Le Viêtnam : grand bénéficiaire de la rivalité sino-américaine

Par Jozef Rivest

Cet article se penche sur les retombées économiques en Asie du Sud-Est générées par les tensions commerciales et géopolitiques entre les États-Unis et la Chine, ainsi que les conséquences de la situation sanitaire dans l’empire du Milieu. Pour ce faire, il prend le cas du Viêtnam pour illustrer le tout.

Source : Asia News Network 2022

Guerre commerciale Sino-Américaine, tensions géopolitiques et Covid-19

Dans cette partie, nous présenterons trois éléments qui sont nécessaires pour contextualiser la situation. La compréhension de ces situations permettra de mieux situer les effets qu’elles ont sur le Viêtnam, et les facteurs qui expliquent en quoi son économie en est affectée.

Premier élément, les tensions commerciales entre Beijing et Washington. Sous la présidence de Donald Trump, les États-Unis et la Chine se sont imposé mutuellement des tarifs sur certains produits provenant de l’autre pays (The Economist 2018a). En d’autres termes, les biens provenant de Chine vers les États-Unis ont été soumis à une hausse des taxes pour leur « entrer » sur le territoire américain. L’objectif est de décourager les entreprises américaines à acheter des produits faits en Chine en haussant le coût de leur importation, et par le fait même celui de la production de ces entreprises. De la même façon de la part de la Chine. Les impacts de la rivalité ne se limitent pas seulement au domaine commercial.

La deuxième concerne les tensions géopolitiques entre ces deux puissances en Asie. L’enjeu de Taïwan fait craindre aux compagnies situées en Chine de se retrouver coincé dans un conflit (Wakabayashi et Mickle 2022). Une telle situation risquerait de déstabiliser leur chaîne d’approvisionnement, compte tenu de la grande quantité de biens produits dans ce pays (Wakabayashi et Mickle 2022). Le dernier élément relève plutôt de la situation interne de la Chine.

Sa stratégie pour lutter contre le coronavirus consistait en la mise en place de confinement stricte de la population dès l’apparition de quelques cas (The Economist 2022a). Cette approche a eu d’importantes conséquences sur la production étant donné que les gens ont été confinés et ne pouvaient pas aller travailler (The Economist 2022a). Au mois de novembre 2022, des manifestations ont éclaté en Chine contre cette politique (Williams 2022 ; Freedom House 2022 ; Buckley et al. 2022). Ces soulèvements ont réussi à faire lever une bonne partie des restrictions sanitaires qui étaient en place. Toutefois, la situation risque d’être difficile dans les prochains mois ce qui risque d’avoir des effets négatifs sur la croissance économique du pays. Selon The Economist (2022b), 1,5 million de Chinois devraient mourir de la covid-19 dans les prochains mois. Aussi, la situation mène à une augmentation de la pression sur le système hospitalier chinois qui n’a pas la capacité de gérer la hausse importante dans le nombre de nouveaux cas (Song, Horton and Howell 2022). Par conséquent, si la situation se maintient, il est clair que la production en Chine risque d’être affectée négativement.

Ces trois éléments motivent les entreprises établies en Chine à repenser leur chaîne d’approvisionnement afin d’être moins dépendantes de ce pays, et être plus résilientes (Wakabayashi et Mickle 2022). Un pays, particulièrement, attire leur intérêt : le Viêtnam. Mais pourquoi s’y établir ?

L’intérêt pour le Viêtnam

La première raison est sa proximité géographique avec la Chine et le reste de l’Asie du Sud-Est (Ha et Phuc 2019). Cela permet aux compagnies de déplacer les biens d’un pays à l’autre, d’une section de leur production à une autre, plus rapidement (Ha et Phuc 2019). De plus, L’Asie du Sud-Est et l’Asie de l’Est sont populeuses[1], et constituent des marchés très intéressants pour vendre leurs produits. D’autant plus que l’on voit une classe moyenne émergée en Asie du Sud-Est (Labrecque 2019). Mais ce n’est pas tout, cet État a plusieurs caractéristiques domestiques qui attirent les compagnies à s’y établir.

