Le triangle États-Unis–Philippines-Chine : La naissance d’un nouveau statu quo?

Par Claudia Serrano

 

Représentation du triangle Trump-Duterte-Xi

Depuis la fin des années 1990, puis à nouveau dans les années 2000, des tensions ont fait surface entre plusieurs pays d’Asie au sujet de la Mer Méridionale de Chine, notamment entre la Chine et les Philippines. Toutefois, mis à part ce conflit, les Philippines entretiennent une relation avec la Chine qui dépasse ces accrochages. Dans un monde où l’Empire du Milieu (中国) effectue une montée en puissance, le statu quo anciennement en place est remis en cause, en attendant le nouvel équilibre qui se crée graduellement. Les États-Unis, dont la présence en Asie du Sud-Est est menacée par le géant asiatique, ont ainsi intérêt à renforcer les liens déjà existants qu’ils ont créés, depuis maintenant plus d’un siècle, dans la région. Cet article porte sur triangle États-Unis–Philippines—Chine qui semble évoluer dans une direction différente de la tendance du début du millénaire.

 

Les États-Unis aux Philippines

Bien qu’étant un allié de longue date, l’opinion qu’ont les Philippins au sujet des États-Unis n’est pas unanime [1]. L’opinion positive découle de la présence américaine en sol philippin datant de la fin du XIXe siècle. Depuis, les États-Unis ont contribué notamment à la libération des Philippines de l’occupation japonaise lors de la Seconde Guerre mondiale, à l’avènement de leur indépendance [2], sans compter les influences culturelles et idéologiques qu’ils y ont laissées et la grande diaspora philippine vivant en sol américain [3].

À l’inverse, le passé colonisateur de la puissance américaine aux Philippines [4], l’augmentation de la criminalité dont la prostitution aux alentours des bases militaires aux Philippines ainsi que l’arrogance dont faisaient preuve certains officiers [5], ne sont que certains éléments venant ternir l’image des Américains dans l’État-archipel. Par ailleurs, dans le but de maintenir un climat de sécurité dans la région, Manille signe le Visiting Forces Agreement (VFA) en 1998 avec Washington pour permettre à celle-ci de reprendre pied en Asie du Sud-Est suite à la fin du Military Bases Agreement(MBA) en 1991 [6].

Ceci ne se produit que quelques années avant un nouveau rapprochement après les attentats du 9/11, qui cette fois avait comme objectif la lutte au terrorisme, suivi d’un autre rapprochement entre Manille et Washington, en raison du pivot américain mis en place par l’administration Obama et motivé par la volonté des États-Unis de préserver la liberté de navigation et le commerce en Mer Méridionale de Chine [7]. Cependant, malgré de nombreux rapprochements entre l’État-archipel et le géant occidental, c’est aux Philippines d’effectuer un pivotement en 2016.

 

Le renouveau sino-philippin

Le changement de direction diplomatique employé par le président philippin élu en 2016 marque une coupure avec les politiques internationales de l’administration précédente [8]. D’ailleurs, depuis l’avènement de nouvelles tensions en Mer Méridionale de Chine, le gouvernement philippin avait, en 2013, déposé une requête au sujet de ce conflit auprès de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye, qui lui a donné raison en 2016 [9].

Toutefois, contre toute attente, le président Rodrigo Duterte a non seulement ignoré cette réponse, mais « a transformé la politique étrangère des Philippines en effectuant un rapprochement spectaculaire avec son grand voisin » [10]. La volonté de Duterte de s’éloigner des États-Unis consiste d’abord en une critique du néo-colonialisme américain, mais est également le résultat des nombreuses carottes offertes au pays d’Asie du Sud-Est par Pékin [11]. Parmi ces offres alléchantes se trouvent la promesse d’un investissement de 24 milliards de dollars, la construction d’infrastructures dont des centres de désintoxication (qui va dans le sens de l’appui à la guerre contre la drogue de Duterte par la Chine, contrairement à l’Europe, les États-Unis et les Nations Unies qui l’ont à maintes reprises critiqué) ainsi qu’une invitation dans le projet de nouvelle route de la soie [12].

Cependant, la Chine, consciente qu’un revirement de situation demeure une probabilité plausible, reste prudente [13]. Quant à lui, Duterte, méfiant de la montée en puissance chinoise, préfère garder des liens avec les États-Unis à travers le maintien d’ententes précédemment conclues puis de son ouverture face à l’intervention des Américains à Marawi pour lutter contre le terrorisme. Le président philippin a d’ailleurs admis « que son adversaire était l’ancien président Barack Obama et le département d’État et non le peuple américain ou le président Trump » [14].

 

La stratégie philippine

Rodrigo Duterte, Vladimir Poutine, Donald Trump, Xi Jinping, Tran Dai Quang et Joko Widodo au sommet de l’APEC de 2017

L’opinion semble partagée quant à l’importance d’un multilatéralisme en Asie du Sud-Est à travers la présence de petites, moyennes et grandes puissances dans la région. Cette philosophie est d’ailleurs en concordance avec la voie de la neutralité énoncée lors de la Conférence de Bandung en 1955, un des trois objectifs déclarés de l’ASEAN. Manille, dont l’intérêt primordial est d’abord son propre développement et sa sécurité, a tous les avantages à pouvoir tirer profit de ses relations autant avec les États-Unis et la Chine, qu’avec les autres puissances avec lesquelles elle fait affaire.

La stratégie du hedging, employée par les Philippines, mais également par d’autres États de la région, lui permet une meilleure protection face aux risques que peuvent comporter ses alliances [15]. Toutefois, cette stratégie reste hautement critiquée à l’intérieur même des Philippines, certains préférant une plus grande rupture avec l’ancien colonisateur et d’autres, disant qu’« en échange de milliards de dollars, le président aurait fait trop de concessions à Pékin » [16].

 

 

 

 

Références

[1] Baviera 2015, 244

[2] Baviera 2015, 249

[3] Baviera 2015, 250

[4] Baviera 2015, 244

[5] Baviera 2015, 250

[6] Baviera 2015, 250; Wei Boon Chua 2017, 272

[7] Baviera 2015, 243-4

[8] Bonnet 2017, 1

[9] Bonnet 2017, 2

[10] Bonnet 2017, 1

[11] Bonnet 2017, 4-6

[12] Bonnet 2017, 4-6

[13]  (Bonnet 2017, 4)

[14] Bonnet 2017, 2

[15] Bonnet 2017, 3

[16] Bonnet 2017, 3

 

 

 

Bibliographie

Baviera, Aileen S. P. 2015. « Changing dynamics in Philippines-China-US relations ». Dans M. Li et K. M. Kemburi, dir. New Dynamics in US-China Relations : Contending for the Asia Pacific.New York : Routledge.

Bonnet, François-Xavier. 2017. « La carotte et le bâton : la diplomatie économique de la Chine envers les Philippines ». Observatoire de l’Asie du Sud-Est 2 (Juillet 2017) : 1-7.

Wei Boon Chua, Daniel. 2017. « United States’ pivot and Southeast Asia ». Dans S. Ganguly, J. Liow et A. Scobell, dir. The Routledge Handbook of Asian Security Studies. London : Routledge.

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