Les Philippines : Une démocratie minée

Par Camille Gaudreault

La démocratie aux Philippines est souvent décrite comme étant une «démocratie spectacle». Pourquoi?  Parce qu’à la vice-présidence, à la présidence il y a eu une vedette du cinéma philippin, Joseph Estrada et qu’au Sénat «sur les vingt-quatre sénateurs élus en 2001, par exemple, six étaient d’anciens acteurs, présentateurs de télévision ou sportifs reconnus au niveau national» (Camroux 2006). Depuis la chute de Marcos en 1986, les gouvernements ont tenté d’assainir les mœurs politiques et de renforcer le système démocratique. Cependant, la démocratie philippine est bien fragile. Elle est minée par la corruption, par la présence du patrimonialisme et d’une oligarchie très proche du pouvoir. Elle est donc plus une question d’élite que de représentation populaire.

L’oligarchie renvoie à «…l’élite fortunée,…les personnes les plus riches du pays ainsi que leurs familles, un regroupement qui persiste dans une large mesure indépendamment des dirigeants politiques» (Wurfel 2001). La démocratie philippine est  grandement influencée par l’oligarchie du pays. L’oligarchie philippine bénéficie des largesses des différents régimes. Elle fait pression pour que les gouvernements appliquent des politiques allant dans le sens ses intérêts. Le patrimonialisme renvoie la quasi-absence de distinction entre la propriété publique et la propriété privée des dirigeants et de leurs proches. Le système patrimonial facilite les actes de corruption et peut entraîner l’instabilité politique et la destitution d’un président.

Selon Wurfel, le patrimonialisme est bien ancré dans le système philippin, car «son État est faible et entouré d’une bureaucratie peu efficace et politisée de longue date, dans la plus part des cas incapable de faire respecter la loi face aux intérêts de l’oligarchie ou des copains…» (Wurfel 2001)Ainsi, les «amis» des anciens régimes ne sont jamais bien loi. Par exemple, «avant la fin du mandat d’Aquino (présidente suite au renversement de Marcos), la plupart des amis de Marcos ont reconquis un rôle au sein de l’oligarchie» (Wurfel 2001). Cela mine considérablement le système démocratique qui tente de se consolider depuis la chute de Marcos.

L’autre clou dans le cercueil de la démocratie philippine est la corruption. Déjà sous le règne de Marcos, la corruption était vive. La famille de l’ancien dictateur aurait pillé à l’économie nationale des Philippines, une somme entre 5 et 10 milliards, qui se retrouva dans des comptes bancaires étrangers (Camroux 2006). En 1998, Joseph Estrada, ancien acteur, a été élu président grâce à sa popularité personnelle. Son administration «…fut tellement corrompue que de nombreux membres, en particulier parmi ses alliés de gauche, l’abandonnèrent» (Wurfel 2001). Parmi ceux qui bénéficiaient des largesses du régime Estrada, ses principaux appuis et anciens proches de Marcos, Lucio Tan et Danding Cojuangco. Lucio Tan a été licencié, car il a été soupçonné d’une «fraude fiscale de 25 milliards de pesos» (Wurfel 2001) et «…est…impliqué dans, la privatisation de la Philippine National Bank. Il avait pu acquérir 46% des parts de la banque et, grâce à une manœuvre complexe appuyée par la Présidence, étendre ensuite son emprise au sein du conseil d’administration» (Wurfel 2001). «…le président Estrada…définit un “ami” comme une personne qui reçoit des prêts d’établissements financiers gouvernementaux sur les ordres du président…» (Wurfel 2001). Le parlement a voulu destituer Estrada « accusé de corruption, de viol de la Constitution et d’abus de pouvoir»  (Encyclopédie Universalis 2006). En 2001, il a démissionné et sa vice-présidente Gloria Macapagal-Arroyo s’est emparée de la présidence.

Le dernier élément qui mine la démocratie philippine, est les tentatives de coup d’État. Corazon Aquino n’a pas été épargnée par les tentatives de renversement de son gouvernement au courant de sa présidence de 1986 à 1992. Des membres déloyaux des forces armées ont amorcé «une série de coups d’État contre la présidente Aquino, dont deux aboutirent presque» (Wurfel 2001). Au pouvoir, la présidente Arroyo a déclaré l’état d’urgence en février 2006, pour «officiellement déjouer une menace de coup d’État fomenté par «des activistes de gauche et des aventuriers militaires de droite»» (Camroux 2006).

La corruption, le patrimonialisme, l’oligarchie et les tentatives de coup d’État sont des éléments qui affectent la démocratie aux Philippines et les décisions prises par les différents gouvernements. La Présidente Arroyo s’est engagée dans une lutte contre la corruption et a nommé des réformateurs dans l’administration philippine. Mais il est possible de se questionner sur l’efficacité de ces mesures qui ont pour but de renverser ces tendances qui marquent la démocratie et la politique depuis de nombreuses années.

Références

Camroux, David. 2006. Dix ans d’instabilité. En ligne.  (page consultée 18 juin 2008)

Camroux, David. 2006. Les Philippines d’un coup d’État à l’autre. En ligne.  (page consultée 18 juin 2008)

Encyclopédie Universalis 2006

Wurfel, David. 2001. « Les Philippines : une démocratie hésitante dans le contexte international ». Revue internationale de politique comparée 8 (no 3) : 501-517.

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