Conflits en mer méridionale de chine: Vietnam, une position ambiguë d’amour-haine avec la Chine

Par Lucile MULLER

Le 23 septembre dernier, a été exposé par la porte-parole du ministère des affaires étrangères du Viêtnam Thi Thu Hang, lors d’une conférence de presse en ligne, le mécontentement de l’État face aux empiètements de la Chine sur les archipels de Truong Sa et d’Hoàng Sa et au mépris apparent de celle-ci pour le droit international. L’État vietnamien, tout en restant diplomatique, continue ainsi de lutter pour ses territoires et ne se plie pas aux revendications chinoises ; dans un conflit à l’apparence interminable.

Le bulletin de Manille – Le Vietnam répond à la Chine par une demande

 

L’histoire de ce conflit est en effet très ancienne : les deux pays exposent tout deux depuis des siècles des justifications multiples de souveraineté fondées sur un droit historique du premier venu pour la Chine et sur des principes géographiques et juridiques pour le Viêtnam. Néanmoins, ce à quoi nous allons nous intéresser repose non pas sur l’origine des revendications sino-vietnamiennes des archipels asiatiques stratégiques Paracel et Spartleys, mais sur les politiques extérieures menées par le Viêtnam pour les défendre face à la Chine ; comment celles-ci se caractérisent par une ambiguïté, par une fluctuation entre diplomatie et animosité avec la puissance mondiale.

La politique vietnamienne repose en effet dans un premier temps sur une coopération officielle avec la Chine : elle établit avec la puissance des accords bilatéraux multiples afin de « prévoir ses actions » [1] et de maintenir la paix dans la région. Un certain nombre de traités sont ainsi ratifiés, notamment un premier en 2000 délimitant le Golf de Tonkin [2], puis un autre en 2011 établissant des principes simples sur l’établissement des pays dans les archipels. Cette coopération fut cependant réellement consacrée par la visite du Premier ministre chinois Li Keqaing en octobre 2013 pour discuter des différents territoriaux et réaffirmer les idées de l’accord de 2011.

Le Premier Ministre vietnamien Nguyen Tan Dung à droite et son homologue chinois Li Keqiang à gauche

On pouvait alors spéculer qu’un certain ordre serait établi entre les deux États et que les tensions géopolitiques laisseraient place à une coopération bilatérale. C’est ce que l’État vietnamien semblait également penser et qu’elle ne fut sa surprise lorsqu’en mai 2014, soit un peu plus de six mois après la rencontre officielle des ministres, l’État chinois « déploya la plateforme d’exploration pétrolière HYSY 981 dans la Zone Economique Exclusive du Viêtnam »[3] sans demander préalablement la permission à son voisin. Etant remarquablement inattendu, cet acte marqua un tournant dans la relation sino-vietnamienne : il est devenu clair que la Chine n’était pas décidée à respecter les accords et que le Viêtnam devait alors définir un plan d’action. Bien qu’étant manifestement sous militarisée par rapport à la puissance chinoise, le Viêtnam déploya dans un premier temps ses navires de gardes côtières, mais fut rapidement forcée à se replier face aux canons à eau employés par la Chine. En parallèle à ceci, le pays continua d’appeler à la négociation. On peut souligner alors la dualité de la position politique du Viêtnam : le pays n’hésite pas à tenir tête à la puissance mondiale tout en maintenant une position modérée pacifique ; il oscille bien entre coopération et politique offensive. Cette ambiguïté rompt avec la stratégie du « faible au fort »[4] , c’est-à-dire d’ « éviter l’affrontement direct là où les forces seraient inégales et concentrer ses forces sur les points faibles de l’adversaire »[4], employée pendant des siècles par l’État vietnamien.

Ce tournant en 2014 apprit cependant quelque chose de primordiale au Viêtnam : afin d’affirmer ses revendications territoriales, le pays doit se militariser pour apparaître comme une puissance crédible face à la Chine et gagner ainsi en autonomie. L’État devint alors, « au cours de la période 2012-2016 (…) le dixième importateur d’armes au monde »[5] et se fournit notamment en Russie (à voir : Vietnam Gets Fitft Submarine from Russia). La Chine surveilla alors activement cette modernisation militaire.

