Les chinois en Thaïlande, un modèle d’accommodement raisonnable

Par Pierre Fiola

En Thaïlande, près de 80% des capitaux sur le marché appartiennent à des nationaux d’origine chinoise malgré le fait que ceux-ci ne forment pas 10% de la population [1].  Pourtant, ils ne sont pas perçus comme envahissants, ni dérangeants, et encore moins comme des voleurs d’emplois.

L’ethnologue Bernard Formoso mentionne 3 facteurs qui ont contribué à l’essor de la communauté chinoise en Thaïlande : « Une stabilité politique et une croissance économique durables qui ont limité les poussées xénophobes à de courtes périodes historiques; l’esprit de tolérance que prêche le bouddhisme; enfin, l’intérêt très mesuré des Thaïs pour les activités capitalistes, qui, là encore, renvoie à l’emprise du bouddhisme sur les mentalités [2] ». Il existe un autre exemple de l’acceptation de la communauté chinoise par les Thaï. En 1992, le Premier ministre élu  était Chuan Leekpai, un sino-thaï. En 1995,  Banharn Silapa-archa, un autre sino-thaï. En 2001, ce fut au tour du sino-thaï Thaksin Shinawatra d’être élu par la population.  Et depuis janvier 2008, c’est Samak Sundaravej, un autre thaïlandais d’origine chinoise qui est Premier ministre.

Les Chinois ont commencé à émigrer au Siam dès le XIIIe siècle.  Le Siam, contrairement à la Chine, était sous-peuplé ; l’accueil fait par les Siamois fut donc favorable [3]. Le mouvement d’immigration chinoise augmenta avec le temps et avec le développement des meilleurs moyens de transport.  En 1821, un diplomate britannique nommé John Crawford mentionne dans son journal que :

« La plupart des Chinois au Siam émigrèrent des côtes du Kwang Tung et du Fukien sans emmener de femmes et se marièrent par la suite avec des Siamoises.  Certains se convertirent au Bouddhisme en s’adaptant à la vie siamoise.  Mais ils portaient encore leur costume national  ». [4]

En 1907, le Roi Rama IV demanda à ses compatriotes de ne plus considérer les descendants chinois comme des étrangers, mais comme des citoyens à part entière [5].  Trente ans plus tard, le ministre des Affaires étrangères parle avec fierté de l’accueil de la population siamoise aux étrangers :

« C’est ainsi que les étrangers qui résident au Siam ont toujours bénéficié d’une égale protection et d’un égal traitement de la part des autorités locales ». [6]

Mais cette belle ouverture sur les autres cultures, et entre autres sur les sino-thaïs, tirait à sa fin.  En 1938, les ultranationalistes prennent le pouvoir.  On interdit 27 métiers aux étrangers.  Les journaux mandarins sont interdits.  On ferme les écoles chinoises.  On réduit l’immigration : de 10 000 autorisations d’entrée en 1947, on passe à 200 en 1949 [7].

Ces politiques poussent les descendants chinois à s’adapter à la nouvelle situation.  Plusieurs adoptèrent pour la nationalité et un patronyme thaïlandais.  Les entrepreneurs firent entrer des militaires et des chefs de police dans leurs conseils d’administration.

Toutefois, ce changement d’attitude envers les sino-thaïs se faisait sentir principalement parmi l’élite au pouvoir et dans ses politiques.  La population thaïlandaise a toujours conservé un esprit ouvert et accueillant.  « La xénophobie des ultranationalistes, dont beaucoup étaient des métis sino-thaïs assimilés, trouva peu d’écho au sein de la population [8]».  Comme les politiques xénophobes du gouvernement n’avaient pas d’assises solides dans la population, le gouvernement détourne tranquillement son attention de la « problématique chinoise » pour concentrer son attention ailleurs.

Lors de la crise de 1997, les Chinois ont passé le test de la loyauté, nombreux sont ceux qui ont soutenu l’État et offert « de l’or et des devises étrangères pour soutenir la monnaie nationale  ».

Références

[1] Arnaud Leveau.  Le destin des fils du dragon.  (Paris :L’Harmattan, 2003), 147.

[2] Bernard Formoso,  Bouddhisme renonçant, capitalisme conquérant (Paris : La documentation français, 2000), 126.

[3] Kravud Kusuvarn. La deuxième guerre mondiale et l’évolution de la politique extérieure de la Thaïlande.  (Université d’Aix-Marseille, 1971),  31-32.

[4] John Crawford.  Journal of an Ambassy from the Governor of India to the Court of  Siam and Cochin-China.  (London:  1830),  450.

[5] Leveau,  Le destin des fils du dragon, 127.

[6] Recent developments in Thailand, Institute of Pacific Relations, 6.

[7] Formoso,  Bouddhisme renonçant, capitalisme conquérant (Paris : La documentation français, 2000), 126.

[8] Idem.

Lien pour marque-pages : Permaliens.

Les commentaires sont fermés