Cambodge – L’enseignement colonial français, outil d’assimilation inapproprié et réadapté

La colonisation du Cambodge prend la forme d’un protectorat dès 1883. En perdant une part de son indépendance dans la gestion des affaires internes du pays, l’Etat cambodgien gagne en contre-partie une protection face aux velléités de ces voisins thaïlandais et vietnamiens. Avec ce nouveau statut de colonie de l’Empire français, la royauté doit laisser libre court aux administrateurs étrangers dans le choix des réformes nationales.

L’échec de l’assimilation par la langue française

L’objectif principal de l’éducation coloniale française est lié à l’apprentissage de la langue. L’intérêt est de permettre la formation d’indigènes « utiles » pour les administrateurs en formant des interprètes, des télégraphistes et donc pouvoir gagner la sympathie des cambodgiens face aux possibles soulèvements populaires. En lien avec le projet impérialiste colonial qui touche à la fois les programmes scolaires, les enseignants, la pédagogie et les élèves cambodgiens ; il apparait qu’en pratique le remplacement de la langue khmère dans l’enseignement est un échec. La principale limite de l’enseignement colonial en français est liée à l’incompatibilité entre les deux langages. Plus encore, en dehors du cadre de l’école primaire, principale institution scolaire et la plus accessible pour les autochtones, les étudiants n’utilisent plus la langue importée dès l’acquisition de l’indépendance en 1953. Aussi, les enseignants cambodgiens formés par les administrateurs français ne maîtrisent pas suffisamment sa pratique écrite et oral pour la diffuser. (Khin, Sok. 1999, pp.296-300)

C’est l’une des explications du phénomène de « khmérisation de l’enseignement », processus enclenché par les administrateurs coloniaux face à la faiblesse des résultats scolaires et de la formation des intermédiaires indigènes. Cependant, une fois l’acquisition de l’indépendance, ce processus continue jusqu’au champ de l’administration, sauf concernant les relations diplomatiques, et permet à la fois d’améliorer l’enseignement primaire et secondaire tout en accélérant le projet d’union nationale. Un processus de remplacement et de réappropriation culturelle et éducative achevé dès l’année scolaire 1973-1974.

École chinoise de Battambang réadaptée par le pouvoir colonial (auteur inconnu, Bureau de la presse et de l’information, Service Ciné-Photo Paris – 1889-1890)

Moderniser l’impérialisme colonial en s’inspirant des héritages scolaires traditionnels

La réforme de l’enseignement primaire a comme objectif fondamental la rénovation des écoles de pagode. Institution scolaire traditionnelle, principalement réservée aux garçons et liée à un enseignement délivré par des personnels (les bonzes) et manuels religieux liés au moral bouddhique. L’avantage de ce système est d’abord lié à son implantation dans l’ensemble du territoire ainsi que son acceptation par les indigènes. (Brocheux, Pierre & Hémery, Daniel. 2001, pp.213-244)

Dans ce contexte, Louis Manipoud, professeur et inspecteur de l’enseignant primaire français installé au Cambodge en 1912, représente l’une des figures de la rénovation de ce système et de son adaptation pour améliorer l’alphabétisation et l’acquisition des connaissances de base. Acteur essentiel du projet colonial mais motivé par le bien-être des cambodgiens, illustré par l’apprentissage de la langue locale et son acceptation par de nombreux villages, son projet de rénovation scolaire est un succès. En 1924, une seule pagode a été rénovée et uniquement 53 élèves cambodgiens avaient accès à l’éducation occidentale. Dès 1952, on compte 76 943 inscrits dans plus de 14 000 pagodes sur l’ensemble du territoire et délivrant uniquement un enseignement dans les langues locales, bien que le français et l’anglais soient des langues vivantes obligatoires dans les cursus primaires et nécessaire pour l’accès à l’éducation supérieure. (Bezançon, Pascale. 1995, pp.455-487)

Chantiers de rénovation d’une pagode dans le Cambodge colonial (auteur inconnu, Archives Nationales du Cambodge –  10 décembre 1926)

Rationalisation et diversification de l’enseignement colonial

L’une des particularités de l’enseignement colonial français est la volonté de limiter l’influence du personnel religieux. En plus de l’apprentissage du français, l’objectif de la métropole est de mettre en place un système éducatif basé sur les savoirs techniques et rationnels en lien avec la modernité républicaine et laïque. En ce sens, l’enseignement primaire, secondaire et supérieur introduisent de nouvelles matières dont l’arithmétique, l’histoire, les sciences naturelles ou encore la géographie. En calquant l’enseignement métropolitain, tout en y ajoutant des matières enseignées en langues khmères et locales, la volonté coloniale est la lutte contre le chômage et l’enseignement traditionnel des pagodes orienté principalement vers la riziculture. L’école française se focalise vers de nouveaux débouchés dont la fonction publique mais aussi vers les professions libérales et scientifiques dont l’accès reste réservé aux étudiants atteignant les programmes du supérieur. (Van Thao, Trinh. 1993, pp.169-186)

Salle de classe coloniale de Phnom Penh (auteur inconnu, Archives Global Voices – 1927-1930)

Par exemple, la division des spécialités entre 3 ordres se divise d’abord dans une section A littéraire orientée vers les professions d’avocats, d’administrateurs, de commerçants ou d’artistes. La section B est liée aux professions scientifiques, dont la formation d’ouvriers qualifiés, de techniciens et d’ingénieurs. Enfin, la section C, axée vers les professions médicales permet la formation des étudiants cambodgiens du supérieur vers les professions de vétérinaires et de médecins.(Khin, Sok. 1999, pp.296-300)

Plus encore, la première école d’enseignement artistique d’Indochine est créée dès 1917 au Cambodge. En lien avec la volonté de maximiser l’approbation des indigènes à l’éducation coloniale tout en les initiant à la modernité occidentale, les administrateurs coloniaux ont introduit des programmes architecturaux et artistiques pour restaurer l’art khmère. Par exemple, on retrouve à l’école des arts de Phnom Penh, 3 classes orientées vers la maitrise de la céramique, de l’art décoratif, de la gravure et de l’ébénisterie. Aussi, l’introduction des nouvelles technologies, dont la radio et la cinématographie sont des outils utiles pour montrer la supériorité de l’enseignement colonial tout en innovant les techniques d’enseignements. (Brocheux, Pierre & Hémery, Daniel. 2001, pp.213-244)

 

BIBLIOGRAPHIE 

Khin, Sok. 1999. La khmérisation de l’enseignement et l’indépendance culturelle au Cambodge. Paris : Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient.

https://www.persee.fr/doc/befeo_0336-1519_1999_num_86_1_3414

Van Thao, Trinh. 1993. L’idéologie de l’école en Indochine (1890-1938). Paris : Revue du Tiers monde.

https://www.persee.fr/doc/tiers_0040-7356_1993_num_34_133_4832

Bezançon, Pascale. 1995. Louis Manipoud, un réformateur colonial méconnu. Paris : Revue française d’histoire d’outre-mer.

https://www.persee.fr/doc/outre_0300-9513_1995_num_82_309_3370

Barthélemy Pascale. 2010. L’enseignement dans l’Empire colonial français (XIX-XXe siècles). Paris : Histoire de l’éducation.

Brocheux, Pierre & Hémery, Daniel. 2001. « 5. Les transformations culturelles », in Indochine, la colonisation ambiguë. 1858-1954. Paris : La Découverte.

https://www.cairn.info/indochine-la-colonisation-ambigue–2707134120.html

 

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