Enjeux sociaux : Les défis de la société civile singapourienne

A Singapour, la bonne gouvernance est bâtie sur la croissance économique et la cohésion social, le gouvernement se portant garant de la sécurité de la population. La création d’espace indépendant au dialogue et à la contestation populaire est sous cadre étatique, les associations professionnelles et intellectuelles étant sous la coupe du parti dominant PAP. Les  élites politiques font le choix de sacrifier la liberté d’expression, la liberté d’association, les élections pluralistes, ou encore la liberté de la presse sur l’autel de la croissance et du  pouvoir.  Pour l’ancien premier ministre  Lee Kuan Yew, « instaurer une démocratie démocratie  n’aboutirait qu’à un taux élevé de pauvreté, de crimes, de trafic de drogue, d’enfants délinquants, et à une société troublée avec une économie dévastée” (Koh 2004, 169) .

Les associations civiles  sont soumises à la loi sur les associations, dans le chapitre 311 de la jurisprudence de l’État. Elles sont donc systématiquement cooptés et contrôlées par les élites locales (Lee, 2002). Cependant,  on a vu ces dernières années une véritable progression du mouvement civil singapourien grâce à l’usage des réseaux sociaux échappant en partie à la censure étatique et  aux assouplissements de règles par le Parti d’action Populaire PAP (face à son plus mauvais score électoral en 2011 contre  l’opposition (qui avait gagné 40%) depuis son accession au pouvoir en 59 (Wijaya 2012, 65).

 

La lutte pour la fin des châtiments corporels et la peine de mort 

 

La lutte n’est pourtant pas gagnée car les châtiments corporels persistent à l’utilisation. Le contrôle de l’Etat sur la population tient à carreau par crainte d’être soumise à la flagellation ou le canning en cas d’infractions.

 

A Singapour, les coups de canne sont un châtiment corporel légal fréquemment usé selon  les circonstances :  réprimandes judiciaires, domestiques ou encore dans l’éducation des enfants. la limite  légale de 24 coups de bâton pour les adultes et de 10 pour les mineurs – à la même séance. Le ministère de l’éducation (MOE) donne aux écoles la pleine autorité légale pour exercer la responsabilité de la discipline de leurs élève. La bastonnade et le canning sont donc autorisés pour les tuteurs sans possibilités de contestations et plaintes des parents.  Dans le cadre de l’éducation domestique, ces derniers doivent s’entendre avec l’enfant sur la méthode de correction en cas d’écarts de conduite. Si l’enfant refuse d’être touché, alors il sera grondé. Complexe et saugrenu n’est-ce pas?

Parallèlement, la peine de mort y est aussi en vigueur. Il est intéressant de voir sur les annonces de voyages ou le site des ambassades que tout ressortissant parti à Singapour ne pourra être extradé et devra se soumettre complètement au système judiciaire du pays. Un avocat pourra plaider leur cause mais ils purgeront leur peine sur le territoire. Sachant que des infractions mineures en Occident comme mâcher du chewing-gum en ville ou  jeter des détritus sur la chaussée y sont vues comme des fautes graves, il est important de conserver une attitude appropriée en respect des lois établies. Cependant, depuis 2010, plusieurs mouvements se mobilisent contre peine de mort comme l’association Maruah qui a demandé son abrogation à  la tribune des droits de l’Homme des nations Unis, et le groupe bénévole We believe in second chance bénévole qui organise des forums de discussions pour conscientiser la population.

Singapour dispose aussi d’un « Speakers’ Corner », parc où les gens peuvent s’exprimer sur différents sujets. Un poste de police est néanmoins placé à quelques mètres pour avoir l’oeil sur les dires de la population et surtout encadrer le débat car le thème abordé doit être approuvé par le commissariat et ne pas dévier de bord durant l’échange. Tout ce qui touche à la religion ou la politique est vivement déconseillé.

