La présidence de Duterte: Face aux enjeux environnementaux

Par Elisabeth Charron

Le 15 mars 2019, la population philippine s’est jointe à de nombreux pays dans le mouvement de grève internationale qui visait à lutter contre les changements climatiques (Barclay, 2019). L’archipel subit les conséquences directes du réchauffement planétaire alors que l’intensité des tempêtes tropicales touchant régulièrement la côte nationale augmente et que les paysages naturels du pays se détériorent rapidement. L’île de Boracay, une destination touristique populaire à l’échelle internationale, reflète les enjeux environnementaux actuels de l’État philippin. Afin de gérer ces derniers, le président Rodrigo Duterte se tourne vers des politiques offensives radicales bien qu’il traite les enjeux internationaux en s’appuyant sur un discours défensif.

Durant les cinquante dernières années, l’industrie touristique de l’Asie du Sud Est s’est rapidement développée due aux nombreux bénéfices économiques qui y sont reliés. En effet, le ‘boom’ touristique a permis l’importation de la monnaie étrangère dans les États asiatiques ainsi que la génération de nombreux emplois, contribuant au développement économique des pays asiatiques. Cependant, ces avantages ont majoritairement été accompagnés de conséquences néfastes affectant l’environnement naturel des pays. Aux Philippines, la rapidité de la croissance du tourisme a contraint les municipalités à investir dans des plans d’urbanisations peu éclairés. Par conséquent, la construction hâtive d’infrastructures et le tourisme de masse a grandement contribué à la dégradation des côtes maritimes philippines (Henderson, 2011).

L’accumulation de déchets à Boracay

Dès 1997, les experts environnementaux de la région lancent l’alarme alors qu’ils constatent que les célèbres plages blanches de l’île de Boracay s’appauvrissent. Plus de vingt ans plus tard, l’érosion des côtes s’est aggravée : les racines des arbres ont été mises à nu, plusieurs déchets polluent le paysage de cette destination touristique et l’eau des rivages est maintenant de piètre de qualité. L’augmentation de visiteurs et d’habitants serait une des causes de la détérioration de l’environnement, mais les entreprises locales portent une grande partie du blâme. En effet, celles-ci sont soupçonnées de violer les lois environnementales imposées par le gouvernement provincial afin de déverser leurs eaux usées (Maquigad, King et Vottrel, 2015).

En avril 2018, plus de 600 policiers ont évacué l’île touristique de force. Cette décision radicale a été prise par le président Duterte sous la recommandation de plusieurs agences gouvernementales qui soutenaient qu’il était urgent de prendre des mesures actives afin de conserver l’environnement de Boracay (Phillip, 2018). Dans le bus de justifier la fermeture de l’île, le président a invoqué de nombreuses images graphiques et des propos grossiers pour décrier la situation. Cette mesure drastique a été sujette à de nombreuses controverses alors que Duterte n’a retenu que très peu de préoccupations envers les conséquences de la fermeture de l’île. Le tourisme étant le seul revenu économique de la région, l’arrêt de l’industrie touristique de 6 mois a entrainé des pertes économiques importantes et représentait une menace pour les habitants locaux. Plus de 30 000 emplois et de nombreux employés ne sont pas revenus à la suite de la réouverture de l’île en octobre 2018 (Burgos et Nastor, 2019). Cependant, malgré la polémique entourant les actions radicales de Duterte, plusieurs soutiennent et applaudissent sa décision. Il est, en effet, le premier dirigeant qui ose dénoncer et punir les actions illégales des entreprises locales.

