Aimez votre voisin, mais ne détruisez pas votre clôture!

Par Claire Tousignant

Ce proverbe chinois résume bien la relation qu’entretient aujourd’hui la diaspora chinoise avec la population de la nation vietnamienne. Cette sorte d’amitié polie est le résultat d’une histoire difficile entre les deux peuples. Cohabitant sur le territoire du Vietnam, les accommodements des uns et des autres n’ont pas toujours été aisés. La libéralisation économique contemporaine de la région permet à la dynamique minorité d’origine chinoise de renverser l’image négative qu’entretenait jusqu’à récemment la communauté locale. Toutefois, le passé n’est pas si loin et plusieurs se souviennent encore des mauvais traitements qu’ils ont subis durant les années 70, lors de la réunification entre le sud et le nord du Vietnam.

« Being Chinese in Vietnam was not a very good idea at that time. »[1]

30 avril 1975. La guerre du Vietnam se termine avec la victoire communiste du nord sur le sud du pays. Les tanks entrent dans Ho Chi Minh Ville, capitale du Vietnam du Sud, jusqu’alors soutenue par la puissance américaine. Traditionnellement, beaucoup de Vietnamiens d’origine chinoise sont impliqués dans le commerce et font partie de la bourgeoisie locale. Ils représentent tout ce que les nationalistes communistes cherchent à abattre : les puissants bourgeois  étrangers  exploitant le Vietnam à travers l’industrialisation.

Image 1

Saigon, 30 avril 1975[2]

Rapidement, ils font figure de bouc-émissaire pour le nouveau gouvernement. Les argents sont confisqués, les compagnies sont nationalisées et les chefs d’entreprises sont emprisonnés. Les hôpitaux et les écoles de langue chinoise sont fermés. La Chine entame à cette époque des pourparlers avec Hanoi pour rapatrier les Vietnamiens de descendance chinoise. Le gouvernement refuse d’abord, sous prétexte qu’ils ont tous été naturalisés (de force) en 1954. Suite à plusieurs tractations, le gouvernement vietnamien cède aux demandes à contre-cœur[3]. Quelques années plus tard à peine, le Vietnam entre en guerre contre ses voisins cambodgiens et, évidemment, chinois. La persécution atteindra alors un nouveau sommet. Après avoir tout perdu, plusieurs familles décident de fuir le pays[4].

Après plusieurs années conflictuelles, la situation du Vietnam se stabilise et le gouvernement procède à une ouverture progressive à l’économie de marché. Ce renversement capitaliste vers la fin des années 80 sera une délivrance pour la diaspora chinoise. Celle-ci recommence lentement ses activités commerciales et peu à peu les tensions ethniques s’amenuisent, entre autre grâce au travail diplomatique de la puissance chinoise[5].

Avec l’émergence de la Chine comme puissance mondiale, le statut des Vietnamiens d’origine  chinoise s’est transformé[6]. Aujourd’hui, les États du monde essaient de créer des liens privilégiés avec cette nation pour profiter du marché de plus d’un milliard de consommateurs et pour attirer l’investissement de capitaux.

Image 2

Parade en l’honneur des 60 ans de la République de Chine[7]

Basée sur un système complexe de solidarité familiale et de réseaux informels d’échange, l’élite commerciale chinoise n’ouvre pas sa porte au premier venu[8]. La relation de confiance et de respect est essentielle au marchandage. La diaspora chinoise profitant d’un accès direct aux grandes familles commerçantes de Chine est maintenant considérée avec respect[9]. La situation de cette communauté d’entrepreneur s’est largement améliorée grâce à ces transformations des relations économiques internationales. Les écoles mandarines se sont réinstallées dans le paysage vietnamien et les livres chinois sont accessibles dans toutes les librairies (d’ailleurs, les récits biographiques d’hommes d’affaires ayant du succès apparaît au sommet des ventes)[10]. Les traditions chinoises, comme la Danse du Lion se déroulant à Saigon pour fêter le Nouvel An chinois, peuvent être célébrées publiquement. Malgré l’harmonie qui existe entre les Vietnamiens et cette minorité, l’élite politique échappe encore aux Vietnamiens de descendance chinoise. Toutefois, la présence des Sino-vietnamiens est favorable au Parti Communiste qui utilise la croissance économique, largement due à la participation commerciale de cette communauté, pour se maintenir au pouvoir. Effectivement, la prospérité économique du Vietnam légitimise les décisions politiques prises par les dirigeants nationaux.