Malgré cette acquisition de puissance militaire, l’État conserve encore aujourd’hui une inquiétude concernant l’assurance de la Chine en mer méridionale et examine alors d’autres alliés pour contrebalancer la puissance adverse. « En désirant [notamment] adhérer au Partenariat Transpacifique (PTP), le Viêtnam a démontré un désir plus grand que jamais de se ranger du côté des États-Unis » expliquent Paul Schuler et Mai Truon [6]. Cette alliance, bien que restreinte par la rétraction du Président Trump en 2017 du PTP, demeure présente et joue un rôle dans la gépolitique de la région. Elle conduit même  le Viêtnam à entrer dans une optique de « rassurer » l’État chinois afin de conserver ses avantages économiques. La dualité des sentiments de l’État vietnamien envers la Chine est ainsi encore une fois notable : il la redoute tout en ne souhaitant pas s’en détacher.

En somme, la relation sino-vietnamienne en mer méridionale de Chine, bien qu’étant fondée sur une coopération officielle de délimitation des territoires, peut aisément se détériorer et conduire à une crise géopolitique en Asie du Sud-Est. Tout repose alors sur la politique choisie par l’État chinois pour l’avenir : entre diplomatie et dynamique d’expansion hégémonique.

 

 

[1]  Thayer, Carlyle A “Vietnam’s Strategy of ‘Cooperating and Struggling’ with China over Maritime Disputes in the South China Sea.” Journal of Asian Security and International Affairs p.202

[2]  Zou, Keyuan “The Sino-Vietnamese Agreement on Maritime Boundary Delimitation in the Gulf of Tonkin.Ocean Development and International Law” p.13

[3] Thayer, Carlyle A  p.213

[4]  Philippe Delalande “le Viet Nam face à l’avenir » p.215

[5] Thayer, Carlyle A. “FORCE MODERNIZATION: Vietnam.” Southeast Asian Affairs, p.429

[6] Schuler, Paul, and Mai Truong. “VIETNAM IN 2019: A Return to Familiar Patterns.” Southeast Asian Affairs p.393

 

Bibliographie

AMER, RAMSES, and NGUYEN HONG THAO. “The Management of Vietnam’s Border Disputes: What Impact on Its Sovereignty and Regional Integration?” Contemporary Southeast Asia 27, no. 3 (2005): 429–52. http://www.jstor.org/stable/25798752. (Page consultée le  6 octobre 2021)

Thayer, Carlyle A. “Vietnam’s Strategy of ‘Cooperating and Struggling’ with China over Maritime Disputes in the South China Sea.” Journal of Asian Security and International Affairs 3, no. 2 (2016): 200–220. https://www.jstor.org/stable/48601796. (Page consultée le 6 octobre 2021)

Thayer, Carlyle A. “FORCE MODERNIZATION: Vietnam.” Southeast Asian Affairs, 2018, 429–44. https://www.jstor.org/stable/26492790. (Page consultee le 6 octobre 2021)

Philippe Delalande  “le Viet Nam face à l’avenir » Points sur l’Asie 2001

Guy Faure. « Nouvelle géopolitique de l’Asie » Référence géopolitique 2005

Zou, Keyuan. (2005). The Sino-Vietnamese Agreement on Maritime Boundary Delimitation in the Gulf of Tonkin. Ocean Development and International Law – OCEAN DEV INT LAW. 36. 13-24. 10.1080/00908320590904920. https://www.researchgate.net/publication/254320520_The_Sino-Vietnamese_Agreement_on_Maritime_Boundary_Delimitation_in_the_Gulf_of_Tonkin. (Page consultée le 6 octobre 2021)

Kurlantzick, Joshua. “A China-Vietnam Military Clash.” Council on Foreign Relations, 2015. http://www.jstor.org/stable/resrep05642. (Page consultée en ligne le 6 octobre 2021)

Schuler, Paul, and Mai Truong. “VIETNAM IN 2019: A Return to Familiar Patterns.” Southeast Asian Affairs, 2020, 393–410. https://www.jstor.org/stable/26938901. (Page consultée le 6 octobre 2021)

Tønnesson, Stein. “THE PARACELS: THE ‘OTHER’ SOUTH CHINA SEA DISPUTE.” Asian Perspective 26, no. 4 (2002): 145–69. http://www.jstor.org/stable/42704389. (Page consultée le 6 octobre 2021)

 

 

 

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