Les Philippines: l’arrivée de Duterte au pouvoir et la nouvelle ouverture vers la Chine

Par Inès Descamps

 Dans son livre blanc intitulé La Chine et le monde dans la nouvelle ère publié en 2019, le gouvernement chinois défend l’idée que les grandes puissances se doivent de traiter chaque État de la même manière, peu importe sa taille, sa richesse ou son influence. Il réfute ainsi une configuration anarchique des relations internationales, plaçant les plus faibles à la merci des plus forts. Toutefois, pendant des décennies, le gouvernement chinois n’a pas caché combien il considérait les Philippines comme un « petit pays typique » : lors du Forum régional de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ARF) en 2010, le ministre des affaires étrangères chinois Yang Jiechi n’a pas hésité à affirmer que « la Chine est un grand pays et les autres pays sont de petits pays, c’est un fait »1. Toutefois, depuis l’investiture de Rodrigo Duterte à la tête des Philippines en 2016 et le rapprochement significatif entrepris par ce dernier vers Pékin, la qualification de « petit pays » semble écartée du discours officiel du gouvernement chinois.

La Chine et les Philippines entretiennent depuis des décennies des relations diplomatiques très contrastées, et ce pour diverses raisons. Premièrement, depuis 1951, les Philippines sont officiellement alliées avec les États-Unis. Aux yeux de la Chine, cette alliance relève avant tout d’une stratégie américaine destinée à entraver la croissance de sa puissance : Pékin se montre extrêmement vigilant vis-à-vis des réseaux d’alliance entre les pays sud-est asiatiques et les États-Unis. En outre, les deux pays sont directement impliqués dans les conflits autour de la mer de Chine méridionale, et ce depuis les années 1970. Les deux parties revendiquent, entre autres, la souveraineté d’îles au sein de l’archipel Spratly. Ces tensions sont d’autant plus vives depuis 2010, la présence navale chinoise se faisant de plus en plus oppressante sur les territoires contestés par les deux pays.

C’est dans ce contexte de méfiance vis-à-vis des relations entre Manille-Washington et d’escalade des tensions en mer de Chine méridionale que Rodrigo Duterte est arrivé à la présidence des Philippines le 30 juin 2016. Le début de son mandat marque le début d’une nouvelle ère pour les relations sino-philippines, le tout nouveau président ne cachant pas son orientation prochinoise et anti-américaine dès ses premiers discours officiels. Surtout, à l’occasion de son premier voyage à l’étranger en tant que président, Duterte a préféré la Chine aux États-Unis, et a annoncé « qu’il était « temps de dire au revoir à Washington » »2. Ce virage de la politique étrangère philippine fut reçu avec joie par la Chine, cette dernière y voyant l’opportunité d’éloigner les États-Unis de sa sphère d’influence en Asie du Sud-Est en récupérant dans son giron un des alliés historiques de son rival.

Cette nouvelle orientation prochinoise de la politique étrangère philippine s’est confirmée avec la visite de Xi Jinping à Manille en novembre 2018, première pour un président chinois depuis plus de 13 ans. Au cours de ce séjour, les deux présidents se sont accordés sur la réalisation de projets communs, tel que la BRI, l’exploration pétrolière et gazière, et de nombreux partenariats économiques. La décision la plus marquante de Duterte fut celle de mettre fin à l’accord sur les forces en visites, la VFA, le 11 février 2020. Il s’agit d’un évènement particulièrement symbolique de la nouvelle politique philippine puisque cet accord autorisait les troupes américaines à « se déployer de manière transparente aux Philippines pour faire face à d’éventuelles éventualités, notamment contre la Chine »3.

Cependant, il semble qu’en l’espace d’un an, Duterte ait été contraint de faire volte-face vis-à-vis de sa politique envers la Chine : dans son discours du 23 septembre 2020 à l’Assemblée générale de l’ONU au sujet de différends en mer de Chine méridionale, il affirme que « le jugement de 2016 était « au-delà de tout compromis » »4. La référence au jugement qui invalidait les prétentions de la Chine en mer méridionale tend à illustrer combien la position philippine se durcit vis-à-vis de la puissance chinoise. Ce virage s’explique notamment par le comportement agressif adopté par la Chine en mer de Chine méridionale : entre le début de l’année 2019 et la fin de l’année 2020, Pékin a encerclé Thitu, île de l’archipel Spratly sous contrôle philippin et revendiquée par la Chine. De plus, en avril 2020, cette dernière a déclaré « l’établissement du contrôle administratif sur les îles contestées. »5. En menant une approche agressive vis-à-vis des Philippines en mer de Chine méridionale, Pékin a largement porté atteinte à la crédibilité des politiques prochinoises de Duterte.

C’est pourquoi l’administration Duterte a cherché un second partenaire afin de sortir de sa dépendance à l’égard de la puissance américaine : en se tournant vers le Japon, les Philippines ont trouvé un allié solide, visant lui aussi à contrecarrer l’omniprésence militaire chinoise dans la région indo-pacifique, et notamment en Asie du Sud-Est.

Ainsi, depuis l’arrivée de Duterte au pouvoir, les Philippines se sont largement ouvertes vers la Chine et Manille s’est incontestablement rapprochée de Pékin. Pour autant, les Philippines ne sont pas devenues un nouveau satellite de la puissance chinoise. Au contraire, en s’efforçant de diversifier ses partenariats stratégiques, avec les États-Unis surtout mais récemment aussi avec le Japon, Manille parvient à s’insérer dans la lutte des grandes puissances afin d’en tirer profit sans basculer dans un camp.

1 Voir Yamazaki, Amane, and Suguru Osawa. « Asymmetry Theory and China-Philippines Relations with the South China Sea as a Case », East Asia (Piscataway, N.J.), 1-20. 22 Jun. 2021

2 Voir Grossman, Derek. « China Has Lost the Philippines Despite Duterte’s Best Efforts », The Rand Blog, May 6, 2021.

3 ibid

4 ibid

5 ibid

 

Bibliographie

 

Grossman, Derek. « China Has Lost the Philippines Despite Duterte’s Best Efforts », The Rand Blog, May 6, 2021.

https://www.rand.org/blog/2021/05/china-has-lost-the-philippines-despite-dutertes-best.html

 

Guéraiche, William. 2018. « La géopolitique des Philippines à l’épreuve de Duterte »,

Diplomatie, MARS-AVRIL 2018, No. 91, pp. 64-67

https://www.jstor.org/stable/10.2307/26983129

 

Kurlantzick, Joshua. « Duterte’s Ingratiating Approach to China Has Been a Bust », World Politics Review, June 16, 2021

https://www.cfr.org/article/dutertes-ingratiating-approach-china-has-been-bust

 

Martel, Stéphanie. 2017. « L’Asie du Sud-Est, un espace divisé face à Pékin ? », Diplomatie, janvier – février 2017, No. 84, pp. 54- 57

https://www.jstor.org/stable/10.2307/26982900

 

Yamazaki, Amane, and Suguru Osawa. « Asymmetry Theory and China-Philippines Relations with the South China Sea as a Case », East Asia (Piscataway, N.J.), 1-20. 22 Jun. 2021

https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC8218783/

 

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