Singapour: À l’intersection des relations régionales et internationales

Par Antony Masso-Lussier

« Elle a un pied à l’Est et un pied à l’Ouest, elle est ultramoderne. Singapour a été le choix sûr pour une première rencontre historique entre les dirigeants imprévisibles des États-Unis et de la Corée du Nord. », pouvait-on lire dans une dépêche de Straits Times, journal singapourien, le 11 mai 2018.

Indirectement, Singapour révèle au monde entier une culture hybride entre les intérêts internationaux et régionaux. En fait, en quoi la culture de Singapour lui donne-t-elle un avantage dans les relations internationales ?

Singapour tire son avantage culturel dans son développement historique britannique. Néanmoins, elle recalibre son image culturelle pour centrer sa place entre ses intérêts régionaux et globaux. Enfin, elle profite de cette position en faisant converger les flux internationaux vers la cité-État.

Histoire modernisée de la cité-État

Singapour maintient l’importance commerciale de la période coloniale britannique. Pour ce faire, la cité-État adapte ses structures portuaires aux réalités commerciales régionales. La création de la Port Singapore Administration aide à devenir le port le plus occupé du monde dès 1980 (Hack, Margolin, et Delaye 2010, 339).

(G. R. Lambert & Company 1900)

De plus, le maintient des réseaux de commerçants chinois de l’Asie du Sud-Est la positionne comme pôle régional du transport de passager. Comme Kratoska, Nordholt et Raben (2005, 259) l’expliquent, le positionnement de Singapour comme troisième aéroport en importance dans la région montre l’importance de son rôle d’interaction entre ces populations.

Après son indépendance, Singapour maintient les structures organisationnelles mises en place par les Britanniques. D’une part, le maintien de la règle de droit l’avantage dans la région. Pour les investisseurs, confrontés à des situations instables dans la région, les « couts de transaction pour négocier et se protéger » s’avèrent plus faibles (Kratoska, Nordholt, et Raben 2005, 259).

D’autre part, elle utilise cet avantage pour spécialiser son rôle dans la région. Ainsi, elle garde, comme à l’époque coloniale, « ses postes de gestion de haut niveau et ses fonctions financières »(Kratoska, Nordholt, et Raben 2005, 259).

En bref, Singapour maintient son importance commerciale léguée par son époque coloniale. De plus, ses différences organisationnelles maintenues lui donnent un avantage comparatif dans la région.

Affirmation de l’appartenance à la région

Pour assurer sa stabilité à long terme, la cité-État vise le statut de ville mondiale. Dès lors, elle instaure une politique « d’asianisation » des valeurs de la société pour se différencier du monde occidental (Hack, Margolin, et Delaye 2010, 235). Par exemple, les organisations nationales changent les méthodes d’évaluation occidentales pour les adapter au contexte culturel de l’Asie (Velayutham 2007, 66; Yeoh 2005, 948; Yew 2013, 169).

Par le fait même, l’État singapourien crée de nouvelles institutions culturelles de calibre international. Ces infrastructures, qui mettent l’accent sur l’histoire asiatique de sa population, rapportaient 6 % du produit intérieur brut en 2012 (Hack, Margolin, et Delaye 2010, 357).

Dans cette optique de ville mondiale, les citoyens constituent des « ambassadeurs culturels » de leur nation. En effet, le gouvernement met en place des cours intensifs de chinois, de malais et de tamoul pour former des « étudiants bilingues, ainsi qu’une élite biculturelle » (Hack, Margolin, et Delaye 2010, 365‑66).

De plus, les politiques continuent de promouvoir la nécessité de l’anglais comme langue internationale. Ainsi, les étudiants apprennent l’anglais, ce qui distingue le pays comme intermédiaire pour l’Asie (Yew 2013, 168).

En résumé, Singapour se rapproche culturellement de ses États voisins. Par ailleurs, le gouvernement forme des « élites » culturellement adaptées pour traiter avec les interlocuteurs régionaux et internationaux.

Capitale mondiale de l’Asie ?

