Le Vietnam à la poursuite de son indépendance en mer de Chine méridionale

par Juliette MEREL

« Indépendance, liberté, bonheur ». Telle est la devise de la République socialiste du Vietnam proposée par le président Hô Chi Minh le 2 septembre 1945. En tant que membre incontournable du Mouvement des non-alignés depuis 1955 et adroit diplomate sur l’échiquier géopolitique mondial, le pays fait honneur à sa devise. Cependant, les pressions continues exercées par Beijing en mer de Chine méridionale (MCM) en menacent la pérennité.

 

Revendications maritimes en mer de Chine méridionale
Source : Asia maritime Transparency Initiative. 2021.Maritime claims in. the South China Sea. Image Numérique. South. China Morning Post. https://www.scmp.com/news/china/diplomacy/article/3124309/south-china-sea-what-are-rival-claimants-building-islands-and?module=perpetual_scroll_0&pgtype=article&campaign=3124309

Les tensions dans la zone se sont en effet intensifiées au cours de la dernière décennie. Entre le Vietnam et la Chine, les pressions ont atteint leur paroxysme en mai 2014, lorsque les autorités pékinoises ont autorisé le déploiement d’une de leurs plateformes pétrolières dans la zone économique exclusive (ZEE) de Hanoï. Bien que la succession de cycles d’hostilités et de dialogues constituent un continuum dans les rapports entre les deux pays depuis les années 1970 concernant les îles Spratleys [1], les dirigeants vietnamiens ont néanmoins interprété cette atteinte imprévue à leur souveraineté territoriale comme le signe du renforcement drastique des intentions hégémoniques de la Chine dans la région [2]. La poursuite de la construction des bases militaires du « collier de perles » et les travaux de la « grande muraille de sable », deux stratégies débutées par la Chine dès 2014 pour légitimer ses revendications en MCM ont achevé de les convaincre [3].

Pour lutter contre cette expansion, Hanoï a traditionnellement bénéficié de l’appui de certains membres de l’ASEAN également acquis à la cause d’une MCM exempte de toute suprématie chinoise. Cependant, plusieurs évènements sont venus altérer cet état de fait comme la mise en place d’ententes économiques entre la Malaisie et la Chine. Mais le plus significatif d’entre eux reste sans nul doute l’élection de Rodrigo Duterte à la tête des Philippines en 2016 [4]. Prenant le contrepied de son prédécesseur en ignorant le rendu favorable à Manille de la décision juridique concernant des territoires également revendiqués par Beijing en MCM, celui-ci opère une reconfiguration radicale de la politique philippine vers Pékin. Dès lors le Vietnam s’est retrouvé comme seul véritable critique des politiques chinoises dans la région, les autres pays restant muets ou approuvant les politiques chinoises [4].

 

Un soldat vietnamien monte la garde en surplombant la mer de Chine méridionale

Source : Maritime Issues. 2016. Rebalancing : Vietnam’s South China Sea Challenges and Responses. Maritime Issues. http://www.maritimeissues.com/working-papers/rebalancing-vietnams-south-china-sea-challenges-and-responses.html

 

Face à cette situation, comment le Vietnam arrive-t-il à maintenir son indépendance vis-à-vis de la Chine ? Une partie de la réponse est la suivante : ne pouvant ignorer l’existence de 48 millions de Vietnamiens vivant le long des 3260 km de côte du pays donnant sur la mer de Chine du Sud, la stratégie géopolitique du pays se modifie. Dans cette optique, le pays s’emploie à développer ses partenariats avec les grandes puissances [5].

 

Avec la Russie d’abord. En effet, Moscou est aujourd’hui le principal pourvoyeur des missiles sol-air et des sous-marins dernier cri que le Vietnam utilise pour constituer un arsenal militaire défensif complet et contemporain taillé pour dissuader les incursions chinoises dans les espaces maritimes vietnamiens. Le choix russe n’est pas surprenant, Moscou craignant tout autant qu’Hanoï la modernisation des forces armées de son riverain pour sa propre sécurité [6]. Ainsi, dès le milieu des années 1990, les deux États concluent plusieurs accords importants de ventes d’armes (1994) et de coopération en matière de défense (1998). Cette collaboration est d’ailleurs restée ininterrompue jusqu’à la situation actuelle susmentionnée, puisqu’entre 2004 et 2014, le Vietnam n’acquiert pas moins de six sous-marins, dix navires de guerre légers et trente avions de combat auprès du fournisseur russe [7].