Cette dualité entre la peur de la domination étrangère et les objectifs économiques du Vietnam n’est toutefois pas irrationnelle. Il faut remonter le fil de l’Histoire pour s’apercevoir que la puissance chinoise a occupé le Vietnam pendant près de 1000 ans[11] et que la France colonisatrice a utilisé cette minorité pour administrer cette région de l’Indochine française[12]. En conséquence, leur poids économique a toujours été disproportionné par rapport à leur poids démographique[13]. La xénophobie du peuple vietnamien, diminuant d’années en années, à l’égard des Chinois s’explique mieux en regardant l’évolution historique de cette région. De par l’attachement qu’entretiennent les ressortissants chinois avec la mère patrie, le malaise face aux investisseurs d’origine chinoise persiste encore de nos jours. Les dirigeants politiques préféreraient que tous les capitaux restent au Vietnam[14]. On voit bien que la situation de la diaspora chinoise s’est fermement améliorée depuis les années 70, mais l’histoire récente du Vietnam oblige les deux communautés à rester sur leurs gardes. C’est un équilibre fragile qui existe entre ces deux entités ethniques.

Bibliographie

BBC News. 2005. «Vietnam Exil Recalls Boat Exodus». En ligne.             http://news.bbc.co.uk/2/hi/uk_news/wales/4501099.stm (page consultée le 13 octobre 2009).

Evene. Citations de proverbe chinois. En ligne. http://www.evene.fr/citations/auteur.php?ida=13753 (page consultée le 13 octobre 2009).

Huang, Xinhua Jingwen. 2009. «Communist China marks 60 years with tanks, kitsch». Dans: Rocky Mount Telegram. En ligne.    www.rockymounttelegram.com/multimedia/dynamic/00252/China_60th_Annivers_252336f.jpg (page consultée le 13 octobre 2009).

Kapur, Harish. 1996. «Les minorités chinoises en Asie du Sud-Est : problèmes d’intégration». Relations Internationales (no 88, hiver) : 427-37.

Leveau, Arnaud. 2003. Le destin des fils du dragon. L’influence de la communauté chinoise au Vietnam et en Thaïlande. Paris : L’Harmattan.

Lever-Tracy, Constance. 2002. « The impact of the Asian Crisis on Diaspora Chinese Tycoons». Geoforum 33 (janvier): 509-23.

Quang Thanh, Dinh. «30 avril 1975 : une date mémorable». Dans : Vietnam Illustré. En ligne.            http://vietnam.vnanet.vn/VNP_Upload/News/2005-4/7/0405Fo16L.jpg (page consultée le 13 octobre 2009).

Trolliet, Pierre. 1995. «La diaspora chinoise en Asie orientale». Le courrier des pays de l’Est (no 399, mai) : 15-22.


[1]            BBC News, en ligne.

[2]            Quang Thanh, en ligne.

[3]            Leveau, p.136.

[4]            Kapur, p.431.

[5]            Voir Leveau, p.145.

[6]            Ibid, p.203.

[7]            Huang, en ligne.

[8]            Lever-Tracy, p. 510.

[9]            Trolliet, p.21.

[10]            Voir Leveau, p. 206.

[11]            Voir Trolliet, p.19.

[12]            Voir Kapur, p.427.

[13]            Ibid, p.429.

[14]            Voir Trolliet, p.21.

Lien pour marque-pages : Permaliens.

Les commentaires sont fermés