Le Vietnam : le « Trafic de mariée », un trafic sino-vietnamien

Par Roxanne Larouche

Au Vietnam, le trafic des femmes et des enfants est un enjeu majeur. En grande partie du temps, les femmes victimes de la traite d’êtres humains sont exploitées à des fins de travail forcé dans l’industrie du sexe et pour le mariage forcé [1]. Le « Trafic de mariée », comme défini par l’Organisation Internationale du Travail (OIT), continue de prendre de l’ampleur surtout pour les épouses vietnamiennes en direction de la Chine. Quels sont les facteurs pouvant permettre une telle continuité de cette traite de femmes à des fins de mariage et pourquoi un tel engouement vers la Chine ?

Figure 1. Épouse à vendre. (Illustration de Tania Chou)

Le phénomène du « trafic de mariée »

Le nombre de Vietnamiennes qui migrent chaque année pour se marier, dont un grand nombre font affaire avec des trafiquants, atteint plus de 18 000 femmes en 2014 [2]. De plus, ce marché illégal est sollicité par des pays plus riches à cause, entre autres, des coûts « peu chers » du prix de la mariée. Les « épouses » vietnamiennes issues de ce trafic sont généralement vendues en Chine au prix de 8 200 $ US et les prix peuvent varier entre 5 700 $ et 36 000 $ US [3]. Ce trafic s’inscrit donc dans une continuité qui ne fait qu’augmenter puisque celui-ci est extrêmement lucratif pour les trafiquants.

Selon le rapport du gouvernement américain sur le trafic d’être humain au Vietnam (2021), les femmes vietnamiennes qui vont outre-mer pour le mariage forcé se retrouvent en Chine, au Japon, en Corée du Sud, en Malaisie, en Arabie saoudite, à Singapour et à Taiwan [4]. Ceci démontre l’ampleur que prend ce trafic transnational. Cependant, le pays de destination où les Vietnamiennes sont le plus trafiquées est la Chine. Même qu’entre 2004 et 2010, 65 % des femmes « trafiquées » étaient envoyées en Chine [5]. D’ailleurs, des villages en Chine sont surnommés « Vietnamese Bride Village » (« villages d’épouse vietnamienne ») puisqu’ils accueillent un grand nombre de Vietnamiennes issues du trafic de mariée [6].

 

 

Figure 2. Campagne de sensibilisation du trafic des femmes au Vietnam intitulé « mariée à vendre »

 

De plus, les trafiquants approchant ces jeunes femmes, majoritairement issues des villages pauvres, sont souvent des proches, des amis ou encore des personnes de la même communauté [7]. Cette proximité rend la tâche plus facile pour les trafiquants puisque le lien de confiance sera facile à obtenir si ce n’est pas déjà le cas.

 

Pourquoi la Chine comme destination principale et comme « client » ?

 

Pour les Vietnamiens

Ces femmes sont vulnérables à ce trafic parce qu’elles vivent dans la grande pauvreté et que la majeure partie d’entre elles sont sans emploi. Ce facteur clé qu’est la pauvreté joue un rôle important dans le mariage forcé vers la Chine. En effet, la Chine représente une opportunité économique considérable vu son grand boom économique. D’ailleurs, plusieurs trafiquants attirent celles-ci en leurs vendent de fausses promesses telle qu’en leur promettant un travail bien payé en Chine, ou encore en leur promettant un mariage avec un homme d’un certain statut et d’une certaine apparence physique, ou encore une promesse d’un certain montant qui finira par être une somme moindre [8].

Un autre facteur qui vient jouer un rôle majeur dans le marché illicite du mariage est le rôle et les attentes traditionnels envers les femmes vietnamiennes. Celles-ci doivent contribuer financièrement à leur famille en échange des efforts et du travail de leurs parents envers celles-ci [9]. Le facteur socioculturel émet donc une grosse pression sur les femmes vietnamiennes, au point de vue économique, qui les entrainent donc « volontairement » à prendre part au trafic.

 

Pour les Chinois

La forte demande de la part de la Chine est due entre autres à des raisons démographiques. En effet, la politique de l’enfant unique a entrainé un déséquilibre majeur entre les genres dont le ratio d’homme est plus élevé [10]. Donc, la montée du célibat en Chine chez les hommes est observable entre autres dans les régions rurales. Ceci est explicable par le grand exode rural qu’a connu celle-ci et l’exode des femmes vers les villes dû au développement économique et aux réformes économiques des années 1980 [11].

Puis, l’inflation du prix de la mariée en Chine fait en sorte que l’alternative d’une épouse vietnamienne est beaucoup plus viable et plus abordable [12]. D’ailleurs, cela entraine une hausse de la demande du côté chinois. De plus, la grande convoitise des épouses vietnamiennes peut-être reliée à leurs proximités géographiques puisqu’ils partagent des frontières communes [13]. Ces frontières transfrontalières permettent de faciliter le transit et les transactions de ce trafic.

