L’Histoire des Philippines
Les Philippines tirent leur nom du roi Philippe II d’Espagne et elles sont la seule colonie espagnole de l’Asie du Sud-Est. Ferdinand Magellan, Portugais naviguant au nom de l’Espagne, est le premier du continent européen à débarquer aux Philippines, en 1521, et il entraîne ainsi l’archipel sous le contrôle espagnol. Le commerce philippin est principalement orienté vers Acapulco, ce qui fait des Philippines une sous-colonie de l’empire espagnol au Mexique. Les Créoles mexicains et les métisses latino-américains se rendent à l’époque aux Philippines pour y faire fortune [1]. Les congrégations religieuses se divisent le pays pour sauver les âmes. Il n’y a pas de langue commune puisque la colonisation espagnole l’avait empêché : cela explique l’apparition tardive du mouvement nationaliste. En effet, le sentiment national s’exprime pour la première fois à la fin du 19e siècle. Des sociétés secrètes se forment afin de protester contre la colonisation espagnole. « L’articulation du nationalisme philippin ne s’est pas produite aux Philippines, où la censure était rigidement imposée suite à une mutinerie à l’arsenal de Cavite autour de la baie de Manille en 1872, mais en Espagne » [2]. L’impulsion nationaliste vient surtout des ilustrados qui ont créé le mouvement Propaganda, en Espagne. L’intransigeance de l’Espagne transforme toutefois le nationalisme en mouvement révolutionnaire.
Pour un résumé bien expliqué du début de l’histoire des Philippines :
Les romans à saveur satyrique de José Rizal (1861-1896) inspirent le mouvement nationaliste philippin. Il crée le mouvement modéré réformiste la Liga Filipina [3] et devient un symbole national après sa mort. Andrès Bonifacio (1863-1896) adhère à ce mouvement puis fonde le Katipunan, une société nationaliste secrète déterminée à réaliser l’indépendance des Philippines, dont Emilio Aguinaldo devient ensuite le leader suite à l’élimination de Bonifacio. Aguinaldo installe un gouvernement révolutionnaire et devient le premier président des Philippines indépendantes, bien que ce ne fut que pour une durée de trois mois avant que ne débute la colonisation américaine.
Jusqu’au début du 19e siècle, les Philippines sont une province dépendante de la vice-royauté du Mexique. Puis, quand le Mexique gagne son indépendance suite à la guerre de 1821, les Philippines passent sous le contrôle de Madrid. La guerre hispano-américaine permet aux États-Unis d’acquérir les Philippines suite au traité de Paris, en plus de Cuba et de Porto Rico, en 1898. « La domination américaine (1898-1946), bien que courte, a constitué une étape décisive dans l’évolution politique, économique et sociale des Philippines » [4]. Aujourd’hui, on voit que les institutions des Philippines sont largement inspirées du modèle américain. Les États-Unis investissent massivement dans le développement de la colonie. L’élite terrienne oligarchique qui vivait sous le régime espagnol se maintient au pouvoir sous le régime américain. Dès 1930, l’indépendance est promise aux Philippines, mais le Japon occupe le pays de 1940 à 1945. En 1947, l’indépendance officielle est accordée. La signature de trois traités avec les États-Unis garantit l’accès à leurs bases militaires américaines sur le territoire philippin. Les Américains ont également le droit de posséder la terre et les entreprises au même titre que les Philippins [5].
La suite de la dernière capsule historique, cette fois sur le régime américain et l’occupation japonaise :
Puis, on assiste à la montée au pouvoir de Ferdinand Marcos, homme fort qui centralise le pouvoir. Il règne de 1965 à 1986. En 1972, il déclare la loi martiale. Craignant une montée du communisme, il la déclare en réaction à de nombreuses actions de masse d’étudiants, de paysans, de travailleurs et d’intellectuels, et à l’opposition au Congrès [6]. En 1986, le People’s Power, combinaison d’une révolte militaire et d’une révolte populaire, met fin à la dictature de Marcos. Depuis le retour des élections, il y a eu douze tentatives de coups d’État. Lui succèdent Corázon Aquino, Fidel Ramos, Joseph Estrada et Gloria Macapagal Arroyo par la suite.
