L’identité sino-thaïlandaise

Par Claire Tousignant

Thaïlandais? Chinois? Sino-thaïlandais! L’identité contemporaine des Thaïlandais d’origine chinoise est plutôt complexe. Ces citoyens du Royaume de Thaïlande se marient volontiers aux Thaïlandais, mais commercent davantage avec les Chinois. La relation qu’entretiennent les indigènes du pays avec cette minorité est tout aussi ambiguë. D’un côté, il y a tentative d’assimilation à travers l’éducation et de l’autre côté, les Sino-thaïlandais sont encouragés à utiliser leurs atouts personnels pour favoriser le développement de la nation. La relation entre ces deux groupes n’est donc pas simple et unilatérale, comme il serait tentant de le croire. De façon générale, on peut affirmer que la Thaïlande a été une terre d’accueil  attirante pour les Chinois, mais cette intégration ne s’est pas fait sans remous. C’est à travers l’éducation et la culture linguistique qu’on voit le mieux les subtilités de l’identité sino-thaïlandaise.

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(Photo 1[1])

24 juin 1932. Renversement de la monarchie absolue du Siam[2]. Le nationalisme populaire thaïlandais permet à un gouvernement à tendance fasciste de se hisser au pouvoir. La crise économique attise les tensions dans le pays. Les citoyens d’origine chinoise contrôlent déjà plusieurs aspects de l’économie, dont l’important marché du riz. Cette position privilégiée leur vaudra l’honneur d’être les bouc-émissaires nationaux[3]. Le terme ‘Juifs d’Orient’, désignant la diaspora chinoise, apparaît durant ces années tendues. Ce n’est pas un surnom des plus positifs, si on se rapporte au contexte des années 30. Avec l’arrivée de ce gouvernement nationaliste, l’éducation est uniformisée et l’immigration est ralentie par une panoplie de taxes supplémentaires. Ces restrictions à l’égard des immigrants chinois s’assoupliront rapidement, car en Thaïlande, les ressortissants chinois on un véritable pouvoir économique et politique. Ils détiennent 80% des capitaux et sont étroitement liés aux familles importantes du pays[4]. Ces deux aspects, ne peuvent tout simplement pas être négligés par les autorités thaïlandaises.

En comparaison avec les États voisins, le Royaume de Thaïlande se développe  calmement. Il n’y a pas d’émeute pour protester contre le pouvoir démesuré que possède la minorité sino-thaïlandaise, il n’y a pas de vague de violence à leur endroit. La Thaïlande est le seul pays d’Asie du Sud-est ayant échappé à la colonisation européenne. Cette indépendance permet au peuple thaïlandais d’être ouvert à l’égard des étrangers. Les sentiments de méfiance et de xénophobie ne sont pas aussi profondément inscrits dans la mémoire collective de cette nation, comparativement avec le Vietnam et l’Indonésie qui ont du se battre pour se libérer des forces armées étrangères et qui ont vécu l’oppression quotidiennement. Toutefois, la situation difficile de leurs compatriotes conscientise les Sino-thaïlandais et influence la formation de leur identité. À cela s’ajoute la volonté de la mère-patrie, la Chine, de susciter un sentiment de solidarité chez les membres de sa diaspora. À cet égard, elle créé le terme huaqiao pour désigner les Chinois d’outremers[5]. Cette stratégie est d’ailleurs payante pour la puissance qui attire énormément d’investissements sur la base du sentiment nationaliste.

Au fil des années, les Thaïlandais d’origine chinoise développent une identité qui leur est propre. Malgré les fermetures d’écoles chinoises durant la décennie de 1970 et l’interdiction législative d’apprendre le mandarin plus de cinq heures par semaine à cette même époque, la communauté a su traverser les tempêtes grâce à ses connexions économiques. Avec la libéralisation de la Chine, les Thaïlandais ont rapidement compris que les contacts de la diaspora chinoise étaient essentiels au développement du pays[6]. Aujourd’hui, le mandarin est devenue la langue de l’élite. Les Sino-thaïlandais sont généralement bilingues de par leur éducation. Les descendants chinois sont envoyés dans une école bilingue ou dans une école thaïlandaise et prennent des cours de mandarin le soir[7].

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Cette éducation mixte est une véritable richesse culturelle, dont les Thaïlandais d’origine chinoise profitent. Cette richesse linguistique leur permet d’entretenir leurs réseaux de contacts et de participer au système économique chinois, basé sur la confiance et les liens familiaux. Face à cette force et à ce dynamisme, les Thaïlandais laissent le secteur économique du pays entre les mains des Sino-Thaïlandais. Les natifs occupent plutôt le secteur militaire, policier et éducatif dans la fonction publique thaïlandaise[9]. C’est une sorte d’accord implicite qui existe entre ces deux communautés depuis plusieurs décennies. Le respect de cette tradition a permis à la Thaïlande d’éviter les affrontements sanglants qu’ont connu les autres États asiatiques mettant de l’avant des politiques discriminatoires. Comme nous l’avons vu précedemment, l’absence du phénomène de la colonisation en Thaïlande peut expliquer en grande partie l’harmonie qui existe entre ces deux groupes ethniques .

Durant la crise financière de 1997, le Premier Ministre Chaovalit Yongchaiyut a tenté de s’éloigner de ce respect mutuel en blâmant les Sino-thaïlandais pour la récession accablant le pays, mais il s’est aussitôt excusé publiquement, à la suite de pressions exercées par la puissante communauté[10]. De nos jours, on retrouve des Sino-thaïlandais dans les plus hautes sphères universitaire, culturelle, politique et journalistique. D’ailleurs, les hommes politiques émergent généralement du monde des affaires, secteur majoritairement occupé par les Sino-thaïlandais. Malgré qu’elle ne constitue qu’un dixième de la population, la diaspora participe activement à l’évolution de l’opinion publique[11]. Cette situation est unique pour les immigrants chinois et c’est pourquoi la Thaïlande attire autant les ressortissants d’origine chinoise. On voit d’ailleurs cette attitude d’ouverture à travers les évènements culturels qui représentent à la fois la culture chinoise et la culture thaïlandaise.

Bibliographie

Leveau, Arnaud. 2003. Le destin des fils du dragon. L’influence de la communauté chinoise au Vietnam et en Thaïlande. Paris : L’Harmattan.

Landon, Kenneth Perry.1940. «The Problem of the Chinese in Thailand». Pacific Affairs 13 (juin): 149-61.

Callahan, William A. 2003. «Beyond Cosmopolitanism and Nationalism: Diasporic Chinese and Neo-Nationalism in China and Thailand». International Organization 57 (été): 481-517.

Thompson, Mark R. 2008. «People Power Sours: Uncivil Society in Thailand and the Philippines». Current History (novembre): 381-7.

Bun, Chan Kwok et Tong Chee Kiong. 1993. «Rethinking Assimilation and Ethnicity: The Chinese in Thailand». International Migration Review 27 (no1 printemps): 140-68.


[1] http://farm4.static.flickr.com/3303/3212166561_9b02c2312a.jpg

[2] Thompson, p.382.

[3] Landon, p.151.

[4] Leveau, p.15.

[5] Callahan, p.492.

[6] Voir Leveau, p.207.

[7] Chan Kwok, p.151.

[8] http://english.hanban.org/e21sqlimg/200909/img20090915150635_1053797795.jpg

[9] Voir Chan Kwok, p.157.

[10] Callahan, p.495.

[11] Leveau, p.210.

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