Les valeurs asiatiques, le « Soft power » et la collectivité

Les valeurs asiatiques et le « Soft power »

Les discours empruntant les valeurs asiatiques affirment non seulement l’infériorité de la démocratie occidentale mais aussi critiquent leurs profondes inaptitudes à juger et à penser la politique à Singapour. En effet, les dirigeants utilisant ces valeurs considèrent que les représentations que l’Occident fait de Singapour en la considérant comme démocratique ou pseudo-démocratique sont excessivement erronées.

Ces discours vont atteindre un haut degré de légitimité en faveur du gouvernement pour convaincre les citoyens. De plus, ils vont permettre une certaine unité régionale contre l’Occident. La transformation de Singapour est considérée comme un modèle puisque ce pays a réussi à être une alternative à l’idéologie occidentale. Cette trajectoire prise par Singapour va donc pousser les autres nations asiatiques à imiter ce modèle puisqu’ils vont s’identifier à ces valeurs.

Il est vraiment difficile de résister à l’évolution vers la démocratie libérale mais comme nous l’avons vu auparavant, Singapour reste une exception.

Ce qui est surprenant, c’est que Singapour est au premier plan du Débat sur les Valeurs Asiatiques alors que sa superficie est vraiment minime.

Nous allons tenter de développer cette position ironique de la politique étrangère de Singapour en l’intégrant dans le débat sur les Valeurs Asiatiques tout en utilisant le concept de « soft power ».

Comment Singapour va elle conduire sa politique étrangère afin de poursuivre son développement. Le « soft power » permet à Singapour d’atteindre ses objectifs en politique étrangère en utilisant la coopération plutôt que la coercition. Cependant, ce pouvoir est vulnérable lorsqu’il y a des idées divergentes des pratiques et des intentions des dirigeants du pays.

Selon Nye, le « soft power » est un instrument politique caractéristique de la période post-guerre froide. A la base, ce pouvoir s’intégrait dans cet environnement international en permettant une intensification du commerce international, du flux d’information et de l’interdépendance entre les pays. Nye parle du « soft power » en opposition au « hard power » du point de vue militaire et économique. Le « Soft power » est une façon indirecte de conformer la population à ses volontés. Ce pouvoir est basé sur la coopération même si elle est indirectement forcée. En revanche, le « hard power » est une façon coercitive d’obliger les autres à faire ce qu’on veut.

L’avantage d’utiliser le « soft power » plutôt que le « hard power » est que c’est un moyen plus efficace d’empêcher la résistance dans les conflits d’intérêts. Le pouvoir de l’Etat obtient alors plus de légitimité.

 

Trois caractéristiques qui ressortent des propositions de Nye

 

Tout d’abord, le « soft power » a besoin d’une base communautaire en tant qu’idéologie. En effet, il faut que le gouvernement soit crédible et atteigne une certaine cohérence dans sa manière de diriger le pays. Cela va dépendre de l’unité des élites et des masses, d’une coopération dans les affaires politiques internes en ce qui concerne les buts de la politique étrangère.

De plus, dans un environnement international anarchique, le « soft power » présuppose une forte interaction entre les Etats nations.

Enfin, ce pouvoir ne cesse de se légitimer lui-même en promouvant des informations le crédibilisant. Le pouvoir en place va donc soutenir le maintien d’un mode de vie unique, afin de maintenir la stabilité dans le pays.

Les racines du débat sur les valeurs asiatiques de la politique étrangère à Singapour peuvent se trouver dans le contexte de l’après-guerre froide et dans les caractéristiques idéologiques dans la période 1959-1965 lorsque Singapour passe du protectorat britannique, à la fédération malaysienne et finalement à l’indépendance. Ce développement montre la vulnérabilité de ce pays avec un territoire minime, sans ressources naturelles en comparaison des autres pays plus vastes d’Asie du Sud-Est.

Le modèle de développement de Singapour peut être présenté de trois manières. Tout d’abord, la crédibilité des promesses politiques se vérifie notamment dans les programmes incluant l’anti-corruption. De plus, la cohésion de l’Etat Nation, exprimé par la ferme croyance en une menace commune, explique aussi ce bon fonctionnement interne et enfin, la présence de la confiance dans le leadership paternaliste, notamment face à l’implantation de lois très strictes touchant les citoyens dans la vie de tous les jours, et sur les biens communautaires à long terme. A partir de 1959, ces facteurs sont devenus une part importante du débat sur les valeurs asiatiques présentes à Singapour à la fin de la Guerre Froide, en raison du changement de la perception de cette menace. En effet, de nos jours, le menace n’est plus simplement nationale mais internationale donc le gouvernement a plus de moyens pour légitimer son pouvoir.

Plusieurs raisons peuvent expliquer cette émergence du débat sur les valeurs asiatiques dans le contexte spécifique de l’après-guerre Froide.

Déjà, le triomphe du capitalisme et l’effondrement du communisme ont causé une rapide conversion des pays au libéralisme démocratique et capitaliste. Seulement, Singapour subissait la pression internationale et les critiques occidentales en ce qui concerne les droits de l’Homme et le système politique. Cela a eu l’effet contraire puisque ces oppositions ont poussé les dirigeants à faire de Singapour une spécificité politique, en refusant l’intégration complète au capitalisme.

Les Singapouriens se préoccupent aussi du développement de la Chine car cela les toucherait indirectement. Une déstabilisation de la Chine provoquerait la réaction d’une élite militante et réactionnaire provoquant des crises militaires dans les pays qui appartiennent à l’ère d’influence de la Chine, comme Singapour.

Donc, les comportements des élites de Singapour envers les prétentions occidentales et les préoccupations de la stabilité de la Chine sont dus à trois facteurs. Ils sont à la recherche d’une égalité politique avec les pays occidentaux, spécialement avec la prédominance américaine après la fin de la Guerre Froide. La non-conformité envers les valeurs libérales était l’objectif de Singapour qui voulait prouver que son modèle de développement était bon et que l’idéalisme américain n’était pas le bienvenu.

 

La stratégie du « soft power » mise en place à Singapour est décrite dans le tableau suivant

 

Table 1

1. Philosophical value and systemic difference argument

(a) Primacy of communitarianism versus primacy of individualism.

(b) Primacy of order and harmony versus primacy of competitive idealism.

2. Normative governing differences

(a) Which type of government: democratic or authoritarian ?

(b) Which type of democracy: liberal or illiberal ?

(c) Which is the superior economic development formula: mixed state-guided capitalism or classical economic liberalism ?

(d) How large should the role of social discipline be in all-round development : more or less ? Communitarianism versus individualism/polyarchy.

3. Policy-political consequences

(a) Human rights as conditionality or marginality in foreign (and economic) policies ?

(b) Should foreign policy question domestic and regional political legitimacy : ideational incitement to change or maintain inter-state consensus ?

(c) Should value advocacy be a way of putting down geo-economic competitors ?

En conclusion, on peut dire que la politique étrangère de Singapour a été un succès avec la pratique du « soft power ». Cependant, il subsiste certaines limites inhérentes à ce discours singapourien.