Le Vietnam face à la puissance chinoise

Par Auguste Spengler

Le Vietnam a depuis des siècles une relation difficile avec son voisin chinois. Province de l’Empire chinois pendant un millénaire, puis en guerre avec la Chine en 1979-1980, les relations de ces deux pays restent aujourd’hui marquées par une profonde rivalité. C’est un pays qui a longtemps su garder un équilibre entre les grandes puissances dans ses relations diplomatiques. Mais avec le conflit autour des iles Spratleys et Paracels qui l’oppose à la Chine, le Vietnam se retrouve aujourd’hui dans un dilemme stratégique, entre renforcement de ses partenariats et tentative de conserver cet équilibre entre  grandes puissances.

Une coopération importante avec la Chine 

Bien que les deux pays soient en concurrence dans certains secteurs, tels que le textile et de plus en plus les produits high-tech, il y a une coopération importante entre Hanoi et son voisin chinois (Mathé, 2018). La Chine reste le premier partenaire économique du Vietnam. Et, l’affinité idéologique que ces deux pays ont, étant tous les deux communistes, favorise leurs relations. Et le pays a choisi une voie similaire à Pékin dans son développement. Hanoï s’intègre à la mondialisation et aux investissements étrangers, mais renforce en même temps le contrôle du parti unique sur la société et l’État vietnamien (Rousset, 2019). En février dernier, l’ambassadeur de Chine au Vietnam a affirmé la volonté de son pays d’œuvrer pour le renforcement de la coopération stratégique intégrale entre les deux pays (le courrier du Vietnam, 2022).

L’opposition vietnamienne 

C’est au niveau de la délimitation des territoires maritimes en mer de Chine méridionale que les tensions sont les plus fortes avec Pékin. Cette dispute concerne principalement les îles Paracels, qui sont situées entre la côte vietnamienne et les iles chinoises du Hainan, et les iles Spratleys, situées entre le sud-Vietnam, l’ile philippine de Palawan et l’ile de Bornéo. (Bafoil, 2014). Le Vietnam est aujourd’hui un des seuls pays d’Asie du Sud-Est à s’opposer de manière aussi frontale aux ambitions chinoises (Rousset, 2019). Alors que la Chine revendique un droit historique sur ces territoires, le Vietnam s’appuie sur le droit international maritime. Pékin a chassé en 1974 les troupes vietnamiennes des iles Paracels, mais Hanoï y revendique toujours sa souveraineté (Storey, 2014). Et les deux partis revendiquent la totalité des Spratleys.

 

(A) Revendications en mer de Chine du Sud

 

La Chine refuse pourtant de reconnaitre qu’elle est en conflit avec le Vietnam autour de ces îles et refuse donc toute discussion de souveraineté. Pour les îles Spratleys, elle reconnait le conflit, mais le considère comme un conflit bilatéral qui ne peut être traité que comme tel avec chacun des pays séparément. C’est en 2014 que les tensions autour de ces îles ont été les plus fortes. Après qu’une station pétrolière chinoise est été installée dans les eaux revendiquées par le Vietnam au large des Paracels, de graves incidents ont eux lieu entre les deux pays (Roche, 2019).

 

(B) « ensemble, exploitons et protégeons la mer et les îles du Viet Nam »

 

Au-delà de la volonté de vouloir préserver ses acquis territoriaux, ce conflit est utilisé par le parti communiste vietnamien comme un moyen de renforcer sa légitimité. Cela lui permet de se montrer comme le garant de la sécurité nationale, il déploie une forte propagande à ce sujet (Mottet, 2015).

 

 

 

 

 

 

La stratégie vietnamienne : militarisation croissante et partenariats

Cette menace chinoise a mis en lumière la faiblesse des moyens militaires du pays, et donc la nécessité d’augmenter sa capacité de dissuasion. Le gouvernement a donc repris en main l’armée populaire et l’a développée stratégiquement. Afin de pouvoir défendre son territoire en mer de Chine, c’est sur la modernisation de sa marine et ses capacités de défense en termes de missiles que le pays s’est concentré (Gédéon, 2019).