Mindanao : un conflit sans fin ?
Malgré l’indépendance acquise par les Philippines au milieu du 20e siècle, le pays n’a, depuis, malheureusement pas été à l’abri de conflits à l’intérieur de ses frontières. Parmi ceux-ci, cinq ont été répertoriés comme étant des conflits majeurs, mais encore à ce jour, l’un des plus importants demeure l’insurrection moro qui a frappé l’île de Mindanao [7]. Un peu plus de 50 ans ont passé depuis son commencement et tout n’est pas encore résolu.
Afin de bien comprendre la nature de la discorde, une petite mise en contexte est nécessaire. Mindanao est un groupe d’îles situé au sud de l’archipel des Philippines qui habite tout près de 25 millions d’habitants. La région est le domicile de près de 93% de la population musulmane du pays [8]. Dès le 16e siècle, les colons espagnols se sont imposés aux Philippines et ont tenté de convertir l’entièreté du pays au catholicisme. Cependant, ils n’ont jamais réussi à prendre le contrôle de Mindanao et à y implanter leur vision. Il faut savoir que bien avant l’arrivée des Espagnols, l’île de Mindanao avait longtemps été en contact avec les marchands musulmans des territoires maintenant connus sous le nom d’Indonésie et de Malaisie. Ce contact est considéré comme l’une des raisons principales de la conversion d’une grande partie des habitants à l’Islam. Avec l’arrivée des Américains au tournant du 20e siècle et la fin de la guerre américano-philippine, un certain contrôle s’est installé dans la région, mais une tension subsiste [9].
Les origines du conflit
Une certaine paix a régné aux Philippines à la suite de son indépendance obtenue en 1946, mais des politiques de migration au début des années 1950 sont venues troubler le calme établi. À l’époque, les Huks, membres d’une organisation de partisans communistes philippins nommée Hukbalahap, ont exigé un accès agricole sur l’île de Luçon [10]. Cette demande est rejetée par le gouvernement du président Ramon Magsaysay, mais pour calmer le jeu, il choisit de créer un programme de réforme agraire qui permettrait à une partie des Huks de s’installer dans la région de Mindanao. Le groupe d’île constitue un bon territoire, autant pour ses terres fertiles que ses ressources minières, ses terres disponibles et sa faible propension aux typhons [11]. Le problème : Mindanao est déjà occupée par des populations autochtones et musulmanes et les Huks sont chrétiens. Cette vague de transmigration dans les années 1950 et 1960 a été la cause de puissantes pressions sur les terres et les populations locales ont fortement réagi. Au-delà des pressions migratoires, ce sont les déséquilibres qu’ils ont engendrés qui ont suscité l’ire de la population. La compétition pour les terres profitait aux élites musulmanes en place, mais le reste des terres était distribué de façon arbitraire aux nouveaux arrivants [12]. C’est pourquoi le Front Moro de libération nationale (FMLN) s’est formé en 1969, avec pour objectif principal d’obtenir l’indépendance de l’île de Mindanao [13]. Dans les années 60, la notion d’identité du peuple bangsamoro s’est développée en parallèle avec la montée du mouvement nationaliste opposant le gouvernement philippin [14].
Aux armes !
