Singapour: le développement d’une diplomatie de l’eau

Par Antony Masso-Lussier

À Singapour, 30 % de l’eau à la consommation domestique provient des eaux usées (Hakim 2017) . Heureusement, des précédés de purification assurent une pureté comparable à toute autre source d’eau. En fait, les Singapouriens dépendent en partie de la source d’approvisionnement située dans l’État de Johor en Malaisie (Tortajada et Biswas 2013, 14).

Les avancées technologiques singapouriennes dans la gestion de l’eau montrent l’importance accordée à une vision à long terme pour assurer leur indépendance hydrique. De plus, son expertise l’aide la mise en place de sa « diplomatie de l’eau » à l’international (Caballero-Anthony et Hangzo 2012b). Comment expliquer l’émergence d’une diplomatie de l’eau à Singapour ?

En premier lieu, la diplomatie de l’eau se développe par l’envie d’assurer son indépendance face à l’approvisionnement malais. Dès lors, la cité-État met en place des politiques de développement globales pour atteindre cet objectif. Enfin, l’acquisition d’expertise offre la possibilité à Singapour de se distinguer à l’international.

Sécurisation et incertitudes constantes

L’expulsion de Singapour de la Fédération Malaise, en 1965, soulève la menace d’approvisionnement en eau. À ce moment, le premier

Cette photo met en perspective le phénomène d’urbanisation à Singapour et le manque de ressources qui en découle (NASA GSFC Landsat/LDCM EPO Team 2005)

ministre, Lee Kuan Yew, réussit à négocier avec la Malaisie un accès aux sources jusqu’en 2061. En fait, la constitution malaisienne « garantit que le gouvernement de l’État de Johor respectera […] les conditions desdits deux Accords sur l’eau » (Tortajada et al. 2006, 46; Tortajada, Joshi, et Biswas 2015, 36‑37).

Néanmoins, la Malaisie entretient une incertitude quant à son respect de l’accord. Par exemple, en 1986, le parti du gouvernement malaisien menace de cesser l’approvisionnement en eau en raison de la visite du Président israélien à Singapour (Chakraborti et Chakraborty 2018, 41‑42; Hack, Margolin, et Delaye 2010, 93).

Le développement économique récent de la Malaisie constitue une menace à la continuité des approvisionnements d’eau. La Malaisie détient la possibilité de se passer de l’eau purifiée par Singapour. En fait, les investissements malaisiens dans les infrastructures hydriques améliorent la qualité de l’eau à des niveaux comparables à ceux que fournit la cité-État (Drolet 2009, 39; Hack, Margolin, et Delaye 2010, 285; Tortajada et al. 2006, 46).

Dès lors, l’opinion publique malaisienne presse le gouvernement de faire payer « le juste prix » à Singapour. La population souhaite que le gouvernement réponde d’abord aux besoins nationaux sachant que la croissance économique accroit la demande en eau (Drolet 2009, 40).

Enfin, dès l’expulsion de Singapour de la Fédération malaisienne, les gouvernements tentent de neutraliser la menace d’un arrêt d’approvisionnement en eau. Néanmoins, les développements économiques récents de la Malaisie menacent cette possibilité.

Développement interne, indépendance externe

Cette photo présente l’aménagement des plans d’eau avec les Gardens by the Bay (en français : Jardins au bord de la baie), le Supertree Grove (en français : le boisé des superarbres) et le jardin botanique en avant plan (dronepicr 2017).

Le gouvernement fait des aménagements structuraux dans la société pour arriver à l’autonomisation à long terme. Le gouvernement coordonne l’expertise sur la gestion de l’eau. Ainsi, le gouvernement crée une société d’État censée garantir un accès en eau adéquate aux besoins de la population (Drolet 2009, 34; Tortajada et al. 2006, 46).

En même temps, le gouvernement réaménage le territoire pour « protéger les sources d’eau ». Dès lors, le gouvernement développe la ville pour assurer une rétention en eau sur deux tiers du territoire, tout en intégrant les plans d’eau au tissu urbain (Tortajada, Joshi, et Biswas 2015, 54).

Le gouvernement s’engage à former une expertise avant-gardiste singapourienne dans la gestion de l’eau. Il investit massivement dans la recherche et le développement. Par exemple, « en 2006, la Fondation nationale de recherche de Singapour [y] (NRF) investit 330 millions » (Tan, Lee, et Tan 2008, 310).

Par conséquent, Singapour détient de nouvelles capacités pour montrer son indépendance face aux menaces de la Malaisie. La mise au point de la technologie NEWater, qui assainit les eaux usées, la cité-État présente son intention à la Malaisie de substituer ses importations (Tan, Lee, et Tan 2008, 156; Tortajada et Biswas 2013, 23).

Bref, le gouvernement aménage les structures de Singapour pour augmenter son autonomie en eau. De plus, leur développement technologique diminue leur vulnérabilité face à la Malaisie.

Rôle internationalement reconnu

D’une part, le gouvernement singapourien transforme son expertise dans la gestion de l’eau en opportunité de croissance économique. Singapour devient un pôle de connaissances international sur les technologies de l’eau. Sans compter les dépenses privées, depuis les quatre dernières années, les organisations investissent « environ 2,7 milliards de dollars singapouriens liés aux activités de l’eau » (Biswas, Tortajada, et Izquierdo-Avino 2009, 247‑48; Tortajada et Biswas 2013, 113).

D’ailleurs, la revalorisation des sources d’eau se lie avec les impératifs de devenir un pôle touristique. Par exemple, le Singapore Tourism Board « choisit la rivière Singapour pour en faire une zone thématique […] dans le projet de créer un pôle international du tourisme » (Chang, Huang, et Savage 2004, 415; Tan, Lee, et Tan 2008, 148).

