Le nationalisme ethnique Thaïlandais

Par Aurélien Clément

Le nationalisme thaïlandais basé sur les caractéristiques des ethnies thaïes fut instrumentalisé à différentes fins en fonction des époques, servant de liens unificateurs à la nation pour contrer les impérialismes de la fin du 19e siècle au début du 20e, il devint à partir de 1938 un vecteur d’expansion et d’affirmation territorial sous le gouvernement de Phibun. Aujourd’hui encore, ces principes inhérents au nationalisme thaïlandais sont de rigueur et à chaque période de crise, comme celle de 1997, la dimension ethnique est invoquée tour à tour pour inclure ou exclure ; tandis que le respect des institutions en particulier la monarchie est toujours pris très au sérieux .

Une des particularités du Siam (devenu Thaïlande depuis 1939) est qu’elle n’a pas réellement subi de colonisation occidentale au 19e siècle. Elle a mis en place un nationalisme ethnique justement pour contrer les pressions impérialistes extérieures des Britanniques et des Français . La stratégie était d’opposer à l’expansionnisme européen une unité nationale forte.

Ce processus d’unification de la nation thaïlandaise fut initié par le roi Rama V Chulalongkorn (1868-1910) qui, en parallèle, lança  la modernisation du Royaume siamois en se basant sur le modèle occidental. Sous son règne fut officialisée la nature du nationalisme thaï articulé d’une part autour de la notion de « race » ou d’appartenance ethnique et, d’autre part, en mettant un accent  particulier sur la fidélité et la soumission au Roi. Cette politique de définition du nationaliste fut intensifiée par le roi Rama VI Vajiravudh (1910-1925) qui, de par son éducation en Angleterre, était profondément conscient des mouvances politiques nationalistes non seulement en Europe, mais aussi en Amérique et au Japon.

Vajiravudh avait conscience du rôle fondamental joué par la culture dans la politique intérieure et le rayonnement du pays. Il donna au nationalisme thaïlandais une forte dimension culturelle et mise de l’avant le principe de « Thaï-ness ». Il constitua une norme, un modèle culturel issu des caractéristiques communes aux ethnies thaïes censées spécifier le nationalisme. On parlera plus tard des trois piliers du nationalisme thaïlandais.

Les trois piliers du nationalisme thaïlandais sont la monarchie, la religion et la nation. Appartenir à la nation implique d’être Thaï, tandis qu’être Thaï renvoyait directement à la religion bouddhiste. Cette politique nationaliste tenta d’unifier la nation sous les mêmes dogmes et valeurs en se servant des caractéristiques des ethnies thaïes comme référence. Seulement, la Thaïlande comporte de nombreuses communautés ethniques qui ne partagent ni la même langue, ni la même religion, ni la même culture. Ces ethnies considérées comme un obstacle à l’unité nationale, les Chinois en premier lieu étant la minorité la plus nombreuse, furent soumises dès le règne de Vajiravudh à une rhétorique raciste visant à limiter les particularismes au sein de la « Nation Thaï ».

Sous le règne du dernier monarque absolu, Rama VII Prajadhipok (1925-1935), à la formule « King, Nation, Religion » s’ajouta le slogan « Siam for the Siamese ». L’immigration chinoise fut freinée et l’harmonie sociale, selon le gouvernement, venait de l’uniformité. Avec la chute de la monarchie absolue en 1932 et l’influence du premier ministre Phibun Songkhram, le nationalisme thaïlandais subit un regain de tension. Il y eu de nouveau une insistance particulière portée sur la culture, les mœurs, les coutumes et la langue qui devaient être en adéquation avec les volontés gouvernementales, nationalistes et ethnocentristes: toutes formes de culture non-Thaï furent étouffées.

Avec Phibun la Thaïlande allait passer à un nationalisme inclusif qui consistait à intégrer les populations non-Thaïes du Nord et du Nord Est du pays afin d’affirmer un peu plus la souveraineté du territoire nationale aux frontières. L’assimilation de ces minorités ethniques en montagnes ne partageant ni la même culture ni souvent la même langue se faisait en contrepartie de l’adoption des critères Thaïs désignés dont la maitrise de la langue Thaï commune. L’intégration nationale consistait aussi à  rapatrier les tribus Thaïes établies à l’extérieur du pays, l’État pour appuyer l’assimilation mit en place un discours censé ranimer un soi-disant passé historique commun ou quelques affiliations que ce soit, tant politiques que culturelles avec la nation Thaï. Ces pratiques d’intégration amorcées à partir de 1932 autour de l’identité Thaï furent symbolisées par le passage en 1939 de l’appellation de « Siam », terme sans connotation ethnique à « Thaïlande » qui justement déclarait la primauté des Thaïs vis-à-vis des autres cultures au sein du pays.

Références

Morelo Massimo, La Thaïlande des Thaïlande, L. Lévy, 2007.

Kratoska Paul, « Nationalism and Modernism Reform », in The Cambridge History Of Southeast Asia, Vol 3, Cambridge University Press, 1999:  pp. 286-314.

« On ne joue pas avec l’image du roi » Courrier International, 24 Avril 2008

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