L’industrie touristique n’est pas la seule cause de la dégradation de la qualité du paysage naturelle de Boracay. En effet, l’exploitation des combustibles fossiles comme principale source énergétique dans le pays pose un risque environnemental dans l’entièreté des Philippines. Depuis 1995, l’industrie minière fut sujette à des politiques libérales qui ont permis l’exploitation privée de plusieurs régions, même celles qui étaient protégées. De ce fait, en promouvant l’exploitation minière, les anciens gouvernements n’ont qu’aggravé les dégâts environnementaux et augmenté les risques d’inondations et de glissements de terrain (Bayod, 2018). Symbole d’espoir lors des élections de 2016, Duterte promet qu’il apportera du changement et que la protection de l’environnement est considérée comme une priorité pour son administration. Ainsi, il a su se distinguer des anciens présidents en se détachant des approches libérales et en proposant un discours populiste. Il prend une position ferme face aux compagnies minières et, depuis son entrée en poste, le président a ordonné la cessation de plusieurs de ces entreprises nuisibles tout en dénonçant la négligence des administrations qui le précèdent (Bayod, 2018).

La présence de soldats sur l’île de Boracay

La prise de position offensive de Duterte face aux enjeux environnementaux nationaux s’oppose aux discours défensifs qu’il tient sur les enjeux internationaux. Bien que radical, il préfère poser le blâme sur les autres acteurs de la scène mondiale sans prendre des décisions drastiques. En effet, Duterte ne déni pas l’urgence d’agir face aux changements climatiques, mais il renvoie la faute sur les grandes nations riches telles que la Chine et les États-Unis. Il soutient que ce sont eux qui sont responsables d’une grande partie de la pollution ayant des répercussions à l’échelle mondiale et qu’ils devraient agir en conséquence. De plus, le manque d’aide financière provenant des pays riches force les pays plus pauvres, tels que les Philippines, à se tourner vers des sources énergétiques polluantes, mais à faible coût (Winn, 2016). Ses déclarations reflètent une polarisation entre les pays du Nord et Sud face aux enjeux environnementaux alors que d’autres pays pauvres dénoncent également le manque de support de la part des pays riches. Par conséquent, Duterte soutient que l’Accord de Paris sur le climat est ‘stupide et inutile’. Toutefois, il finira par le signer quelques mois après son entrée en position alors que la pression provenant de la population et des membres de son administration augmente (Woody, 2016)

 

Bibliographie

Barclay, Eliza « Photos : Kids in 123 countries went on strike to protect the climate » The Vox, 17 mars 2019. <https://www.vox.com/energy-and-environment/2019/3/15/18267156/youth-climate-strike-march-15-photos>

Bayod, Rogelio. 2018. « The Future of the Environment and the Indigenous Peoples of the Philippines under the Duterte Administration » dans Social Ethics Society Journal of Applied Philosophy Special Issue : 229-253.

Burgos Jr., Nestor P.. « Despite Boracay reopening, many workers have not returned » Inquirer, 18 mars 2019. < https://newsinfo.inquirer.net/1096825/despite-boracay-reopening-many-workers-have-not-returned?utm_expid=.XqNwTug2W6nwDVUSgFJXed.1>

Henderson, Joan C. 2011. « Tourism Development and Politics in the Philippines » dans Tourismos : An International Multidisciplinary Journal of Tourism 6 (2) : 159-173

Maguigad, V., D. King & A. Vottrel. 2015. « Political Ecology, Island Tourism Planning, and Climate Change adaptation on Boracay, Philippines’ » dans Urban Island Studies 1 : 152–179.

Philip, Bruno. « Aux Philippines, Duterte fait fermer un paradis touristiques devenu un ‘cloaque’ » Le Monde, 25 avril 2018. < https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/04/25/aux-philippines-duterte-fait-fermer-un-paradis-touristique-devenu-un-cloaque_5290304_3216.html >

Winn, Patrick. « Philippines president calls rich countries hypocrites on climate change» USA Today, 4 août 2016. <https://www.usatoday.com/story/news/world/2016/08/04/president-philippines-climate-change/88068444/>

Woody, Christopher. « Philippines’ president is softnening his stance on a landmark climat deal » Business Insider, 7 novembre 2016. < https://www.businessinsider.com/philippine-president-duterte-paris-agreement-climate-change-2016-11 >

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