L’homosexualité et ses tabous : entre acceptation populaire et censure étatique

 

Comme on pourrait s’y attendre avec une aussi grande obsession étatique du contrôle, l’homosexualité y est légalement interdite. L’article 377 A du code pénal la condamne  en ces termes « toute personne de sexe masculin qui, en public ou en privé, commet ou encourage à commettre, ou procure ou tente de procurer la commission, par toute personne de sexe masculin, de tout acte de flagrante indécence avec une autre personne de sexe masculin, sera punie d’une peine d’emprisonnement d’une durée pouvant aller jusqu’à deux ans ».Une pétition fut lancée en 2010 par l’avocat George Hwang et le docteur Stuart Koe (gay Fridae.com) mais elle échoua auprès du gouvernement (Wijaya p 67).

Les médias censurent également tout film exposant une sexualité “déviante” (donc non hétérosexuelle) comme  “le fabuleux destin d’Amélie Poulin” aux moins de 21 ans, ou encore une scène de “Star Wars: Episode IX – The Rise of Skywalker” coupée au montage car mettait en scène une vive étreinte suivie d’un baiser entre deux personnages secondaires du film.Cependant, la population semble plus tolérante envers les homosexuels et de nombreux bars gays ouvrent leurs portes comme le Taboo Club et le Dorothy’s ou encore le sauna gay Shogun. La plupart d’entre eux sont situés dans Chinatown.

Bar gay Dorothy’sDepuis 2003, on peut changer de genre légalement  et adopter un enfant s’il a été à notre charge assez longtemps (loi de 2018). Malgré son conservatisme, quelques largesses sont depuis peu permises.

 

La question en suspens des  travailleurs migrants

 

Singapour est une ville reconnue pour sa grande population migratoire, en majorité des travailleurs migrants qui font fonctionner la petite cité-État. Cette situation s’explique par un modèle migratoire qui est à la fois ouvert et limité au sein duquel chaque migrant occupe un rôle très précis en fonction de ses compétences. Il identifie deux groupes de migrants bien spécifiques. En premier lieux, les migrants dit hautement qualifié (Foreign Talents) qui en générale obtiennent des permis de résidence et qui n’ont pas de restriction sur le marché du travail. Le deuxième des migrants dit peu qualifiés (Foreign Workers) qui reçoivent un « work permit » leur permettant de travailler dans les domaines de la construction pour les hommes et comme domestique de maison pour les femmes. C’est cette deuxième catégorie qui répond à la plus grande majorité de la demande d’emplois (Banerd, 2016).

Chaque catégorie de travailleurs se forge alors sa propre identité. Les Foreign talents sont beaucoup plus intégrés que les Foreign workers. En effet, un sondage a montré que la majorité des foreign talents pensaient faire une demande de résidence permanente témoignant ainsi le sentiment d’appartenance plus important de cette catégorie à la population singapourienne. De plus Le cas de Little India parle des rivalités entre les immigrants peu qualifiés principalement en provenance du sous-continent indien (tamoul indiens et bangladeshis) et des populations locales/immigrant qualifiés. Ainsi le conflit social est un marqueur important de la mauvaise intégration des foreign workers dans la société singapourienne. Il existe également une construction genré des travailleurs migrants. Quand on regarde les raisons pour lesquelles les travailleurs migrent, l’homme, responsable de sa famille doit répondre aux besoins de celle-ci. Quand aux femmes, elles se voient comme étant une partie intégrale d’un réseau familial au sein duquel elles assument leur rôle de mère, sœur ou fille, en partant à l’étranger pour aider leur famille. La réaction des singapouriens est également un facteur de l’identité migrante. En effet, leur attitude a un effet sur l’identité des travailleurs migrants, que ce soit de nier, soit d’affirmer certains éléments ou positionnements. Par exemple, la langue est un critère important pour les singapouriens. Le niveau faible d’anglais de certains migrants crée souvent des idées et des perceptions négatives à leur égard, notamment si elle est perçue comme désavantageuse pour une bonne  intégration sociale. Ces travailleurs vivent dans des immeubles bondés et souvent insalubres, comme en témoigne les conditions précaires auxquels ils font face en cette période de covid-19. S’il est vrai que le gouvernement singapourien s’évertue à donner l’accès au logement à tous et à soutenir le peuple, de grosses inégalités sont visibles rien qu’en analysant une part de la population.