Birmanie : la condamnation à mort de dizaines de milliers de sinistrés

Par M’hammed Kilito

Bien souvent ce n’est guère qu’au sujet d’Aung San Suu Kyi et du Triangle d’Or que l’on entend parler de la Birmanie dans les médias. Après le passage du cyclone Nargis, la catastrophe naturelle qui a frappé le pays en mai 2008 et fait près de 134.000 morts et disparus, les frontières de la Birmanie restent encore fermées, pendant que plus d’un million de sinistrés n’auraient toujours reçu aucune aide ni du gouvernement birman ni de l’étranger. Les militaires refusent catégoriquement toute aide humanitaire internationale. Depuis, la Birmanie a été grandement exposée dans les médias et a suscité beaucoup de questionnements concernant la gouvernance de la junte militaire. Pour mieux comprendre la situation actuelle, ce billet traitera l’histoire récente du pays et l’idéologie du régime en place.

Suite au massacre de près de 3000 personnes par les militaires durant la révolte populaire (mieux connue sous le nom « 8.8.88 » ), au coup d’État en 1988 et pour s’assurer la stabilité et diminuer toute possibilité de soulèvement populaire, le SLORC annonce en mai 1990 la tenue d’élections. Contrairement à toute attente, le vote s’est déroulé très librement et sans fraude. La National League for Democracy (NLD) d’Aung San Suu Kyi remporte une victoire écrasante, en obtenant 392 des 485 sièges de l’assemblée, un désastre pour le SLORC qui obtient à peine une dizaine de sièges dans la nouvelle assemblée (Courdy 2004). Malgré cette victoire du NLD, le SLORC refuse de céder le pouvoir et continue de gouverner sous le régime de la loi martiale et assigne Aung San Suu Kyi à résidence, ce qui est encore sa situation aujourd’hui. En 1997, le SLORC entreprend un remaniement et prend le nom de SPDC, mais l’équipe au pouvoir reste globalement la même, avec le général Than Shwe à sa tête.

La Birmanie est dépourvue de constitution depuis que le SLORC a abrogé celle de 1974 lors de sa prise de pouvoir en 1988. Dès lors, le pays vit une crise politico-institutionnelle (Boissier 2007.) La junte militaire contrôle à elle seule les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, elle a aussi changé le nom du pays de la Birmanie au Myanmar sous prétexte que la première appellation correspondait uniquement aux Birmans proprement dits, à l’exclusion des diverses minorités ethniques. Ce changement de nom n’a véritablement rien changé à la réalité des minorités ethniques qui sont marginalisées et qui ont subi plusieurs déportations qui rentrent dans le cadre du programme de birmanisation. Ce programme a pour but de définir les principes de base d’une culture nationale unifiée et justifie selon la junte la répression des minorités qui ne veulent pas s’assimiler.

L’idéologie de la junte repose fondamentalement sur un nationalisme xénophobe et un refus catégorique des influences extérieures, à la fois extérieures au système politique en place (l’opposition) et extérieures à la Birmanie (l’étranger, et surtout l’Occident). À ce refus des valeurs occidentales est associé un recours à l’asiatisme comme valeur de référence. Cette pensée est très bien illustrée par une citation du lieutenant-général Khin Nyunt, l’une des principales figures de la junte jusqu’à son éviction en octobre 2004 :  «nous ne tolérerons aucune interférence étrangère. Seuls les Birmans aiment vraiment la Birmanie. Aucun étranger n’aimera jamais la Birmanie. Tout cela est très clair, il faut y songer quand des étrangers disent qu’ils aiment la Birmanie» (Buhrer Levenson 2000).

C’est la xénophobie dont nous avons parlé plus haut qui serait derrière le refus de l’aide humanitaire internationale, mais aussi la crainte de la junte à ce que les membres des ONG et les journalistes rapportent les situations politique, économique et sociale désastreuses que vit la Birmanie. Par ailleurs, si le régime accepte d’aider une partie de la population et pas les autres c’est parce que ceux qui sont aidés soutiennent le pouvoir ou sont proches de celui-ci. Tandis que les autres sont punis faute de le faire.


Références

Buhrer, Jean-Claude et Claude B Levenson. 2000. Aung San Suu Kyi, demain la Birmanie. Arles : Éditions Philippe Picquier

Courdy, Jean-Claude. 2004. Birmanie (Myanmar) La mosaique inachevée. Paris : Éditions Belin.

Olivier, Boissier. 1997. « Birmanie : crise, dictature et réaction de la communauté internationale ». Étude réalisée dans le cadre des travaux de la comission Urgence et post-crise du Haut Conseil de la coopération international.

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