Philippines: des efforts pour améliorer la lutte contre le travail des enfants

Par Jade Lee Kui

La place d’un enfant n’est pas dans les champs, ni dans les usines, ni dans l’armée, ni dans les mines : elle est uniquement à l’école. Pourtant, le travail des enfants est un mal persistant au XXIème qui prive des millions d’enfants d’une enfance, d’une dignité et d’une santé. Aux Philippines, le nombre d’enfants travailleurs âgés de 5 à 17 ans a reculé, passant de 4 millions (16.2%) en 2001[1] à 1.5 million (7.5%) en 2016[2]. Comment expliquer que ce chiffre soit à la fois aussi élevé et en diminution ?

 

Une enfance jetée aux ordures

Vulnérables aux ivrognes ou gangs dans les rues, renversés par des camions ou bulldozers à cause de leur petite taille la nuit[3], plus de 1500 enfants – vivant à la décharge publique Smokey Mountain – étaient des éboueurs en 1992[4]. Les choses devant bouger, l’OIT a mis en place le projet Smokey Mountain avec l’assistance des gouvernements du Pays-Bas et des Philippines durant la période 1989-1992. Celui-ci consistait à fournir une protection et des soins immédiats (ex : vaccination, repas à un prix subventionné) aux enfants avant de les réhabiliter et de les retirer de manière permanente du travail[5]. Ainsi, 1.200 enfants éboueurs ont eu accès à ces services et 160 ont remplacé leur travail par l’école[6].

Sous les pressions internationales, le gouvernement de Manille a même démoli le site en 1995 – relocalisant les éboueurs dans des logements publics. Cependant, le fléau de la pauvreté sévissant toujours, le problème est encore visible sur le site ainsi que dans les autres 700 décharges du pays[7].

 

L’éclat de l’or terni par le recours du travail des enfants dans les mines

Des milliers d’enfants risquent tous les jours leur vie en minant l’or, que ce soit en travaillant dans des mines instables de 25 mètres de profondeur[8] ou en s’exposant au mercure – métal toxique dangereux pour la santé[9]. Or, un cadre légal contre les pires formes du travail des enfants a été posé. Pourquoi cette situation perdure alors ? À cause d’un manque d’actions concrètes du gouvernement qui résulte d’une capacité technique et d’un personnel insuffisants[10]. Effectivement, un mécanisme permanent de suivi et de protection des enfants travailleurs est absent. Au ministère du Travail et de l’Emploi, les inspections sont effectuées par seulement 260 inspecteurs répartis dans 14 régions géographiques[11].

Toutefois, le gouvernement n’est pas le seul responsable de cette situation. Comme indiqué dans les Principes directeurs des Nations Unies sur les Affaires et les Droits humains, toutes les entreprises ont l’obligation de respecter les droits humains[12]. Or, au vu de l’ampleur du phénomène du travail des enfants dans les mines, cela ne semble pas être le cas. Ces compagnies de négoce et de raffinage d’or ne sont pas assez vigilantes et n’effectuent pas les vérifications requises afin de déterminer la provenance des matières premières essentiels à leur production. Ce n’est pas les moyens qui manquent mais bien la volonté de ces dernières. Il est dès lors nécessaire de faire en sorte qu’elles mettent en place des mécanismes de traçabilité jusqu’aux mines d’origine pour s’assurer qu’aucun enfant n’a travaillé.

 

Des défis mais pas insurmontables

Pauvreté, insuffisance du nombre d’inspection, multiples sont les défis qui entravent une lutte optimale contre le travail des enfants. Pour y remédier, le gouvernement a pris des initiatives. Par exemple, le projet CLEAR – financé par le Département américain du Travail – vise à renforcer le rôle des inspecteurs du travail dans la lutte contre le travail des enfants et à améliorer le système éducatif et les programmes de protection sociale[13].

