Indonésie: La construction d’un système scolaire colonial comme outil de réorganisation sociale et professionnelle

L’éducation coloniale néerlandaise en Indonésie est un exemple de gestion des intérêts économiques et religieux avec l’extension de l’accès à l’éducation pour l’ensemble des populations indigènes. Avec la politique éthique de 1901 à 1926 dans les Indes néerlandaises, la principale ambition est : « l’avancement intellectuel et moral des indigènes d’Indes orientales » (Bertrand, R. 2007, pp.115-139). Pour l’atteindre, le choix est de favoriser l’adhésion des populations de Java à la modernité chrétienne et améliorer le bien-être matériel grâce à l’emploi, la lutte contre les maladies, les infrastructures…. Pour obtenir ce soutien et cette assimilation des indonésiens, l’éducation et sa généralisation sont des mécanismes essentiels.

Salle de classe de l’école médicale de Surabaya (Tropenmuseum, Amsterdam, Pays-Bas – 1925)

 

Une politique éducative de masse axée sur l’instruction agricole

Cette réforme a permis une floraison de nouvelles institutions scolaires ainsi qu’une restructuration du parcours primaire. En 1907, la création des desaschool (« écoles rurales »), installées dans les villages et dans les zones les plus éloignées de Jakarta, représentent 5 ans plus tard 2 500 établissements pour des milliers de jeunes autochtones. Les inlandsch-vervolgscholen, écoles pour adultes indigènes, montrent le caractère pluri-générationnel de ce système scolaire pour permettre une intégration à l’ensemble de la population indonésienne. C’est pourquoi on observe qu’entre 1900 et 1931, la scolarisation coloniale a été multiplié par 6, soit près 1, 7 millions d’indonésiens ! (mais uniquement 178 autres en études supérieures) ! (Bertrand, R. 2007, pp.115-139)

École rurale mixte (desaschool) (Tropenmuseum, Amsterdam, Pays-Bas, date et auteur inconnus)

Le levier principal de cette éducation sont les missionnaires chrétiens, pour l’évangélisation et la gestion des établissements et des enseignements scolaires. Bien que les écoles européennes et indigènes ont des professeurs religieux, dans les dernières l’objectif est l’instruction agricole avant l’éducation : « La culture de légumes constituait ainsi une niche économique des plus intéressantes en situation coloniale, puisque les Hollandais étaient friands de choux et de pommes de terre (des denrées qui ne figuraient pas parmi les plats de prédilection de la petite paysannerie javanaise qui cultivait surtout, comme plantes secondaires, du maïs et de la cassave) ». (Bertrand, R. 2007, pp.115-139)

L’éducation technique coloniale est présente depuis 1881 avec les institutions d’éducation professionnelle à Sumatra et Java. Un moyen de donner une vocation pratique et professionnelle : « advanced education should be of a definetely utilitarian type and mainly directe to the improvement of agriculture, animal husbandry and health » (Furnivall, S. John. 2011, p.380). C’est l’une des explications des faibles niveau d’alphabétisation : « les indigènes développèrent de surcroît un rapport instrumental à l’institution, […], ils sollicitaient les ouvrages de conseils utiles et délaissaient les comptines moralisatrices, jugées ennuyeuses » (Bertrand, R. 2007, pp.115-139).

 

Une émancipation des femmes autochtones selon l’appartenance sociale

Portrait de Raden Adjeng Kartini (Tropenmuseum, Amsterdam, Pays-Bas – 1890-1904)

En plus de répondre aux demandes économiques et agricoles d’Amsterdam, cette politique d’éducation de masse et de « mise au travail », a aussi permis l’inclusion des femmes. Cette formation coloniale est accompagnée d’une d’assignation sexuelle avec des emplois spécifiques ; ce qui permet une relative émancipation économique mais les cantonnent à des professions principalement ménagères (Barthélémy, P & Rogers, R. 2013, pp. 370-378). Aussi, l’accès aux études supérieures représente une voie réservée aux femmes des élites locales les plus riches et proches du pouvoir hollandais. Bien que le parcours scolaire des jeunes indonésiennes reste limité au niveau primaire, pour d’autres, les études supérieures sont une voie envisageable. L’éducation représente donc moyen pour une minorité d’approfondir le mouvement d’émancipation des femmes de l’archipel et permet de nouvelles perspectives de mariage et de carrière professionnelle. (Barthélémy, P & Rogers, R. 2013, pp. 370-378).

 

Ouverture de la « Kartini school » à Bogor, Jakarta (auteur inconnu – Mai 1915)

Randen Ajeng Kartini (1879-1904) est issue de la noblesse javanaise et ses études supérieures lui ont permis l’accès au métier d’enseignante (Barthélémy, P & Rogers, R. 2013, pp. 370-378). Elle a milité pour une réforme de la politique coloniale face aux inégalités de sexes, en créant notamment une école primaire réservée aux jeunes filles indonésiennes et sans discrimination sociale. Elle représente aujourd’hui l’une des pionnières des luttes pour les droits des femmes en Indonésie.

 

 

La langue d’enseignement comme outil d’acculturation et de distinction

L’éducation néerlandaise s’est principalement faite en langue malaise. L’intérêt est de limiter le système d’éducation islamique, plus ancien, en utilisant la langue locale. D’abord l’objectif est de réorganiser les villages les moins islamisés en installant une école et une église comme centre, puis d’utiliser le Bureau de religion, Kantor Agama, pour gérer les fêtes, la nomination des imams qui eux aussi ont un rôle dans l’éducation islamique dans l’archipel (Steebrink, K. 2011, pp. 27-52). En plus, l’éducation chrétienne en malais et la traduction de la Bible et des ouvrages scolaires dans toutes les langues tribales ont facilité son acceptation et l’endiguement des écoles musulmanes en Indonésie. Cette différenciation a créé deux systèmes scolaires parallèles, l’un en malais catholique dominant et l’autre musulman en javanais (Steebrink, K. 2011, pp. 27-52).

 

 

BIBLIOGRAPHIE

Barthélémy, Pascale. & Rogers, Rebecca. 2013. « 35. Enseignement et genre en situation coloniale (Maghreb, Afrique, Inde, Indonésie, Indochine ». in Maruani, M. Travail et genre dans le monde: L’état des savoirs (pp. 370-378). Paris: La Découverte.

https://www.cairn.info/travail-et-genre-dans-le-monde–9782707174567-page-370.htm

Bertrand, Romain. 2007. La « politique éthique » des Pays-Bas à Java (1901-1926). Paris : Vingtième siècle. Revue d’histoire.

https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2007-1-page-115.htm

Furnivall, S. John. 1948. Colonial Policy and Practice : A comparative study of Burma and Netherlands India. University of Michigan Library. En ligne.

https://quod.lib.umich.edu/cgi/t/text/text-idx?c=acls;cc=acls;view=toc;idno=heb02456.0001.00

Steebrink, Karel. 2011. L’exception indonésienne. L’idéal d’un pluralisme contrôlé en butte à la réalité des conflits historiques. Paris : Histoire et missions chrétiennes.

https://www.cairn.info/revue-histoire-monde-et-cultures-religieuses1-2011-3-page-27.htm?contenu=resume

 

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