Les ambitions de Singapour visent même de devenir la « capitale mondiale de l’Asie ». En ce sens, elle se distingue comme plateforme de l’Occident dans la région. Les États-Unis représentaient 20,6 % des investissements directs étrangers sur l’ile en 2016, tandis que l’Europe comptait pour 30,8 % (Department of Statistics Singapore 2018a).

(chenisyuan 2011)

Néanmoins, elle demeure la plateforme d’interaction régionale. En effet, en 2016, la cité-État effectue 50,1 % de ses investissements directs à l’étranger en Asie, notamment en Chine, à Hong Kong, en Malaisie et en Indonésie (Department of Statistics Singapore 2018c, 2018b; Kratoska, Nordholt, et Raben 2005, 259).

Pour consolider son positionnement, le gouvernement veut occuper de nouvelles niches. D’une part, Singapour développe une politique pour devenir un pôle de connaissance international. Ainsi, la République de Singapour signe des partenariats de recherche et de mobilité étudiante avec des institutions à l’international (Yew 2013, 148).

D’autre part, la mise en valeur des sites touristiques culturels asiatiques augmente la visibilité de Singapour. Dès lors, la cite-État attire les visiteurs du Japon, de la Thaïlande, de la Corée, de Hong Kong, de la Malaisie et de la Chine (McKercher et Koh 2018).

En résumé, la cité-État se positionne au centre des flux de capitaux régionaux et internationaux. De plus, elle diversifie son offre en tant que ville mondiale.

Entre l’international et le régional

En conclusion, l’histoire préindépendance de Singapour constitue une base culturelle de son développement moderne. Néanmoins, elle la complémente dans l’optique de mieux s’ancrer dans les réseaux régionaux. Enfin, le statut de ville mondial de la cité-État se confirme et se diversifie.

Le sommet entre les États-Unis et la Corée du Nord se tient dans un pays qui, par des politiques successives, modèle une culture nationale tournée vers l’extérieur. D’une certaine manière, Singapour « devient le médiateur entre l’international et le régional » (Yew 2013, 168). Maintenant, il ne reste qu’à voir si ce rôle joué par Singapour lui bénéficiera à long terme.

 

 

https://youtu.be/OPimRIxIo_o

Dans ce vidéo, le Premier ministre de Singapour présente que les fondements du soft power singapourien découle « naturellement » de la culture du pays (Prime Minister’s Office, Singapore 2015).

 

 

 

Bibliographie

Agence France Presse. 2018. « Why Singapore for the Trump-Kim summit? » Straits Times (Singapour),. En ligne. https://www.straitstimes.com/world/united-states/why-singapore-for-the-trump-kim-summit (page consultée le 3 juin 2018).

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  1. R. Lambert & Company. 1900. Photographic Views of Singapore Plate 09 Boat Quay. En ligne. https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Photographic_Views_of_Singapore_Plate_09_Boat_Quay.jpg (page consultée le 3 juin 2018).

Hack, Karl, Jean-Louis Margolin et Karine Delaye. 2010. Singapore from Temasek to the 21st Century: Reinventing the Global City. Honolulu: University of Hawaii Press.

Kratoska, Paul, Henk Schulte Nordholt et Remco Raben, dir. 2005. Locating Southeast Asia: Geographies of Knowledge and Politics of Space. 1 edition. Singapore : Athens: Ohio University Press.

McKercher, Bob et Edward Koh. 2018. « Do attractions “attract” tourists? The case of Singapore ». International Journal of Tourism Research 16 (6): 661‑71.

Prime Minister’s Office, Singapore. 2015. 11. On Singapore’s soft power (S Rajaratnam 2015). En ligne. https://www.youtube.com/watch?v=OPimRIxIo_o (page consultée le 3 juin 2018).

Velayutham, Selvaraj. 2007. Responding to Globalization: Nation, Culture and Identity in Singapore. ISEAS–Yusof Ishak Institute. En ligne. https://muse.jhu.edu/book/18320 (page consultée le 31 mai 2018).

Yeoh, Brenda S. A. 2005. « The Global Cultural City? Spatial Imagineering and Politics in the (Multi)cultural Marketplaces of South-east Asia ». Urban Studies 42 (5‑6): 945‑58.

Yew, Leong. 2013. Asianism and the Politics of Regional Consciousness in Singapore. Routledge.

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