Chine et Thaïlande : un rapprochement qui étonne

Par Lauryn Ledoux

La Thaïlande, deuxième puissance économique de l’Asie du Sud-est, est notamment connue comme étant une destination touristique populaire. Cette popularité est d’ailleurs l’une des raisons de sa domination économique de la région, mais pas la seule. Les exportations et les mégaprojets d’infrastructures y ont également contribué (Baffie, 2018, 2). Par sa position, elle ne peut pas passer inaperçue, aux yeux de la Chine. La grande puissance, qui ne fait que croître depuis quelques années, ne se fait pas prier pour y mettre son grain de sel. Ainsi, les deux États se rapprochent, au fil du temps. Bien que la Thaïlande avait une préférence pour les États occidentaux.

Un historique social

La Thaïlande détient la plus grande diaspora chinoise d’Asie du Sud-est. En effet, en 2018, les Chinois occupent « 10 à 14% de la population thaïlandaise, soit environ 6 à 9 millions de personnes » (Mérieau, 2018, 3). Non seulement ils sont nombreux, mais ils sont intégrés et ce, principalement grâce aux mariages interraciaux qui y sont élevés. Nous les retrouvons même dans la famille royale (Mérieau, 2018, 3). La place qu’ils occupent dans le pays est assez prestigieuse : ils sont considérés comme les moteurs de la croissance de la Thaïlande (Mérieau, 2018, 2). Tandis que les Thaïs sont plus tournés vers l’agriculture et l’administration, les Chinois s’intéressent aux activités commerciales et industrielles. Nous comprenons donc mieux leur place dans le pays, quand nous savons que ce sont ces deux secteurs, avec celui du tourisme, qui font tourner l’économie thaïlandaise. D’ailleurs, en 2018, « 80% des plus grandes entreprises siamoises sont tenues par des Chinois […] en 2017, neufs des dix hommes les plus riches de Thaïlande sont d’origine sino-thaïe » (siamoise signifie thaïlandaise) (Mérieau, 2018, 4). Les Chinois contrôlent littéralement le commerce thaïlandais et servent, comme dans d’autres pays d’Asie du Sud-est, de médiateurs de commerce (Mérieau, 2018, 5).

La richesse tourne autour d’eux, provoquant le mécontentement. Au 20ième siècle, avec la montée du nationalisme thaïlandais, il y a le ralentissement de l’immigration chinoise causé par l’animosité des Thaïs (Mérieau, 2018, 6). Par conséquent, la population chinoise se referma sur elle-même, refusant de se mélanger. Elle s’ouvra peu à peu, car dans les années 70, ils furent encouragés à prendre la nationalité thaïlandaise. C’est comme ça qu’ils ont petit à petit perdu leur attachement envers la Chine. Ils ne parlaient même plus ou peu le mandarin. Maintenant, ils reconnaissent leur héritage, mais ne se considèrent pas Chinois. C’est avec la montée économique de la Chine que leur fierté est revenue. En effet, quoi de plus « trendy » que de faire partie d’une communauté qui domine aujourd’hui le continent asiatique. La communauté chinoise a donc une présence importante en Thaïlande. