Conflits en mer méridionale de Chine: Brunei, un revendicateur faible qui défend l’apaisement des tensions

Par Lucile Muller

 

Le 14 juin dernier, le gouvernement du Brunei a classé les conflits en mer méridionale de Chine dans les cinq plus grandes menaces pour le pays dans ses « White Defense Paper », énumérant les principaux défis en matière de sécurité qui façonneront les stratégies de défense du pays pour les quinze prochaines années. Le ministre des Affaires étrangères a alors appelé à la négociation entre les parties : « Les questions spécifiques devraient être traitées de manière bilatérale par les pays directement concernés dans le cadre d’un dialogue et de consultations pacifiques »[1].

Le gouvernement réaffirme ainsi sa politique d’approche en deux étapes en mer méridionale de Chine, reposant sur le principe suivant : le mécanisme de résolution de conflits doit être bilatéral et conforme à la Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer de 1982 (CNUDM) mais doit également reposer sur le code de conduite entre l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) et la Chine. Le Brunei apparaît alors comme un État favorisant une politique d’apaisement plutôt qu’une revendication active. Cet article tâchera d’éclairer les raisons de ce choix politique.

Il conviendrait de noter tout d’abord que le Brunei est un état relativement faible par rapport à ses voisins et n’occupe pas une grande place sur la scène internationale : ses revendications territoriales dans le récif Louisa sont minimes et sont également convoitées par la Chine, les Philippines, le Vietnam et Taiwan. Or, « étant  une des forces militaires les plus faibles d’Asie du Sud-Est, tant en termes de taille que de capacité » [2], le Brunei ne peut arborer une défense militaire de ces territoires et adopte alors cette politique de négociation et d’apaisement.

Carte représentant les revendications territoriales des pays d’Asie du Sud-Est

De surcroît, un conflit ouvert serait pour le pays une véritable catastrophe économique : étant particulièrement dépendant de la Chine depuis ces dernières années- ses ressources en pétrole tendant à s’épuiser- l’État risquerait de perdre un allié précieux pour son dynamisme économique. En effet, cette dépendance est profonde : la Chine a lancé « une offensive de charme pour profiter du déclin de l’économie du Brunei en canalisant des investissements et des projets d’infrastructure dans le pays à hauteur de 6 milliards de dollars », promettant en principe une stimulation du « commerce et une coopération agricole ». L’État synchronise alors son discours avec celui de la Chine en défendant des négociations bilatérales. Les deux pays ont en effet une perspective commune : ils considèrent que c’est au travers de l’établissement d’une stabilité politique régionale qu’une croissance économique peut se développer ; « le Brunei et la Chine ont alors travaillé dur ces dernières années pour resserrer et renforcer les liens entre peuples » [3]. La visite du président chinois Xi Jinping en novembre 2018 pour discuter de l’inclusion du Brunei dans la Belt Road Initiative fait état de cet engagement commun. Ainsi, les deux pays, en favorisant l’aspect économique, se placent dans une lignée politique conjointe et ceci se traduit par leur désir commun de négociations. La Chine apparaît alors comme achetant d’une certaine façon le silence de l’État brunéien affaibli [4].

 

Caricature représentant la faiblesse du Brunei face à la Chine

 

Cependant, l’État brunéien n’a pas non plus intérêt à placer tous ses pions en Chine : l’ASEAN lui apporte une protection médiatique permettant de remettre en question l’expansion chinoise. En effet, en se mêlant aux déclarations de l’organisation régionale défendant la « Convention des Nations Unies sur le droit de la mer comme base de droits souverains »[5], le Brunei soutient ses intérêts pacifiques et ne s’oppose pas directement à la puissance chinoise ; étant une décision commune aux dirigeants de la région. Néanmoins, ceci lui vaut une certaine suspicion dans l’organisation régionale : l’État est selon elle trop proche de la Chine. Nous pouvons alors interpréter la publication des White Papers comme une manière de se présenter comme un « membre de l’ASEAN digne de confiance »[5]  : la prise de parole de l’État est en effet avant tout symbolique, elle a eu lieu après que les Philippines et le Vietnam se soient prononcés sur leur position en mer méridionale de Chine et se place dans leur lignée de pensée.

La position pacifique du Brunei dans les conflits territoriaux maritimes s’explique alors principalement par deux facteurs : d’une part l’État souhaite maintenir sa coopération économique étroite avec la Chine et défend alors des négociations bilatérales et non multilatérales -plaçant généralement la Chine dans une position d’État seul face à l’ASEAN-, et d’autre part, l’État souhaite également prendre part dans l’organisation régionale et apparaître comme un membre de confiance et soutient alors l’utilisation de la législation maritime.

 

Lequel de ces deux facteurs prendra le plus d’importance dans la politique brunéienne reste un élément à spéculer ; néanmoins, il semble assez évident que le Brunei ne peut actuellement se dissocier de la Chine. Ce petit état a donc beaucoup de chances de ne voir ses revendications territoriales jamais être reconnues ; il ne lui reste alors qu’à miser sur une pacification de la région pour ne pas se faire écraser par les puissances voisines.

 

A VOIR AUSSI: Développement des relations bilatérales entre la Chine et le Brunei

 

[1] Sofia Tamacruz « Brunei, the quiet claimant, breaks its silence on the South China Sea », Rappler, 22/07/2021

[2] Thambipillai, Pushpa. “BRUNEI DARUSSALAM: The ‘Feel-Good Year’ Despite Economic Woes.” Southeast Asian Affairs, 2018, p.88

[3] Hamdan, Mahani, and Chang-Yau Hoon. “BRUNEI DARUSSALAM: Making Strides with a Renewed Focus on the Future.” Southeast Asian Affairs, 2019, p.93

[4] Jiang, Yang. “Money and Security in the South China Sea: CAN CHINA BUY PEACE?” Danish Institute for International Studies, 2019

[5] Sofia Tamacruz

 

BIBLIOGRAPHIE

Textes scientifiques

Hamdan, Mahani, and Chang-Yau Hoon. “BRUNEI DARUSSALAM: Making Strides with a Renewed Focus on the Future.” Southeast Asian Affairs, 2019, 85–102. https://www.jstor.org/stable/26939689.

Roberts, Christopher B., and Malcolm Cook. “BRUNEI DARUSSALAM: Challenging Stability.” Southeast Asian Affairs, 2016, 95–106. https://www.jstor.org/stable/26466921.

Thambipillai, Pushpa. “BRUNEI DARUSSALAM: The ‘Feel-Good Year’ Despite Economic Woes.” Southeast Asian Affairs, 2018, 77–94. https://www.jstor.org/stable/26492771.

Jiang, Yang. “Money and Security in the South China Sea: CAN CHINA BUY PEACE?” Danish Institute for International Studies, 2019. http://www.jstor.org/stable/resrep21371.

 

Articles de presse

Joshua Espena, “Brunei, ASEAN and the South China Sea”, The Interpreter, 03/08/20 Brunei Abandons South China Sea Claim for Chinese Finance | Geopolitical Monitor

Shareen Han “Brunei wary of miscalculation in South China Sea dispute”, the Scoop, 14/06/21 Brunei wary of miscalculation in South China Sea dispute – The Scoop

Michael Hart, “Brunei Abandons South China Sea Claim for Chinese Finance”, Geopolitical Monitor, 04/04/21 Brunei Abandons South China Sea Claim for Chinese Finance | Geopolitical Monitor

Sofia Tamacruz « Brunei, the quiet claimant, breaks its silence on the South China Sea », Rappler, 22/07/2021 Brunei, the quiet claimant, breaks its silence on the South China Sea (rappler.com)

 

 

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