Philippines – Une politique d’enseignement coloniale confessionnelle et genrée

Le monopole de l’Église espagnole dans l’enseignement philippin 

Manille, la capitale, est le point d’arrivée de l’ensemble des ordres religieux et des curés espagnols, responsables de l’éducation coloniale. Les Dominicains représentent l’ordre religieux le plus important dans les politiques scolaires philippines. Ils sont à l’origine de l’Université de Santo Tomas, l’une des plus influentes entre le XVIIème et XIXème siècle, garante d’un enseignement strictement confessionnel ou encore du Collège de San Juan de Letran pour former les enfants défavorisés à devenir missionnaire. Les Jésuites, avant leur expulsion par le Couronne espagnole en 1768, étaient à la charge des Collège de San José et San Ignacio et spécialisés dans les études ecclésiastiques. (De Los Arcos, Maria Fernand. 1992, p. 155)

Libraire de l’Université de Santo Tomas, Manille (auteur inconnu, Collection Benavide – 1887)

La particularité de l’enseignement accordée aux jeunes philippins est lié à l’effort d’évangélisation et d’intégration à la communauté chrétienne : «  Spanish education for the Filipinos was designed to convert them to Catholicism and then to maintain them in that faith. » (Karl Schwartz, 1971, p.203). Les écoles catholiques, ou écoles de catéchisme, représentent la première forme d’éducation coloniale et réservées aux populations autochtones. D’abord conçues comme des écoles aux effectifs réduits, entre 20 et 30 élèves ; elles dénotent des autres puissances coloniales notamment par leur présence à Manille, dans les îles ainsi que par l’inclusion des jeunes filles philippines : « There are many villages such as Arago, Dulaguete, Boljoon and several in the province of Iloilo where not a single boy or girl can be found who cannot read or write » (Karl Schwartz. 1971, p.204).

 

Entre inspiration coloniale et autonomie : le cas des écoles privées philippines

Le Décret sur l’Éducation de 1863 permet la création d’un système éducatif dual. Grâce à l’éducation religieuse, de nombreux philippins formés par les missions locales se sont émancipés pour délivrer leur propre enseignement : « In many districts the religious make use, in their visitas, of certain of the natives who are clever and well instructed, so that they may teach the others to pray daily » (De Los Arcos, Maria Fernanda. 1992, p. 211). Entre imitation et émancipation, ces écoles privées ont aussi un impact sur la portée de l’éducation confessionnelle. De nombreux étudiants et professeurs philippins dénoncent l’éducation basée sur les savoirs scientifiques uniquement délivrée aux enfants espagnols installés aux Philippines.

 

Une politique scolaire inclusive de façade

Classe mixte d’étudiants philippins (auteur inconnu, Bibliothèque nationale d’Espagne – 1865-1867)

D’abord, l’enseignement clérical des indigènes est un moyen de contrôle direct des population et l’outil privilégié est l’apprentissage du castillan. Fondateurs et directeurs d’établissement religieux ont mis en place un système scolaire distinct de la métropole, notamment concernant l’enseignement qui délaisse l’apprentissage du droit, de la philosophie en faveur de la doctrine morale, de la langue et de la grammaire castillane. Dès le XVIIIème siècle, Madrid interdit l’usage des langues locales, un moyen de former des intermédiaires locaux loyaux et sans risquer d’altérer les revendications coloniales. Aussi, l’un des intérêts des missionnaires et de la Couronne pour les Philippines concerne la rentabilité. L’instruction, plus que l’éducation, est un moyen de former les jeunes indigènes à la production agricole, l’industrie et l’artisanat autour des ressources principales du territoire dont la cannelle, le poivre, l’indigo et le coton. (De Los Arcos, Maria Fernanda. 1992, p. 153-158)

Concernant l’éducation des jeunes philippines, l’essor de la colonisation a comme conséquence une assignation de genre basée sur les normes et conduites occidentales du XIX-XXème siècle. En 1910, le travail domestique est inscrit dans le curriculum vitae de toutes les filières des écoles primaires pour filles. Ainsi, en plus d’une séparation scolaire basée sur le genre, l’éducation coloniale insiste sur la distinction des rôles. L’assignation de genre, confortée par l’importation du socle confessionnel européen, a profondément modifié l’organisation sociale traditionnelle en fondant l’ordre social sur la dominance du patriarcat, d’abord vis-à-vis des agents coloniaux puis des hommes formés par les clercs. Ang Pagsusulatan ng Magkapatid na si Urbana at Felisa, est un ouvrage qui propose l’apprentissage d’un rôle en vue de faciliter la reproduction des valeurs de dévotion religieuse, chasteté, d’« instinct maternel » et de soumission au mari. (Sanchez, Jean-Noël. 2015, p. 56)

Infirmières philippines de la Croix-Rouge américaine (auteur inconnu, Fratres Scholarum Christianarum – post-1898 (guerre hispano-américaine))

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Plus encore, l’arrivée des États-Unis sur le sol philippin dès 1898 exacerbe les pratiques de recrutement basées sur le sexe en développant une exportation de la main d’œuvre féminine vers le Nouveau Continent : « the colonial labor system under the United States, including the introduction of training programs for overseas employment and the labor recruitment industry, would form the backbone of the contemporary migration apparatus ».  (Debonneville, Julien. 2014, p.66)

 

BIBLIOGRAPHIE

De Los Arcos, Maria Fernanda G. 1992. L’enseignement aux Philippines au XVIIIe siècle : projets et réalités. Paris : Archipel.

https://www.persee.fr/doc/arch_0044-8613_1992_num_44_1_2859

Debonneville, Julien. 2014. « Les écoles du care aux Philippines », in Le devenir travailleuse domestique au prisme de l’altérité. Paris : Revue du Tiers Monde.

https://www.cairn.info/revue-tiers-monde-2014-1-page-61.htm

Sanchez, Jean-Noël. 2015. Philippines : María Clara ou l’invention de la Femme nationale. Paris : Raison présente.

https://www.cairn.info/revue-raison-presente-2015-1-page-53.htm

Schwartz, Karl. 1971. « Filipino Education and Spanish Colonialism : Toward an Autonomous Perspective. Comparative Education Review », in Colonialism and Education. University of Chicago : CIES.

https://www.journals.uchicago.edu/doi/abs/10.1086/445531?mobileUi=0

Nguyên, Thê Anh. 1999. « Chapitre II. Le nouvel ordre colonial et la formation des États modernes en Asie du Sud-Est », in L’Asie orientale et méridionale aux XIXè et XXè siècle. Paris : Presses Universitaires de France.

https://www.cairn.info/asie-orientale-et-meridionale-aux-XIXe-et-XXe-siec–9782130499787-page-337.htm

 

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