 

Pour conclure, les deux documentaires ci-dessous proposent d’approfondir notre connaissance sur ce sujet :

Figure 3. Trafic de femmes vietnamiennes en Chine

 

Figure 4. Des mariées vietnamiennes kidnappées et vendues comme épouse en Chine

Références

[1] Le Bach Duong, Danièle Bélanger, et Khuat Thu Hong, « Transnational Migration, Marriage and Trafficking at the China-Vietnam Border », 2005, 7.

[2] International Organization for Migration, « La migration par le mariage : un important facteur de traite au Vietnam | International Organization for Migration », 30 juillet 2014, https://www.iom.int/fr/news/la-migration-par-le-mariage-un-important-facteur-de-traite-au-vietnam.

[3] Weidi Liu, Geping Qiu, et Sheldon X. Zhang, « Easy Prey: Illicit Enterprising Activities and the Trafficking of Vietnamese Women in China », Asian Journal of Criminology 16, no 4 (1 décembre 2021): 327, https://doi.org/10.1007/s11417-020-09327-y.

[4] Office to monitor and combat trafficking in persons, « 2021 Trafficking in Persons Report: Vietnam » (U.S. Department of State, 2021), https://www.state.gov/reports/2021-trafficking-in-persons-report/vietnam/.

[5] Liu, Qiu, et Zhang, « Easy Prey », 333.

[6] Ibid.

[7] Duong, Bélanger, et Hong, « Transnational Migration, Marriage and Trafficking at the China-Vietnam Border », 15.

[8] Liu, Qiu, et Zhang, « Easy Prey », 330.

[9] Duong, Bélanger, et Hong, « Transnational Migration, Marriage and Trafficking at the China-Vietnam Border », 8.

[10] Liu, Qiu, et Zhang, « Easy Prey », 322.

[11] Ibid.

[12] Duong, Bélanger, et Hong, « Transnational Migration, Marriage and Trafficking at the China-Vietnam Border », 7; Liu, Qiu, et Zhang, « Easy Prey », 323.

[13] Duong, Bélanger, et Hong, « Transnational Migration, Marriage and Trafficking at the China-Vietnam Border », 7.

Bibliographies

Châm, Nguễn Thị Phương. « Cross-Border Brides: Vietnamese Wives, Chinese Husbands in a Border-Area Fishing Village ». Cross-Currents: East Asian History and Culture Review 3, no 2 (20 janvier 2015): 413‑41. https://doi.org/10.1353/ach.2015.0005.

Duong, Le Bach, Danièle Bélanger, et Khuat Thu Hong. « Transnational Migration, Marriage and Trafficking at the China-Vietnam Border », 2005, 24.

International Organization for Migration. « La migration par le mariage : un important facteur de traite au Vietnam | International Organization for Migration », 30 juillet 2014. https://www.iom.int/fr/news/la-migration-par-le-mariage-un-important-facteur-de-traite-au-vietnam.

Liu, Weidi, Geping Qiu, et Sheldon X. Zhang. « Easy Prey: Illicit Enterprising Activities and the Trafficking of Vietnamese Women in China ». Asian Journal of Criminology 16, no 4 (1 décembre 2021): 319‑35. https://doi.org/10.1007/s11417-020-09327-y.

Office to monitor and combat trafficking in persons. « 2021 Trafficking in Persons Report: Vietnam ». U.S. Department of State, 2021. https://www.state.gov/reports/2021-trafficking-in-persons-report/vietnam/.

Organisation Internationale du Travail. « Global Estimates of Modern Slavery: Forced Labour and Forced Marriage ». Genève, 19 septembre 2017. p. 12. http://www.ilo.org/global/publications/books/WCMS_575479/lang–fr/index.htm.

Stöckl, Heidi, Ligia Kiss, Jobst Koehler, Dung Thuy Dong, et Cathy Zimmerman. « Trafficking of Vietnamese women and girls for marriage in China ». Global Health Research and Policy 2, no 1 (9 octobre 2017): 28. https://doi.org/10.1186/s41256-017-0049-4.

Figure et vidéo

Figure 1 — Illustration de Tania Chou. Barton, Cat. « Brides for sale: Vietnamese women being trafficked to China ». Taipei Times. 28 juin 2014. https://www.taipeitimes.com/News/editorials/archives/2014/06/28/2003593836

Figure 2 — we generation. BRIDE FOR SALE, 2020. https://www.youtube.com/watch?v=zZ0pmdl65AQ.

Figure 3 — Investigations. TRAFIC DE FEMMES VIETNAMIENNES EN CHINE, 2021. https://www.youtube.com/watch?v=LOOxSSJ7E1Y.

Figure 4 — CNA Insider. Kidnapped Brides: The Vietnamese Women Sold As Wives In China, 2019. https://www.youtube.com/watch?v=lupreCzyUEU.

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