La capitale de Manille refuse initialement la demande d’indépendance du FMLN, ce qui ne plait évidemment pas aux Moro. Mais c’est réellement à la suite de la proclamation de loi martiale du gouvernement de Ferdinand Marcos, en 1972, que les hostilités atteignent un tout autre niveau. Les conflits armés éclatent alors entre les colons chrétiens et les élites musulmanes, entre les élites chrétiennes (représentantes de l’État) et les musulmans défavorisés ainsi qu’entre les élites chrétiennes et musulmanes [15]. Ces conflits prennent des proportions très importantes alors que près de 80% des forces armées de Marcos ont dû être déployées à Mindanao. Avec à sa tête le révolutionnaire Nur Misuari, le FMLN se réfugie à Tripoli dans les années 70 et reçoit de l’aide de la Lybie et du monde musulman, autant financière que matérielle [16]. Cette situation forcera l’intervention de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), maintenant connue sous le nom d’Organisation de la coopération islamique. Cette dernière, considérée comme la deuxième plus grande organisation intergouvernementale au monde après l’ONU [17], a pressé le gouvernement philippin de négocier avec le FMLN dès 1974. Marcos envoie donc en janvier 1975 une délégation pour négocier un accord avec le Front Moro. Ce n’est qu’en décembre de l’année suivante que les accords de Tripoli sont signés. Ces derniers promettent des postes clés du gouvernement aux musulmans, une autonomie politique et économique ainsi que l’application de la Shari’a dans les tribunaux locaux. Une petite clause vient toutefois porter ombrage à l’accord. En effet, le gouvernement Marcos s’est gardé la liberté d’appliquer lui-même les procédures constitutionnelles de l’application de l’accord, ce qu’il ne fit pas réellement [18].
La création du FMIL
Bien que le FMLN ait accepté de signer l’accord de Tripoli, une faction du Front Moro a choisi de s’en détacher dès 1977. Pour ses membres, les accords ne sont pas suffisants à moins d’obtenir l’indépendance complète. Menée par Sheikh Hashim Salamat, la faction reprochait notamment au FMLN et à Misuari de privilégier certains groupes ethnolinguistiques. C’est pourquoi Salamat a envoyé une pétition à l’OIC afin que Misuari soit remplacé, sans succès [19]. En 1984, la faction s’est enfin affirmée en tant que Front Moro islamique de libération (FMIL), mettant de l’avant son identité musulmane. Au début des années 1980, le FMLN gronde et menace de reprendre les armes puisque Marcos n’a pas respecté ses promesses. Pendant ce temps, le FMIL est plus modéré et utilise l’autonomie que l’accord lui permet pour négocier [20]. Avec le gouvernement de Corazon Aquino au pouvoir, le FMLN reprend les négociations à la fin des années 1980. Le FMIL, quant à lui, adopte plutôt la ligne dure et retourne à une mentalité de sécession plus forte. Un nouvel accord est signé en 1996 entre le FMLN et le gouvernement philippin alors dirigé par le président Fidel Ramos et la Région Autonome musulmane de Mindanao (RAMM) est instaurée. Cet accord abonde dans le même sens que l’accord de Tripoli, signé 20 ans plus tôt. Cependant, avec le temps, cet accord est considéré comme un échec de la part du FMLN [21]. Malgré le fait que ces accords semblaient garantir une paix au pays, ce n’a malheureusement pas été le cas. Les tensions étaient toujours présentes et le FMIL est devenu l’opposition officielle du gouvernement, puisque plusieurs membres haut placés se sont joints au gouvernement en place [22].
Les nouveaux accords
Les négociations entre le FMIL et le gouvernement se développent tranquillement, mais sûrement, entre 2000 et aujourd’hui. Les combats ont été relancés en 2000 et en 2003, mais les pourparlers n’ont pas cessé [23]. En 2012 et en 2014, le FMIL et le gouvernement philippin de Benigno Aquino signent l’Accord-cadre sur le Bansamoro et l’Accord global sur le Bangsamoro. Ces deux accords de paix ont pour objectif de mettre fin à la guérilla dans la région de Mindanao. De plus, ils permettent la création de la future région autonome du Bangsamoro [24]. En janvier 2019, le processus de paix débuté en 2014 se complète, alors que la commission électorale des Philippines valide le vote sur le référendum visant à établir ladite région autonome dans la partie musulmane de Mindanao. Le vote est passé avec une forte majorité de 87%, près de 50 ans après le début de la lutte [25]. On ne peut pas dire que la paix soit encore obtenue, mais les récents accords laissent présager un avenir meilleur. Le FMIL a obtenu un accord qui se rapproche étrangement de celui obtenu par le FMLN en 1996. Reste à espérer que celui-ci produise des résultats plus positifs que ceux de son prédécesseur. La stabilité n’est pas encore atteinte et d’autres conflits font rage aux Philippines, mais peut-être que celui entourant l’île de Mindanao tire enfin à sa fin.