D’autre part, l’expertise de Singapour dans le domaine de l’eau confère un avantage dans les relations internationales. La cité-État peut influencer le cadre normatif international dans la gestion de l’eau. Après la signature d’ententes en 2012, Singapour agit comme pôle de recherche et d’entrainement régional pour l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) (Caballero-Anthony et Hangzo 2012b, 1‑2; Tan, Lee, et Tan 2008, 280‑88).

Singapour offre aussi son aide aux pays en situation de crise humanitaire. Par exemple, lors d’inondations en 2011, la cité-État utilise ses technologies de filtration d’eau au Cambodge et à la Thaïlande (Caballero-Anthony et Hangzo 2012b, 2, 2012a).

Décidément, la gestion de l’eau à Singapour se transforme en opportunité pour affirmer son rôle central dans la région. En ce sens, elle s’investit dans les relations internationales en tant qu’influence positive.

Vers une souveraineté affirmée à long terme

En somme, la diplomatie de l’eau singapourienne émerge de ses besoins d’assurer une sécurité d’approvisionnement en eau. Dès lors, la cité-État développe des solutions qui affirment de plus en plus son autonomie envers la Malaisie. Enfin, son développement à long terme s’arrime avec ses visées de devenir un pôle reconnu à l’échelle internationale.

Déjà, en 2011, la cité-État produisait assez d’eau pour se passer d’un renouvèlement des accords avec la Malaisie (Tan, Lee, et Tan 2008, 140). De plus, les analyses montrent que la cité-État détiendra une marge de manœuvre pour se suffire en eau vers 2061 (Tan, Lee, et Tan 2008, 140; Tortajada et Biswas 2013, 104). Entretemps, Singapour devra composer avec une Malaisie, dirigée par Mohamed Mahathir, prône à augmenter les tensions sur la péninsule (Zhai 2018).

 

 

 

Ce vidéo présente l’évolution de la gestion de l’eau à Singapour. Plus précisément, il présente l’élément déclencheur à la recherche d’une autonomie envers l’eau. Lee Kuan Yew résume l’attitude des autorités malaisiennes : « Si Singapour ne fait pas ce que je veux, je vais arrêter l’approvisionnement en eau » (govsingapore 2017)

Bibliographie

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Caballero-Anthony, Mely et Pau Khan Khup Hangzo. 2012a. From Water Insecurity to Niche Water Diplomacy: The Singapore Experience. S. Rajaratnam School of International Studies. En ligne. https://www.rsis.edu.sg/rsis-publication/nts/2646-from-water-insecurity-to-niche/ (page consultée le 6 juin 2018).

Caballero-Anthony, Mely et Pau Khan Khup Hangzo. 2012b. Singapore a Global Hydrohub: From Water Insecurity to Niche Water Diplomacy. S. Rajaratnam School of International Studies. En ligne. https://www.rsis.edu.sg/rsis-publication/nts/1880-singapore-a-global-hydrohub-f/ (page consultée le 4 juin 2018).

Chakraborti, Tridib et Mohor Chakraborty. 2018. « Water-Sharing Saga Between Singapore and Malaysia: A Historical Discord Revisited ». Asian Politics & Policy 1 (10): 36‑55.

Chang, Tou Chuang, Shirlena Huang et Victor R. Savage. 2004. « On The Waterfront: Globalization and Urbanization in Singapore ». Urban Geography 25 (5): 413‑36.

Drolet, Julie. 2009. La gestion de l’eau au coeur de l’aménagement du territoire à Singapour. Mémoire. Université de Montréal. En ligne. http://hdl.handle.net/1866/7948 (page consultée le 4 juin 2018).

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govsingapore. 2017. The Singapore Water Story. Singapour. En ligne. https://www.youtube.com/watch?v=Tgr_Wf1wmdA&feature=youtu.be (page consultée le 6 juin 2018).

Hack, Karl, Jean-Louis Margolin et Karine Delaye. 2010. Singapore from Temasek to the 21st Century: Reinventing the Global City. Honolulu: University of Hawaii Press.

Hakim, Lokman. 2017. Ever wondered where our water comes from? En ligne. http://www.gov.sg/news/content/ever-wondered-where-our-water-comes-from (page consultée le 4 juin 2018).

NASA GSFC Landsat/LDCM EPO Team. 2005. A true color image of Singapore, Johor and Riau Islands acquired on May 4, 2005 by Landsat 5 using TM bands 3, 2 and 1, on Landsat WRS-2 Path 125 Row 59. En ligne. https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Singapore_Landsat_5.jpg (page consultée le 6 juin 2018).

Tan, Yong Soon, Tung Jean Lee et Karean Tan. 2008. Clean, Green and Blue: Singapore’s Journey Towards Environmental and Water Sustainability. Singapour: Institute of Southeast Asian Studies.

Tortajada, Cecilia et Asit K. Biswas, dir. 2013. Asian Perspectives on Water Policy. 1re éd. Londres: Routledge.

Tortajada, Cecilia, Yugal Kishore Joshi et Asit K. Biswas. 2015. The Singapore Water Story: Sustainable Development in an Urban City-State. 1re éd. Londres ; New York: Routledge. En ligne. https://www.taylorfrancis.com/books/9781135125905.

Tortajada, Cecilia, Olli Varis, Asit K. Biswas et Jan Lundqvist, dir. 2006. Water Management for Large Cities. 1re éd. Londres: Routledge.

Zhai, Keith. 2018. « The Leader Who Wanted a ‘Crooked Bridge’ With Singapore Is Back ». Bloomberg.com. En ligne. https://www.bloomberg.com/news/articles/2018-05-13/the-leader-who-wanted-a-crooked-bridge-with-singapore-is-back (page consultée le 6 juin 2018).

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