La domination croissante de la Chine sur cet espace inquiète fortement le Vietnam. Conscient de l’asymétrie de la situation, il multiplie les partenariats. La perception de cette menace chinoise l’a notamment poussé à se rapprocher des États-Unis, avec qui il a signé un accord stratégique en 2011 et a multiplié les rencontres.  Hanoï a aussi développé des liens avec d’autres pays de la région, dont la plupart sont en rivalité avec la Chine (Gédéon, 2019). Cela lui permet de contrer la logique chinoise, qui tend à favoriser des négociations bilatérales, ce qui est forcément à son avantage. Cela permet aussi au Vietnam de ne pas se retrouver dans une situation de dépendance stratégique avec les États-Unis. Fidèle aux principes de sa politique étrangère, Hanoï essaye de conserver un équilibre entre les États-Unis et la Chine (Gédéon, 2019). Et bien que le Vietnam tente de mobiliser l’ASEAN, celle-ci reste relativement impuissante, notamment à cause de la nécessité d’obtenir un consensus pour prendre des décisions. Cette impuissance a amené le Vietnam à développer des partenariats avec trois pays asiatiques qui sont aussi en conflit avec la Chine sur des questions territoriales : l’Inde, le Japon et les Philippines (Gédéon, 2019). Tous ses partenariats lui permettent notamment d’avoir un soutien diplomatique, afin de pouvoir avoir un plus grand poids dans les négociations avec la Chine. Les partenariats commerciaux permettent aussi au Vietnam d’avoir une plus grande indépendance économique vis-à-vis de la Chine (Mathé, 2018).

Un dilemme stratégique 

Cette stratégie de développement de partenariats et alliances met cependant le Vietnam face à un dilemme stratégique. La coopération qu’a le Vietnam avec ses alliés trouve ses limites dans le principe dit des trois non de sa politique diplomatique (pas d’alliances militaires, pas d’alignement avec un pays contre un autre, pas de bases militaires étrangères sur le sol vietnamien), qui freine la mise en place d’alliances militaires fortes (Gédéon, 2019). Et, depuis la guerre froide, le Vietnam s’est voulu dans une stratégie de non-alignement, et cherche aujourd’hui à être dans un relatif équilibre entre les États-Unis et la Chine.

Mais si le Vietnam choisi de rester dans cette logique de partenariats limités, cela a comme conséquence de laisser le pays dans une situation d’asymétrie de puissance face à la Chine, et limite le soutien que pourrait lui apporter d’autres puissances et notamment les États-Unis en cas de crise. Mais dans le cas contraire, si le Vietnam choisit d’entrer pleinement dans une logique stratégique multilatérale, il serait forcé de devoir se positionner beaucoup plus clairement dans la rivalité entre la Chine et les États-Unis (Gédéon, 2019). Il risquerait alors d’être intégré dans un vaste système d’alliances collectives et poussé dans un conflit le dépassant.

Bibliographie

Bafoil, François. 2014. « Les conflits en mer de Chine méridionale ». 2014. Les dossiers du CERI, 5 septembre 2014. http://sciencespo.fr/ceri/fr/content/dossiersduceri/les-conflits-en-mer-de-chine-meridionale.

Gédéon, Laurent. 2019. « Vietnam : une géopolitique en mutation au risque d’un dilemme stratégique ? », Moussons, 33, 143-173. https://journals.openedition.org/moussons/5052#tocto2n6

Le courrier du Vietnam. 2022. « La Chine affirme booster son partenariat de coopération stratégique intégrale avec le Vietnam », Le courrier du Vietnam, 2 février 2022. https://lecourrier.vn/la-chine-affirme-booster-son-partenariat-de-cooperation-strategique-integrale-avec-le-vietnam/957401.html.

Mathé, Alexis. 2018. « Les Mutations de la stratégie vietnamienne face à la Chine : entre développement d’une force militaire régionale moderne et partenariats stratégiques » Iris France. https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2018/07/Asia-Focus-82.pdf

Mottet, Éric. 2015. « Vietnam-Chine : rivalités et revendications territoriales en mer de chine méridionale ». Conseil québécois d’Études géopolitiques. https://cqegheiulaval.com/vietnam-chine-rivalites-et-revendications-territoriales-en-mer-de-chine-meridionale/.

Roche, Y. 2019. « Puissances en mers du Sud-est asiatique », L’Asie du Sud-Est à la croisée des puissances, p. 141-165.

Rousset, Pierre. 2019. « Géopolitique contemporaine : l’Asie du Sud-Est dans la mondialisation capitaliste ». ritimo, 21 octobre 2019. https://www.ritimo.org/Geopolitique-contemporaine-l-Asie-du-Sud-Est-dans-la-mondialisation-capitaliste.

Storey, I. 2014. « Discordes en mer de Chine méridionale : les eaux troubles du Sud-Est asiatique ». Politique étrangère, , 35-47. https://doi.org/10.3917/pe.143.0035

Iconographie

(A) en ligne : https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/content/dossiersduceri/les-conflits-en-mer-de-chine-meridionale

(B) en ligne : https://cqegheiulaval.com/vietnam-chine-rivalites-et-revendications-territoriales-en-mer-de-chine-meridionale/

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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