L’instrumentalisation de la religion par la junte birmane

Par Marie-Anitha Jaotody

Les dictatures militaires ont toujours utilisé différents éléments pour justifier les répressions et imposer leur pouvoir. La junte militaire birmane ne fait pas exception à cette règle parce que, depuis la fin des années 70, elle instrumentalise la religion bouddhiste pour asseoir son autorité et s’en sert comme prétexte afin de justifier ses politiques répressives. Cette stratégie fonctionne bien puisque la croyance selon laquelle tout ce qui se fait pour l’est honorer la religion est bien ancrée dans la population.

La junte militaire a bien compris le rôle que joue le bouddhisme dans la vie quotidienne de la population birmane. En effet, la population est très attachée à l’ensemble de ces traditions, car il est le fondement de leur identité culturelle [1]. L’ordre religieux et les moines sont fortement respectés et prennent une place prépondérante dans la société, car leur mode de vie  est régi par le Vinaya un texte fondamental qui exige beaucoup de sacrifices et de renoncement de leur part). Ce renoncement inspire le respect envers les moines et tout ce qui est entrepris pour une cause religieuse ne doit pas être discuté [2].

Pour affirmer le rôle de l’État dans la religion, la junte entreprend la construction de monastères ou de sculptures à l’image de bouddha dans tout le pays. La plus grande réalisation reste le projet du « Roi du Dhamma » qui consistait à sculpter un bouddha de marbre haut de 11,45m et à le transporter ensuite vers Rangoon [3]. Cette pratique rappelle d’ailleurs celle des conquérants de la Birmanie précoloniale qui ramenaient et réinstallaient les statues royales des régions vaincues vers leur ville d’origine pour marquer leur victoire et soumettre la population.

La junte militaire a recours à cette  pratique parce qu’elle a eu des échos dans la population qui reste très attachée aux traditions culturelles et religieuses. Mais la motivation de la junte militaire va bien au-delà de la cause religieuse, car elle est aussi politique. En effet, en entretenant ainsi le sentiment religieux des birmans par la louange des Bouddha, celle-ci louera aussi le pouvoir en place qui met en valeur la foi bouddhique [4].  Ce « mécanisme » permet de renforcer le contrôle de la junte sur la population et consolide son monopole sur la religion bouddhiste.

On peut se poser alors la question sur la réaction de la population, est-elle vraiment dupe? Dans une communication verbale recueillie par John Sisley, un birman témoigne

« Ils ne font que des choses inutiles. Ce que le peuple voudrait vraiment, ce ne sont pas des cérémonies de ce type […] Comme le disait Aung San, la politique devrait être séparée de la religion. La population pense la même chose » [5].

Cette pensée est partagée par la majorité de la population birmane mais celle-ci est consciente de sa propre impuissance, elle se plie aux différentes requêtes de la junte.

L’instrumentalisation de la religion est néfaste pour l’ordre religieux car d’une part, elle divise le Sangha (l’ensemble du corps religieux) entre ceux qui « collaborent » avec la junte militaire et ceux qui affichent une hostilité et d’autre part, elle dégrade l’éthique religieuse par la corruption de certains moines qui entrent dans le jeu de la junte militaire. En effet, les moines ont toujours joué le rôle d’intermédiaire dans la société. Aujourd’hui, ils jouent le rôle d’intermédiaires entre la population et le pouvoir et beaucoup d’entre eux n’hésitent pas à monnayer les services rendus à la population ou à soutirer de l’argent à la population en prétextant une fin religieuse [6]. Cependant, on aurait tort de croire à une corruption générale au sein du Sangha car une frange affirme leur opposition et dénonce la pratique de la junte. Cette frange est d’ailleurs un acteur central dans les mobilisations de 2007 et depuis lors, ils ont été la cible de répression et d’arrestation par le pouvoir. Depuis ces événements, les monastères sont étroitement surveillés [7].

Aujourd’hui, des sanctions et des embargos ont été mis en place pas la communauté internationale mais les ressources naturelles dont regorgent la Birmanie ne cessent d’attirer la convoitise de certaines puissances comme la Chine ou l’Inde qui sont prêtes à fermer les yeux sur les pratiques peu démocratiques de la junte [8].

Références

[1] Sisley, John. 2001. « La robe et le fusil : Le bouddhisme et la dictature militaire en Birmanie ». Revue d’études comparatives Est-Ouest(32) n°1 pp 175-198.

[2] Lubeigt, G. 1995. « Le don de la robe : aspects socio-économiques d’un acte méritoire chez les bouddhistes de Birmanie », dans notes sur la culture et la religion en péninsule indochinoise. Paris : L’Harmattan. pp 23-41.

[3] Sisley, John. 2001. Id.

[4] Idem.

[5] Dailymotion. Birmanie : Comment informer? En ligne. (page consultée le 27 juin 2008).

[6] Sisley, John. 2001. Id.

[7] Sabrié, Marion. 2007. Birmanie : vers une démocratisation ou un renforcement de l’appareil dictatorial?  En ligne. (page consultée le 27 juin 2008).

[8] Youtube. Myanmar monk leadthe protest in Burma. En ligne.  (page conslutée le 27 juin 2008)

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