La fulgurante croissance économique qui se maintient depuis près de 30 ans attire les investisseurs (Ha et Phuc 2019). Les réformes du Doi Moi entreprises en 1986 ont libéralisé l’économie, et le pays est depuis plusieurs années en 2e position mondiale quant à la croissance annuelle de son PIB (Ha et Phuc 2019). Ensuite, il possède une main-d’œuvre bon marché, ce qui permet aux entreprises de maintenir leur coût de production relativement bas (The economist 2022c ; The Economist 2020 ; The Economist 2021). Contrairement à la main-d’œuvre chinoise qui est de plus en plus coûteuse à cause de la hausse des salaires au cours de la dernière décennie (The economist 2022c ; The Economist 2020 ; The Economist 2021). De plus, le pays est une dictature à parti unique et ne connaît pas d’alternance politique (Ha et Phuc 2019 ; Priwitzer 2012). Ce qui en fait un endroit politiquement stable où les « règles » ne sont pas sujettes à changer d’ici les « prochaines élections » (Ha et Phuc 2019). Finalement, le Viêtnam fait partie de plusieurs ententes de libre-échange, telles que le CPTPP et l’EVFTA (Ha et Phuc 2019 ; The Economist 2022c). Ces accords favorisent et facilitent le commerce par le retrait de toute forme de « taxation, de quotas ou autres barrières commerciales sur les échanges de biens, de services et de capitaux entre deux ou plusieurs pays » (Boudreau et Perron 2016).

Les retombées économiques de la délocalisation pour le Viêtnam

Grâce à ces avantages domestiques, couplé avec les défis commerciaux, géopolitiques et sanitaires expliqués plutôt, le pays apparaît comme emplacement de choix pour les entreprises étrangères. Utilisons un exemple pour illustrer concrètement le tout.

Par exemple, les confinements des usines d’Apple en Chine ont fait en sorte que la compagnie a dû revoir à la baisse ses prévisions de ventes parce que le rythme de la production d’iPhone n’était pas soutenu (Wakabayashi et Mickle 2022 ; Mickle, Che et Wakabayashi 2022). Ayant déjà certains de ses produits fabriqués au Viêtnam, celui-ci devenait une alternative intéressante pour redémarrer une partie de sa production (Wakabayashi et Mickle 2022). Aujourd’hui, une partie des iPhone 14 sera confectionnée au Viêtnam (Wakabayashi et Mickle 2022). Ce n’est pas tout.

Les compagnies devront faire d’importants investissements[2] afin d’augmenter leurs capacités de production dans ce pays (Ha et Phuc 2019). Tout ce capital aura comme effet de créer des emplois, d’augmenter les exportations et par le fait même d’améliorer la balance commerciale de l’État (Ha et Phuc 2019). Des entreprises telles que Foxconn, Samsung, Apple, Microsoft et Nintendo y ont déjà investi des millions, voir des milliards de dollars (Ha et Phuc 2019 ; The Economist 2016 ; The Economist 2022c ; Wakabayashi et Mickle 2022).

Limites de la situation

La délocalisation de la Chine ne signifie pas que les entreprises y retirent présentement tous leurs investissements (Ha et Phuc 2019). Il est important de souligner que la Chine reste, et restera, un joueur majeur (Ha et Phuc 2019). Les compagnies visent à diversifier leur chaîne d’approvisionnement tout en maintenant les coûts le plus bas possible. Mais surtout, le Viêtnam fait face à deux défis domestiques.

Le premier est celui des infrastructures. L’État vietnamien doit investir dans ses infrastructures pour que les entreprises étrangères puissent exporter plus facilement leurs biens depuis ce pays (Ha et Phuc 2019). Autre défi, bien que le pays possède un important réservoir de main-d’œuvre, une trop petite proportion est hautement qualifiée ce qui pose problème pour la production de biens plus complexe, comme dans le secteur de l’électronique par exemple (Ha et Phuc 2019 ; The Economist 2022c).

Source : The Economist 2021

Une dernière chose mérite d’être soulignée. Comme les graphiques ci-dessus le démontrent, les compagnies étrangères et les IDE comptent pour une large part dans la croissance économique du pays (The Economist 2021). Les biens produits par les entreprises locales constituent une faible part de toutes les exportations du pays (The Economist 2021). Cette dépendance fait en sorte qu’une partie de la vitalité de l’économie vietnamienne dépend de la demande étrangère qui lui est hors de contrôle.

