L’émergence du nationalisme aux Philippines

Par Charles-Antoine Michel

Le premier point important sur lequel il faut se pencher quand on s’intéresse aux Philippines, notamment lorsqu’on entreprend l’étude du nationalisme, est la découverte du pays par Magellan en 1521. En effet, cette découverte est la première étape de la colonisation dans le pays. Ce Portugais naviguant pour la couronne espagnole est le premier européen à mettre le pied sur le territoire philippin. Tué moins d’un mois après son arrivée, il faut attendre 1565 pour que l’archipel entre définitivement dans l’Empire colonial espagnol. Ainsi l’Espagne amène avec elle ses façons de faire et de penser. La majorité des Philippins sont donc rapidement convertis au catholicisme [1].

Nous allons voir au cours de ce billet quand et comment la colonisation va entrainer l’émergence du nationalisme.

Les Philippines sont gérées de très loin, l’autorité officielle résidant à l’époque au Mexique. Ce point a son importance car il est à l’origine du renforcement de l’influence de l’Église, qui va être par la suite la source des premières contestations [2]. De plus, Manille devient un pôle commercial important et un centre d’échange entre l’Orient et Acapulco (côte est mexicaine). Cet essor économique va entrainer la formation d’une bourgeoisie locale, et donc d’une intelligentsia dont les idées vont petit à petit aller à l’encontre du régime colonial en place.

De cette intelligentsia va naître deux illustres personnalités: Marcelo H. del Pilar, fondateur du premier mouvement réformiste propaganda et de l’écrivain José Rizal. Ce dernier est considéré dans son pays comme un véritable héro national. Issu d’une famille de notables philippins, il fait ses études à Manille avant de partir pour l’Espagne. Son voyage à travers l’Europe va l’influencer. Il se cultive, séjourne dans des pays libres qui ne sont pas colonisés mais colonisateurs. Lorsqu’il revient aux Philippines, il rêve de changement, d’indépendance. Médecin, chirurgien mais surtout écrivain, il diffuse dans ses écrits des critiques virulentes à l’égard de l’oppression espagnole ou encore des abus du clergé comme dans El Filibusterismo ou encore Noli me Tangere [3]. La publication de ce dernier ouvrage fit de cet intellectuel le symbole de la résistance au pouvoir Espagnol. Mais Rizal ne critique pas seulement l’Église, il remet également en cause la religion, ou du moins sa forme imposée par les espagnols. Admiratif des illustrados, l’élite philippine d’où il provient, l’intellectuel revendique l’importance de la liberté de presse et l’accès à l’éducation pour tous [4]. C’est à son époque que surviennent les premières protestations en près de trois siècles de colonisation. Accusé à tort de mener un mouvement révolutionnaire contre les autorités espagnoles, il est fusillé le 30 décembre 1896.

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Deux ans plus tard, le président américain William McKinley déclare la guerre à l’Espagne, prétextant la protection des indépendantistes cubains, alors que l’île est en pleine insurrection. Mais c’est surtout un moyen pour les Etats-Unis de s’approprier des colonies telles que les Philippines, pays dans lequel le nationalisme est de plus en plus fort. Le Traité de Paris met fin au conflit le 10 décembre 1898 [5]. L’Espagne qui malgré sa défaite n’accepte pas l’indépendance des Philippines,  désormais sous le joug des États-Unis, vend le territoire pour 20 millions de dollars. Les Américains sont certes plus compréhensifs que les Espagnols quant aux désirs d’indépendance de la société philippine, mais cette autonomie avait été prévue par les Etats-Unis bien avant qu’elle se réalise en 1946. Et, comme le souligne Georges Fischer, cette indépendance a été accordée principalement pour des motifs économiques, « afin d’écarter la concurrence des produits et des travailleurs Philippins sur le marché américain ». En plus de ça, la métropole assure des avantages sur le plan militaire puisque 23 bases restent occupées par les forces américaines [6].

Le nationalisme a mis près de trois siècles à émerger aux Philippines. L’essor économique du pays a favorisé la mise en place d’une société bourgeoise revendiquant petit à petit le droit à la liberté, le droit à l’indépendance. Après le départ des Espagnols, les Japonais, en envahissant le pays de 1942 à 1945 aurait pu mettre un terme à ce rêve de sécession, mais les américains en avaient décidé autrement. En effet dès 1935, ils accordent un statu de semi-autonomie aux Philippines, laissant au pays une période de dix années pour accéder à l’indépendance. Cette transition se fait naturellement après la Seconde Guerre Mondiale, en 1946.

 

Bibliographie:

[1]: Philippines. 2006. En ligne. http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Philippines (page consultée le 20 octobre 2009).

[2]: Steinberg, David Joel. 1994. The Philippines: A Singular and a Plural Place. Westview Press: 56-60.

[3]: Philippines. En ligne. http://www.memo.fr/dossier.asp?ID=169 (page consultée le 20 octobre 2009).

[4]: Fischer, Georges. 1970. José Rizal, Philippin, 1861-1896, un aspect du nationalisme moderne. Paris: Éditions François Maspéro: 51-94.

[5]: 25 avril 1898: les Etats-Unis en guerre contre l’Éspagne. En ligne. http://www.herodote.net/histoire/evenement.php?jour=18980425#haut (page consultée le 21 octobre 2009).

[6]: Fischer, Georges. 1960. Un cas de décolonisation: les Etats-Unis et les Philippines. Paris: Librairie générale de Droit et de Jurisprudence.

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