La présidence de Duterte aux Philippines: Le conflit de la mer de Chine Méridionale

Par Elisabeth Charron

Le 1er mars 2019, le secrétaire d’État américain a affirmé que les États-Unis sont prêts à supporter les Philippines dans l’éventualité d’une attaque entourant le conflit de la mer de Chine méridionale (Fonbuena et Kuo, 2019). Le survol d’un avion militaire américain au-dessus de la région convoitée le 4 mars a cependant créé de l’inquiétude chez le gouvernement philippin qui doute de la promesse américaine. Le secrétaire de la défense soutient que les actions des Américains risqueraient de lancer le pays dans un conflit militaire, ce qu’il souhaite éviter (Griffiths, 2019). La Chine soutient également que conserver la paix et la stabilité dans la région est primordial (Mendez, 2019).Ces discours prononcés par les trois pays reflètent bien le tournant de la position philippine face au conflit de la mer de Chine méridionale instauré par Duterte lors de son ascension au pouvoir en 2016.

Ligne en neuf traits

La source du conflit de la mer de la Chine méridionale réside dans la revendication territoriale chinoise qui s’appuie sur des droits historiques. Selon le gouvernement chinois, leur souveraineté s’étend jusqu’aux limites de la « ligne en neuf traits », une frontière réclamée après la Seconde Guerre mondiale. Cependant, le territoire maritime de plusieurs pays voisins chevauche les périmètres reconnus par la Chine. Les Philippines soutiennent que les récifs de Scarborough et les îles Spartly leur appartiennent bien que la présence chinoise dans cet espace maritime s’impose de plus en plus. Les deux pays convoitent cette région pour sa richesse en ressources naturelles, telles que les poissons et des réserves potentielles d’huile et de gaz, en plus d’être une route d’échange importante. En 2013, la Chine a commencé la construction de la « grande muraille de sable » afin d’établir son autorité sur le territoire. Cette muraille est composée de plusieurs îles artificielles utilisées comme forteresses militaires (Sanchez, 2017).

En 2013, le président philippin Benigno Aquino III considère l’augmentation de la présence de la Chine dans les régions réclamées par Manille comme une menace sérieuse. Il décide donc de riposter en priorisant la défense nationale du pays. Pour ce faire, l’administration d’Aquino met en place un programme de protection des frontières dans le but de dissuader la Chine de poursuivre son avancement. Cette initiative exige une modernisation des forces armées nationales et le gouvernement d’Aquino s’appuie sur la relation du pays avec les États-Unis : pour réaliser cette résolution, les deux États instaurent des patrouilles régulières effectuées conjointement, alors que les équipements militaires nécessaires pour défendre la région de la mer de Chine méridionale sont fournis par l’armée américaine (Cruz De Castro, 2016).

Une île artificielle construite par la Chine

En plus de l’augmentation de la présence militaire philippine, l’administration d’Aquino prend des mesures légales et libérales afin de limiter la souveraineté de la Chine dans la région maritime (Cruz De Castro, 2016). En janvier 2013, le gouvernement entreprend un procès d’arbitrage international qui vise à remettre en question les revendications de la Chine dans la mer méridionale de Chine et ainsi freiner son expansion maritime (Tiezze, 2018). En 2016, la Cour permanente d’arbitrage alloue la région convoitée aux Philippines, alors qu’elle proclame la présence de la Chine comme étant illégitime (Cruz De Castro, 2016). Cette décision a été ignorée par la Chine : la militarisation de la mer continue de progresser alors que le pays s’intéresse à la région maritime par conviction nationaliste et par désir d’acquérir les ressources naturelles de la région (Fonbuena et Kuo, 2019).

L’élection de Rodrigo Duterte en 2016 marque une prise de distance radicale avec les Américains ainsi qu’une transformation de la géopolitique du territoire maritime asiatique. Tout comme la Chine, Duterte décide d’ignorer le résultat du procès pour favoriser la relation diplomatique des Philippines avec son pays voisin. Le président craint que l’acceptation des allégations puisse amener des répressions de la part de la Chine sur les pêcheurs locaux et sur les bases militaires situées dans la région convoitée (Cruz De Castro, 2016). Dans le but ultime d’obtenir des bénéfices économiques en établissant une relation amicale avec la Chine, en dépit de la relation avec les États-Unis, il délaisse l’approche défensive et légale d’Aquino et opte plutôt pour résoudre les conflits d’intérêts par des négociations bilatérales (Tiezze, 2018).

La politique de relation étrangère de Duterte vise essentiellement à retrouver un équilibre politique avec la Chine par l’amélioration des relations économiques entre les deux pays. Il cherche ainsi à encourager la Chine à investir dans plusieurs projets d’infrastructures aux Philippines qui bénéficieraient aux deux pays (Cruz De Castro, 2016). La Chine propose également un développement commun des ressources naturelles de la mer de Chine méridionale, une possibilité qui intéresse Duterte (Tiezze, 2018). En avril 2019, les deux nations affirment désirer collaborer ensemble pourvu que la souveraineté des pays soit mutuellement respectée. Par un dialogue bilatéral, ils souhaitent maintenir une relation internationale amicale et ainsi éviter tous conflits qui pourraient compromettre des relations économiques futures. (Lee et Siu, 2019).

De plus, le président Duterte décide de prioriser la sécurité nationale interne, dont les enjeux entourant la résistance de Mindanao ainsi que la Guerre contre la Drogue. Pour ce faire, il prend ses distances avec les États-Unis en mettant fin au programme de modernisation commencé par l’ancien président et il abolit les patrouilles conjointes effectuées avec l’armée américaine. Ces décisions traduisent la volonté de Duterte d’améliorer la relation diplomatique avec la Chine, mais démontrent également la perte de confiance envers les États-Unis. Il ne juge pas pertinent de s’appuyer sur le traité de défense mutuel signé en 1951, car il doute fortement que les Américains honorent leur part de l’entente (Cruz De Castro, 2016).

 

Bibliographie

Cruz De Castro, Renato. 2016. « The Duterte Administration’s Foreign Policy: Unravelling the Aquino Administration’s Balancing Agenda on an Emergent China » dans Journal of Current Southeast Asian Affairs 35 (3) : 139–159.

Fonbuena, Carmela et Lily Kuo. « US commits to aiding Philippines in South China Sea. » The Guardian, 1 mars 2019. <https://www.theguardian.com/world/2019/mar/01/us-commits-to-aiding-philippines-in-south-china-sea>

Griffiths, James. «  Philippines warns US treaty could drag it into war as B-52 bomber flies over South China Sea. » CNN, 6 mars 2019. <https://www.cnn.com/2019/03/05/asia/philippines-defense-treaty-china-us-intl/index.html>

Mendez, Christina. « China downplays US commitment to defend Philippines in South China Sea. » The Philippine Star, 7 mars 2019. < https://www.philstar.com/headlines/2019/03/07/1899443/china-downplays-us-commitment-defend-philippines-south-china-sea>

Lee, Lynn et Phila Siu. « Philippines open for business with China, but stands firm on insisting Beijing respects its sovereignty : trade secratary » South China Morning Post, 25 avril 2019. < https://www.scmp.com/weekasia/geopolitics/article/3007711/philippines-open-business-china-stands-firm-insisting-beijing>

Sanchez, Jean-Noël. 2017. « Un an après l’entrée en fonction de Rodrigo Duterte. La révolution des relations diplomatiques entre les Philippines et les États-Unis » dans Savoir/Agir 41, (3) :83-91.

Tiezzi, Shannon. «  China-Philippines Relations : Can the ‘Rainbow’ last ? » The Diplomat, 22 novembre 2018.  <https://thediplomat.com/2018/11/china-philippines-relations-can-the-rainbow-last/>

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