Bibliographie

Asia News Network. 2022. « Vietnam aims to be industrialised world exporter by end-2030 » The Phnom Penh Post, 24 mars 2022. https://www.phnompenhpost.com/business/vietnam-aims-be-industrialised-world-exporter-end-2030

Boudreau, Philippe et Claude Perron. 2016. Lexique de science politique. 4e édition, Montréal : Chenelière Éducation.

Buckley, Chris, Vivian Wang, Chang Che et Amy Chang Chien. 2022. « After a Deadly Blaze, a Surge of Defiance Against China’s Covid Policies » The New York Times, 27 novembre 2022. https://www.nytimes.com/2022/11/27/world/asia/china-covid-protest.html

Freedom House. 2022. « China Dissent Monitor » Freedom House, June-September 2022. https://freedomhouse.org/sites/default/files/2022-11/CDMNov2022FINAL_0.pdf

Ha, Lan et Nguyen Duc Phuc. 2019. « The US-China Trade War : Impact on Vietnam » Iseas Yusof Ishak Institute, No. 102 : 1-13. https://www.iseas.edu.sg/images/pdf/ISEAS_Perspective_2019_102.pdf

Labrecque, Charles. 2019. « Le Canada et l’Asie du Sud-Est » Dans L’Asie du Sud-Est à la croisée

des puissances. Sous la direction de Serge Granger et Dominique Caouette, 231-246. Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal.

Mickle, Tripp, Chang Che et Daisuke Wakabayashi. 2022. « Apple Built Its Empire With China. Now Its Foundation Is Showing Cracks. » The New York Times, 7

Priwitzer, Kerstin. 2012. The Vietnamese Health Care System in Change. Singapore : Insitute of Southeast Asian Studies.

Song, Wanyuan, Jake Horton et Jeremy Howell. 2022. « China Covid : How many cases and deaths

are there » BBC, 29 décembre 2022. https://www.bbc.com/news/59882774

The Economist. 2016. « The other asian tiger » 4 août 2016.

https://www.economist.com/leaders/2016/08/04/the-other-asian-tiger

The Economist. 2018. « America and China are in a proper trade war ». 20 septembre 2018. https://www.economist.com/finance-and-economics/2018/09/20/america-and-china-are-in-a-proper-trade-war

The Economist. 2020. « Why globalists and frontier-market investors love Vietnam » 18 juillet 2020. https://www.economist.com/finance-and-economics/2020/07/18/why-globalists-and-frontier-market-investors-love-vietnam

The Economist. 2021. « The economy that covid-19 could not stop » 2 septembre 2021. https://www.economist.com/finance-and-economics/2021/08/30/the-economy-that-covid-19-could-not-stop

The Economist. 2022a. « China shows few signs of loosening its zero-covid policy » 13 octobre 2022. https://www.economist.com/china/2022/10/13/china-shows-few-signs-of-loosening-its-zero-covid-policy

The Economist. 2022b. « Little steps, many lives » Édition du December 17th 2022.

The Economist. 2022c. « Vietnam’s Economy. Chain Reaction ». 24 septembre 2022. https://www.economist.com/asia/2022/09/22/vietnam-is-emerging-as-a-winner-from-the-era-of-deglobalisation

Wakabayashi, Daisuke et Tripp Mickle. 2022. « Tech Compagnies Slowly Shift Production Away From China » The New York Times, 1er septembre 2022. https://www.nytimes.com/2022/09/01/business/tech-companies-china.html

Williams, Nathan. 2022. « Protests in Beijing continued late into the night on Sunday » BBC, 27 novembre 2022. https://www.bbc.com/news/live/world-asia-63776816

World Population Survey. 2022. « Asia Population 2022 ». World Population Survey. https://bib.umontreal.ca/citer/styles-bibliographiques/chicago?tab=5241944 [Consulté le 28 novembre 2022]

[1] 2,3 milliards d’individus approximativement selon le World Population Survey.

[2] Connu sous le nom de « Investissement direct étranger » (IDE)

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