Malaisie – La construction d’un « paysage moral », le cas des enfants malais issus d’union mixte

En Malaisie, la politique scolaire coloniale néerlandaise attribue une importance particulière aux enfants issus d’union mixte. Ce statut leur accord une éducation auprès des enfants de colons, inhibant les sentiments de perte de repère et l’influence jugée négative des mères autochtones. L’objectif étant de préserver et protéger ces enfants considérés comme membre du « nous » européen.

La réforme morale et la protection de la « génétique européenne »

Ruines de l’Église Saint Paul de Malacca, créée par la Compagnie des Jésuites portugaise fondée en 1521 et réappropriée par l’Église réformée hollandaise dès 1641. (Rudolph A. Furtado, Wikipédia – 13 décembre 2008)

La Malaisie représente l’un des premiers points d’ancrage des puissances européennes en Asie du Sud-Est. L’installation portugaise de 1529 l’érige comme un comptoir commercial stratégique pour le commerce et le contrôle maritime de la région. Cependant, le territoire malais est sujet à une transition de pouvoir face à la puissance économique et navale de la Compagnie des Indes néerlandaise. Il est alors sujet à un processus de consolidation et de colonisation évangélique en 1602, dès lors, la Couronne néerlandaise met fin au monopole des compagnies commerciales navales sur le territoire.

La transition d’une gestion commerciale des ressources agricoles malaises à une colonie de peuplement s’est axée autour des valeurs morales et de la mobilisation des populations indigènes. Cette « ingénierie religieuse coloniale » a permis la mise en place de nouvelles normes juridiques, recoupant à la fois des restrictions face aux pratiques islamiques et un projet de mutation confessionnelle via la mise en place de missions et d’enseignements religieux. Ce devoir moral auprès des populations des colonies néerlandaises a pour objectif l’émancipation culturelle et sociale des indigènes grâce à : « des mesures éducatives et sociales fondées sur la reconnaissance d’un devoir colonial envers les indigènes favorisant les entreprises missionnaires (écoles, hôpitaux, orphelinats) » (Borne, Dominique & Falaize, Benoît. 2009, p.207).

En pratique, cette « politique indigène » néerlandaise s’oriente davantage vers la gestion des enfants issus des concubinages, uniquement autorisés entre hommes néerlandais et femmes indigènes malaises. C’est la peur de la dégénérescence du « sang européen » qui a conduit la Couronne néerlandaise d’introduire une politique eugéniste et de gestion de la « contagion culturelle et raciale » : « On définissait la dégénérescence comme l’éloignement du type humain normal transmis génétiquement et menant progressivement à la destruction de ‘’l’être européen’’ » (Stoler, Ann-Laura, 2005, p.85).

 

Les enfants mixtes : la gestion d’une appartenance double

 Le « paysage moral » néerlandais représente aussi une réponse pour  la gestion des enfants malais issus d’union mixte. L’intérêt du pouvoir colonial est l’intériorisation, par le biais d’institutions scolaires, de l’appartenance de cette jeunesse malaise à l’ensemble européen. L’idée sous-jacente est que les mères autochtones et le mode de vie indigène représentent à la fois des influences néfastes pour leur développement intellectuel ainsi que des sources amenant à des pertes de repères, entre appartenance malaise et européenne. (Stoler, Ann-Laura. 2005, pp.75-101).

Pour se faire, le pouvoir colonial met en place des écoles spécifiques pour les « enfants européens des Indes néerlandaises ». Malgré les faibles informations concernant le type d’éducation délivrée, il apparait qu’elle diffère de celle proposée dans les écoles coloniales de la jeunesse indigène non-mixte. Ces derniers, face à un système scolaire orienté vers l’instruction laborieuse, comme la formation industrielle et agricole, n’ont pas pu bénéficier à l’instar des enfants mixtes, d’une éducation religieuse et scientifique sur le modèle des écoles européennes. L’objectif étant d’en faire des néerlandais mixtes mais à l’identité européenne commune. En somme remplacer l’autorité familiale et la substituer par le biais des écoles en raison de l’influence jugée néfaste des colonies et du cercle familial primaire (négligence domestique, manque d’instruction, influence néfaste du mode de vie indigène…). (Kratoska, Paul H. 2005, p.140)

Ainsi, le dilemme fondamental de cette situation résulte dans l’ambivalence entre les avantages et les inconvénients des politiques d’inclusion et d’exclusion. Par l’institutionnalisation d’un enseignement scolaire spécifique, c’est le contrôle et la production des sentiments d’appartenance qui sont en jeu. Afin d’une part de renforcer le contrôle de l’Etat sur les colonies et d’endiguer les possibilités de révoltes futures des enfants mixtes vis-à-vis de la situation coloniale. (Stoler, Ann-Laura. 2013, pp.295-299)

Un aspect appuyant l’idée d’appartenance à l’ensemble européen se trouve dans la création d’école liant à la fois enfants mixtes et enfants néerlandais nées dans la colonie malaise. Ainsi, la domination coloniale semble se définir par des particularités physiques et génétiques institutionnalisées mais délaissant l’usage de la ségrégation raciale. L’idée sous-jacente est celle d’une domination sociale par le spectre de « l’européanité », entendu comme une caractéristique transmise et protégée par le pouvoir colonial néerlandais. (Bertrand Romain. 2007, pp.115-139 ).

La gestion des métisses est un outil de légitimation de la différence qui fait la promotion d’un rapport et d’un accès inégale à l’éducation ; une caractéristique coloniale qui légitime la dichotomie entre « eux » et « nous ». Une distinction malléable, inclusive ou excluante, légitimant dans le contexte de l’éducation coloniale un accès et un traitement différencié.

 

BIBLIOGRAPHIE

Borne, Dominique & Falaize, Benoît. 2009. Religions et colonisations XVIe-XXe siècle : Afrique – Océanie – Amériques. Paris : Éditions de l’Atelier.

https://books.google.fr/books?id=3qlZ5GNsEMQC&printsec=frontcover&dq=ebook+religion+et+colonisation+Dominique+Borne&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjbmNr4sJHpAhWhAWMBHeR1AFkQ6AEIMzAB#v=onepage&q&f=false

Kratoska, Paul H. 2005. Récits divergents d’une histoire commune : la Malaisie et Singapour. Paris : Outre-Terre.

https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2005-3-page-139.htm

Stoler, Ann-Laura. 2005. Genre et moralité dans la construction impériale de la race. Paris : Actuel Marx.

https://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2005-2-page-75.htm#s1n5

Stoler, Ann-Laura. 2013. Une éducation sentimentale. Les enfants sur la brèche impériale in « La Chair de l’empire. Savoirs intimes et pouvoirs raciaux en régime colonial ». Paris : La découverte.

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