 


Le vice-président américain Kamala Harris rencontre le Premier ministre vietnamien Pham Minh Chinh lors d’une réunion au bureau du gouvernement, à Hanoï, Vietnam, le 25 août 2021
Source : Reuters/Evelyn Hockstein/Pool. 2021.  . https://www.reuters.com/world/asia-pacif 1

Avec les États-Unis ensuite, pour s’assurer d’un soutien diplomatique clé de la part des Américains — et des alliés indiens japonais et australiens de ces derniers, regroupés au sein du Dialogue quadrilatéral pour la sécurité (QUAD) qui connaît un regain d’initiatives — en cas de négociations sur les territoires que revendiquent Hanoï et Pékin. Précisons que ce rapprochement n’est pas non plus le fruit du hasard, mais celui du partage d’intérêts sécuritaires mutuels pour la stabilité dans l’Asie-Pacifique [8]. Ainsi, depuis la normalisation de leurs relations diplomatiques en 1994 et le rétablissement d’une confiance mutuelle comme conséquence de la levée de l’embargo sur les armes à destination du Vietnam en 2016 [9], les deux pays multiplient les actes de soutien d’envergure contre Beijing. Soulignons ainsi comment le Vietnam a donné corps à sa capacité dissuasive avec l’accueil de l’USS Carl Vinson sur son territoire en 2018, bâtiment de guerre le plus symptomatique de la puissance dure américaine [10]. Autre point révélateur : les forces maritimes vietnamiennes tirent aujourd’hui profit d’une formation menée sous l’égide de la marine américaine sur la gestion différends maritimes [11].

 

 

Avec l’Inde enfin, l’agenda bilatéral récent des deux puissances témoignant d’un resserrement de leurs liens de sécurité et de défense. Cette coentreprise est en effet à l’œuvre au sein des enceintes onusiennes du Conseil de sécurité, où les deux pays, élus membres non permanents en 2021, militent activement contre les positions chinoises. Plus encore, Hanoï dispose désormais d’une enveloppe de 500 millions de dollars que New Delhi lui a accordés en 2016 à cet effet [12]. Loin d’être opportunistes, ces initiatives sont au cœur d’efforts entamés ils y a plusieurs années, notamment lors de la signature d’un partenariat stratégique en 2007 ayant donné lieu à des échanges commerciaux importants dans le domaine des armements maritimes exercices militaires conjoints toujours d’actualité [13].

 

En insistant sur la dimension non coercitive de ses partenariats et sur sa ferme intention de ne faire partie d’aucun système d’alliance militaire formelle [14], c’est donc par le biais d’une diplomatie internationale de défense qu’Hanoï entend faire perdurer son mantra d’indépendance, de liberté et de bonheur.

 

903 mots

NOTES

[1] Fau, Nathalie. La maritimisation de l’économie vietnamienne : un facteur exacerbant les conflits entre le Viêt Nam et la Chine en mer de Chine méridionale ? . Hérodote. 2015, 157, 39-55. https://www.cairn.info/revue-herodote-2015-2-page-39.htm#s2n6

[2] Fau, Nathalie. La maritimisation de l’économie vietnamienne : un facteur exacerbant les conflits entre le Viêt Nam et la Chine en mer de Chine méridionale ? . Hérodote. 2015, 157, 39-55. https://www.cairn.info/revue-herodote-2015-2-page-39.htm#s2n6

[3] Harris, Harry.B. 2015. Australian Strategic Policy Institute. En ligne. https://www.cpf.navy.mil/leaders/harry-harris/speeches/2015/03/ASPI-Australia.pdf.

