Coup d’État dans l’eau

Par Pierre Fiola

Le 19 septembre 2006, les militaires faisaient un coup d’État en Thaïlande, un premier depuis 15 ans, et renversaient le premier ministre Thaksin  Shinawatra.  Celui-ci était à New York pour une rencontre avec les Nations Unies.  Les militaires promettaient alors un retour rapide à la démocratie sous trois conditions : mettre un terme au chaos politique, débarrasser le pays des leaders corrompus et réunifier le pays [1].

Depuis 1932, c’est 19 coups d’État qui ont eu lieu en Thaïlande .« Il y a en Thaïlande depuis longtemps une alternance entre démocratie et pouvoir militaire » mentionne Dominique Caouette, professeur adjoint au Département de sciences politiques de l’Université de Montréal [2].  Selon lui, les militaires se considèrent comme des arbitres ayant le devoir d’intervenir quand un gouvernement est trop corrompu [3].

La tension entre Thaksin et les militaires remonte aussi loin qu’à sa première élection en 2001.  À cette époque, les militaires tentaient de freiner la contrebande d’amphétamines à la frontière birmane, et de nombreux incidents armés ont lieu [4].  Avant même les élections de 2001, la junte birmane annonce sa préférence pour l’élection de Thaksin.

« Devenu premier ministre, ce dernier, malgré l’opposition de ses généraux, change de politique. Il relève de ses fonctions le général Wattanachai Chaimuanwong, commandant la IIIe armée, chargé de la frontière nord, particulièrement attaché à une position de fermeté face aux trafiquants de l’United Wa State Army (UWSA), qui agit avec l’aval de l’armée birmane. L’année suivante, le général Surayud Chulanont, qui occupe le poste de Supreme Commander, subit le même sort. M. Thaksin fait nommer à leur place des généraux de son clan, dont des membres de sa famille ». [5]

Ces gestes étaient sans doute une tentative d’augmenter son contrôle sur l’organe militaire, justement pour éviter les coups d’État, mais cela aura finalement eu l’effet opposé.  La reine Sirikit apporte un soutien discret au général Wattanachai. « Ces événements marquent d’une façon durable l’élite militaire, d’autant que les généraux remplacés sont considérés comme intègres, professionnels et compétents  ». [6]

Il n’y a pas que par les militaires que les actions de Thaksin sont remises en question.

« Depuis son entrée en fonction, en février 2001, M. Thaksin est régulièrement critiqué pour ses penchants autoritaires, son incapacité à tolérer les critiques, qu’elles émanent de l’opposition, des intellectuels ou des journalistes ». [7]

Sa gestion radicale de la crise musulmane dans le sud du pays lui vaut de sévères critiques de la part de la population [8], mais aussi de la part de la communauté internationale [9]. Il tente de cacher l’épidémie de grippe aviaire dans son pays, risquant une épidémie mondiale.  De plus, Thaksin se retrouve impliqué dans des scandales de corruption :   entre autres, son fils fut condamné à payer une amende pour bénéfices excessifs lors d’une transaction commerciale, et il a vendu de façon illégale ses parts dans la holding Shin Corp. ce qui lui a permis de faire un bénéfice de 1,9 million de dollars américains [10]. Finalement, après que les États-Unis lui aient reproché sa réputation en matière de droit de l’Homme, il dit que Washington était un « ami inutile » [11].

C’est dans ce climat de contestation que Thaksin déclenche des élections pour le 2 avril 2006.  Les partis de l’opposition les boycottent.  Le Roi déclare que des élections à un seul parti sont antidémocratiques, et le 9 mai la cour constitutionnelle déclare ces élections invalides [12].   Pour les militaires, le temps est venu de prendre les choses en main.  Le 1er septembre, 18 jours avant le coup d’État, l’ancien premier ministre, le général Prem, qui est également le président du Conseil privé de la maison royale déclare devant les membres de l’académie navale et de l’armée de l’air :

« Les soldats doivent strictement appliquer les conseils du roi.  Le roi suggère que les bonnes personnes empêchent les mauvais éléments de prendre le pouvoir pour créer des troubles ». [13]

Le 19 septembre 2006, la junte militaire prenait le pouvoir.   Le roi déclarait publiquement « que le gouvernement risquait de mener le pays au désastre, une allusion voilée aux multiples scandales de corruption qui ont fait surface. »  Les militaires pensaient avoir gagné le combat qui les opposait à Thaksin.  La suite des événements a démontré que la bataille n’était pas terminée, et que ce coup d’État n’aura pratiquement été qu’un coup d’épée dans l’eau.

Références

[1] Issa Ouedraogo, « Thaïlande : 1er coup d’État depuis 1991 », (2007) En ligne. (page consultée le 18 juin 2008).

[2] Yoan Marier, « Élections législatives en Thailande : d’élections en coup d’État », (2007) En ligne. (page consultée le 18 juin 2008.)

[3]

[4] André et Louis Boucaud, « En Thailande : La chute d’un milliardaire devenu politicien », Le Monde diplomatique (Novembre 2006) En ligne. (page consultée le 18 juin 2008).

[5] Idem.

[6] Id.

[7] Nicolas Revise, « Le système Thaksin : coup de frein au processus de démocratisation ou « voie thaïlandaise » vers la démocratie », Les Études du CERI, n.115 (Juin 2005) En ligne. (page consultée le 18 juin 2008).

[8] André et Louis Boucaud Op. Cit.

[9] Nicolas Revise Op. Cit.

[10] Jan McGirk, « Le milliardaire autocratique accuse de diriger son pays pour son profit personnel », (2006) En ligne. (page consultée le 18 juin 2008).

[11] Idem.

[12] André et Louis Boucaud Op. Cit.

[13] Idem

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