Le conflit en chiffres
- Depuis le début du conflit, il y a eu environ 160 000 décès reliés au conflit dans la région [26].
- Le pourcentage de pauvreté de Mindanao est passé de 56% en 1991 à 71.3% en 2000 [27].
- Entre 1975 et 2002, l’impact économique direct et indirect est estimé à près de 10 milliards de dollars [28].
Pour une perspective récente sur le Front Moro de libération :
[1] David Joel Steinberg, The Philippines : A Singular and a Plural Place, p.54.
[2] Ibid., p.60. (traduction libre)
[3] David Wurfel, Filipino Politics, p.6.
[4] Memo – Le site de l’Histoire. 2007. Philippines. En ligne. http://www.memo.fr/dossier.asp?ID=169
[5] Ce paragraphe ainsi qu’une large partie du contenu de cette page s’inspirent des notes du cours Asie du Sud-Est, POL3401.
[6] Nona Grandea, The rocky road to democracy – A case study of the Philippines, p.33.
[7] World Bank. The Mindanao Conflict in the Philippines: Roots, Costs, and Potential Peace Dividend. (États-Unis : World Bank, 2005), http://documents.worldbank.org/curated/en/701961468776746799/pdf/31822.pdf.
[8] Philippines Statistics Authority, Factsheet on Islam in Mindanao, (Référence : 2017-008; consulté le 24 avril, 2020), http://rsso11.psa.gov.ph/article/factsheet-islam-mindanao.
[9] World Bank, Loc. cit.
[10] Jean-Frédéric Légaré-Tremblay, « Plus de 40 ans de conflit » Le Devoir, 6 mai, 2015. https://www.ledevoir.com/monde/asie/439220/philippines-un-combat-qui-n-a-rien-de-la-boxe.
[11] Ibid.
[12] Stéphane Auvray, « Musulmans ou moros Au sud des Philippines », Outre-Terre, no 6 (2004) : 187-197, https://doi.org/10.3917/oute.006.0187.
[13] Jean-Frédéric Légaré-Tremblay, Loc. cit.
[14] Stéphane Auvray, Loc. cit.
[15] Ibid.
[16] Ibid.
[17] Organisation de la Coopération Islamique, « Histoire » 25 avril, 2020, https://www.oic-oci.org/page/?p_id=116&p_ref=26&lan=fr.
[18] Stéphane Auvray, Loc. cit.
[19] Ibid.
[20] Ibid.
[21] « Aux Philippines, un accord de paix historique entre le gouvernement et la rébellion musulmane », Libération, 27 mars, 2014. https://www.liberation.fr/planete/2014/03/27/aux-philippines-un-accord-de-paix-historique-entre-le-gouvernement-et-la-rebellion-musulmane_990701.
[22] World Bank, Loc. cit.
[23] Stéphane Auvray, Loc. cit.
[24] Centre pour le dialogue humanitaire, « HD salue la nomination du premier dirigeant de la région autonome Bangsamoro à Mindanao, aux Philippines » 24 avril, 2020, https://www.hdcentre.org/fr/activities/philippines-mindanao/.
[25] Clara Jalabert, « Conclusion du conflit musulman aux Philippines : vers une paix durable ? » Les yeux du monde, 28 janvier, 2019. https://les-yeux-du-monde.fr/actualite/38840-conclusion-conflit-musulman-philippines-paix-durable.
[26] Jean-Frédéric Légaré-Tremblay, Loc. cit.
[27] World Bank, Loc. cit.
[28] Ibid.