[4]  Grossman, Derek. 2018. “ Le mois d’équilibre remarquable du Vietnam contre le Chine en mer de Chine méridionale. En ligne. https://www.rand.org/blog/2018/03/vietnams-remarkable-month-of-balancing-against-china.html

[5] Mathé, Alexis. « Les mutations de la stratégie vietnamienne face à la Chine : entre développement d’une force militaire régionale moderne et partenariats stratégiques ». Asia Focus. n°82, Juillet 2018. Institut de Relations Internationales et Stratégiques. En ligne. https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2018/07/Asia-Focus-82.pdf

[6] Mathé, Alexis. « Les mutations de la stratégie vietnamienne face à la Chine : entre développement d’une force militaire régionale moderne et partenariats stratégiques ». Asia Focus. n°82, Juillet 2018. Institut de Relations Internationales et Stratégiques. En ligne. https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2018/07/Asia-Focus-82.pdf

[7] Thayer, Carlyle A. “La stratégie vietnamienne de « coopération et de lutte » avec la Chine sur les différends maritimes en mer de Chine méridionale ». Journal of Asian Security and International Affairs. Volume 3, Issue 2, August 2016 : 200-220 https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/2347797016645453

[8] Buffenoir et al. « Les défis sécuritaires en mer de Chine méridionale ». Asia Focus, n°47. 2017. En ligne. https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2017/10/Asia-Focus-47.pdf

[9] Jagger, Matt .« Le Vietnam, entre Chine et États-Unis ». 2017. En ligne. https://redtac.org/asiedusudest/2017/02/24/le-vietnam-entre-chine-et-etats-unis/

[10] Grossman, Derek. 2018. “ Le mois d’équilibre remarquable du Vietnam contre le Chine en mer de Chine méridionale. En ligne. https://www.rand.org/blog/2018/03/vietnams-remarkable-month-of-balancing-against-china.html

[11] Trung Dung, Vo. “Mer de Chine : Washington courtise Hanoi, l’ASEAN et réoriente sa stratégie ». Asie-Pacifique.2019. En ligne. https://asiepacifique.fr/mer-de-chine-washington-vietnam-asean-reoriente-strategie/

[12]  Pillai Rajagopalan, Rajeswari. « India-Vietnal Relations : Strong and Getting Stronger”. 2020. En ligne. https://thediplomat.com/2020/08/india-vietnam-relations-strong-and-getting-stronger/

[13]  Pradhan, SD. “India and Vietnam : Strengthening of defence relations”. 2021. En ligne. https://timesofindia.indiatimes.com/blogs/ChanakyaCode/india-and-vietnam-strengthening-of-defence-relations/

[14] Mathé, Alexis. « Les mutations de la stratégie vietnamienne face à la Chine : entre développement d’une force militaire régionale moderne et partenariats stratégiques ». Asia Focus. n°82, Juillet 2018. Institut de Relations Internationales et Stratégiques. En ligne. https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2018/07/Asia-Focus-82.pdf

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

Buffenoir et al. « Les défis sécuritaires en mer de Chine méridionale ». Asia Focus, n°47. 2017. En ligne. https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2017/10/Asia-Focus-47.pdf

Fau, Nathalie. La maritimisation de l’économie vietnamienne : un facteur exacerbant les conflits entre le Viêt Nam et la Chine en mer de Chine méridionale ? . Hérodote. 2015, 157, 39-55. https://www.cairn.info/revue-herodote-2015-2-page-39.htm#s2n6

Grossman, Derek. 2018. “ Le mois d’équilibre remarquable du Vietnam contre le Chine en mer de Chine méridionale. En ligne. https://www.rand.org/blog/2018/03/vietnams-remarkable-month-of-balancing-against-china.html

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Mathé, Alexis. « Les mutations de la stratégie vietnamienne face à la Chine : entre développement d’une force militaire régionale moderne et partenariats stratégiques ». Asia Focus. n°82, Juillet 2018. Institut de Relations Internationales et Stratégiques. En ligne. https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2018/07/Asia-Focus-82.pdf

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Pradhan, SD. “India and Vietnam : Strengthening of defence relations”. 2021. En ligne. https://timesofindia.indiatimes.com/blogs/ChanakyaCode/india-and-vietnam-strengthening-of-defence-relations/

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Trung Dung, Vo. “Mer de Chine : Washington courtise Hanoi, l’ASEAN et réoriente sa stratégie ». Asie-Pacifique. 2019. En ligne. https://asiepacifique.fr/mer-de-chine-washington-vietnam-asean-reoriente-strategie/

 

 

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