de vie décentes.

Au rang des pays les plus pauvres du tiers-monde dans les années 1950, Singapour affiche aujourd’hui l’un des revenus par habitant les plus élevés au monde (51 880$/ habitant et par an), comparable à celui de la plupart des pays développés dans l’Union européenne (Singh, 2011). Ici, la richesse doit s’accompagner d’une certaine rigueur et d’un contrôle constant pour maintenir des résultats concluants. Singapour ne peut se permettre de flancher économiquement, au risque d’impacter gros sur sa population. Comme l’eut énoncé l’ancien ministre des affaires étrangères Georges Yéo, “« sans travail, nous ne pouvons pas manger. Et si nous ne sommes pas compétitifs sur les marchés mondiaux, nous ne pouvons pas survivre. Par conséquent, les Singapouriens savent que nous ne pouvons pas nous permettre trop de libertés. Sans cet objectif commun, le gouvernement du PAP n’aurait jamais pu rester au pouvoir aussi longtemps ».

 

Dynamiques d’influence et de contrôle à travers l’éducation

 

La mise en exergue des « valeurs asiatiques » constitue une caractéristique importante de la politique singapourienne ; l’harmonie, l’ordre, le respect et le bien-être prenant ainsi le pas sur le droit à la contestation et au débat politiques (Singh, 2011). Considéré comme l’un des meilleurs au monde, le système éducatif singapourien est une “véritable obsession nationale” (Moreno, 2012). Pour permettre l’égalité des chances et d’accès à l’éducation, les élites locales ont investi dans les écoles publiques, s’assurant par la même occasion un contrôle centralisé de la politique éducative, de la régulation et du financement. L’anglais, les maths et les sciences ont été privilégiées pour servir à l’économie. Parallèlement, un ensemble de rituels quotidiens comme la récitation du serment d’allégeance ou la levée de drapeau concouraient à la cohésion sociale et l’affirmation d’une identité nationale.

 

Manuel de mathématiques en français, inspiré de la méthode Singapourienne. Comme quoi, la pédagogie de la cité-Etat s’exporte!

 

Ainsi, le parti conservateur au pouvoir s’est assuré que la paix politique et sociale soit maintenue en y associant la prospérité économique. Estimant “qu’une fois un niveau de progrès industriel atteint et qu’on dispose d’un capital humain fort, on ne pouvait se permettre de perdre le contrôle (Singh, 2011).

Néanmoins, notons que de nombreuses critiques se font aujourd’hui à l’égard de cette prétendue paix sociale, aux vues des tensions interethniques et des difficultés pour certaines communautés (indiennes et malais) à satisfaire aux exigences élitistes du système.