Indonésie : la démocratie et les militaires ?

Par M’hammed Kilito

Le pouvoir politique des militaires indonésiens s’est affaibli depuis la chute de Suharto en 1998. Ce déclin relatif de la position politique de l’armée a été l’une des conséquences importantes du changement de régime en Indonésie. Cependant, on assiste à un retour graduel des militaires au pouvoir. Le retour des militaires au sein de l’appareil étatique (l’actuel président Susilo Bambang Yudhoyono est un ancien militaire) serait-il une menace pour la démocratie?
L’armée reste l’un des groupes politiques les plus influents en Indonésie. Il est important pour elle que le gouvernement respecte l’idéologie d’État, le Pancasila (ou cinq principes : nationalisme, internationalisme, démocratie, justice sociale et croyance en dieu). Le recul politique et social de l’armée au détriment des civils ne doit en aucun cas être perçu comme la fin de la participation politique des forces armées de la République d’Indonésie (ABRI). L’armée reste toujours très attachée au principe du « Dwifungsi » qui désigne la double fonction qu’occupe l’armée indonésienne. Elle a comme première fonction d’assurer tous les aspects de la défense nationale et de la sécurité alors que l’autre fonction consiste à influencer les décisions sociopolitiques (Rinakit 2005).

La critique sociale de l’ABRI commença avec la décision de Habibie de libérer les activités des médias et d’assurer la liberté de la presse en juin 1998. Il y a eu nombre de rapports publiés sur les abus de droits de l’Homme perpétrés par l’armée qui ont rapidement été repris par les médias. La réputation de l’ABRI en fut grandement touchée (Honna 2003). En ce moment, sous la bannière de reformasi, les leaders politiques civils, les intellectuels et l’opinion publique ont fait pression sur Wiranto et les militaires dans le but de supprimer le Dwifungsi devenu la priorité numéro un de la demande politique publique.

Pour répondre à ces pressions, Wiranto s’est réuni avec des intellectuels issus du corps militaire (dont l’actuel président) et s’est embarqué dans une suite de réformes afin d’arrêter les critiques qui se faisaient sur l’ABRI, rétablir sa crédibilité et préserver son influence. À ce propos, le document émis après le séminaire de l’Armée en 1996, insistait sur le besoin de réviser l’implémentation du Dwifungsi en prenant en considération le contexte actuel. Le premier rapport de réforme exprimé considérait que le principe de la « double fonction » était encore pertinent, mais allait donner suite à une légère altération afin d’alléger les critiques. Ils décidèrent que les militaires siégeant d’office au Parlement passeraient de 75 à 38 et le rôle de l’armée serait plus indirect, consistant à contrôler sans pour autant assumer la direction de l’ordre nouveau.

Après les attentats du 12 octobre 2002 qui ont frappé Bali faisant au moins 187 morts et 350 blessés, le terrorisme est devenu une menace pour la stabilité de l’Indonésie. Beaucoup d’observateurs pensaient que tout comme l’était la menace du communisme auparavant, l’ABRI allait commencer à réprimer voir massacrer les fondamentalistes musulmans. Cependant, ce ne fut nullement le cas, puisque l’armée, à partir des années 90, était devenue beaucoup plus tolérante et comprenait mieux l’islam. Abdurrahman Wahid confirme que depuis les incidents de Tanjung Priok, les forces armées étaient conscientes du rôle de l’islam dans la société et ne percevaient plus  l’islam automatiquement comme une menace pour l’État (Ramage 1995)

Beaucoup s’accordent à dire que l’armée fut un instrument politique aux mains de Suharto. Il est vrai que cette dernière a massacré plus d’un million de communistes pro-PKI et un peu moins d’indépendantistes à Acheh, ce qui est la preuve que finalement durant Suharto l’armée était faible est que contrairement à la définition d’une armée professionnelle, supposée être apolitique elle ne l’était pas. Malgré tout ce vécu sanguinaire, l’armée indonésienne a pu se rétablir d’une période difficile. Ses développements internes montrent un grand support pour les idées démocratiques et surtout un grand succès à s’adapter et se consolider. L’armée reste encore aujourd’hui le groupe politique le plus influent en Indonésie.


Références

Honna, jun. 2003. Military politics and democratization in Indonesia. London and New York : RoutledgeCurzon.

Rinakit, Sukardi. 2005. The Indonesian military after the New Order. Singapore: Institute of Southeast Asian Studies, co-published by the Nordic Institute of Asian Studies, Copenhagen, Denmark.

Ramage, douglas E. 1995. Politics in Indonesia : Democracy, Islam and the ideology of tolerance. London and New York : Routledge.

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