Toutefois, les Philippines n’ont pas les ressources (financières, humaines) suffisantes pour surmonter seule les obstacles à leurs efforts de lutte contre le travail des enfants. La mobilisation de la communauté internationale joue donc un rôle significatif[14] – que ce soit par un partage de compétences et de connaissances ou bien par des récoltes de fonds publics ou privés. Or, mobilisation signifie sensibilisation en amont. Internet devient alors un outil de communication privilégié. Ainsi, le Département du Travail et Emploi, avec le support de l’OIT-IPEC, a développé un site web afin de fournir des informations sur les programmes contre le travail des enfants et de servir de référentiel pour les bonnes pratiques et les études de cas sur le travail des enfants[15].

 

Bibliographie :

Département Américain du Travail. Bureau des Affaires Internationales du Travail. 2002. 2002 Findings on the Worst Forms of Child Labor – Philippines. En ligne. https://www.dol.gov/ilab/reports/child-labor/findings/tda2002/philippines.pdf (page consultée le 13 Juin 2018).

 Département Américain du Travail. Bureau des Affaires Internationales du Travail. 2016. 2016 Findings on the Worst Forms of Child Labor – Philippines. En ligne. https://www.dol.gov/agencies/ilab/resources/reports/child-labor/philippines (page consultée le 13 Juin 2018).

Gunn, Susan E., and Zenaida Ostos. 1992. “Dilemmas in Tackling Child Labour: The Case of Scavenger Children in the Philippines.” International Labour Review 131: 629–46.

Human Rights Watch. 2015. “What … If Something Went Wrong?”: Hazardous Child Labor in Small-Scale Gold Mining in the Philippines. New York: Human Rights Watch.

McNeill, Daniel. 2009. “Angel of the Dump: Making a Difference in Manila”. The Independent (Londres). En ligne. http://www.independent.co.uk/news/world/asia/angel-of-the-dump-making-a-difference-in-manila-1743369.html (page consultée le 11 Juin 2018).

OIT – Philippines. 2014. Country Level Engagement and Assistance to Reduce Child Labour (CLEAR). En ligne. http://www.ilo.org/manila/projects/WCMS_124610/lang–en/index.htm (page consultée le 10 Juin 2018).

Sakellariou, Chris, and Ashish Lall. 2000. “Child Labour in the Philippines: Determinants and Effects.” Asian Economic Journal 14(3): 233–53.

Understanding Children’s Work. 2015. Understanding child labour and youth employment outcomes in the Philippines. En ligne. http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/—asia/—ro-bangkok/—ilo-manila/documents/publication/wcms_447853.pdf (page consultée le 11 Juin 2018).

 

Notes de bas de page:

[1] Bureau des Affaires Internationales du Travail, 2002 Findings on the Worst Forms of Child Labor – Philippines, 375.

[2] Bureau des Affaires Internationales du Travail, 2016 Findings on the Worst Forms of Child Labor – Philippines.

[3] C’était la nuit où les ordures les plus profitables étaient jetées. Gunn et Ostos, « Dilemmas in Tackling Child Labour », 629.

[4] Ibid., 630.

[5] Ibid., 632‑33.

[6] Ibid., 643.

[7] McNeill, « Angel of the Dump ».

[8] Human Rights Watch, « What … If Something Went Wrong? », 3.

[9] Le mercure attaque le système nerveux central et peut entraîner une invalidité permanente, y compris des lésions cérébrales, voire la mort. Plus l’enfant est jeune, plus le risque est sérieux. Ibid., 3.

[10] Ibid., 4.

[11] Sakellariou et Lall, « Child Labour in the Philippines », 251.

[12] Human Rights Watch, « What … If Something Went Wrong? », 33.

[13] OIT – Philippines, Country Level Engagement and Assistance to Reduce Child Labour (CLEAR).

[14] Understanding Children’s Work, Understanding child labour and youth employment outcomes in the Philippines, 76.

[15] Ibid., 61.

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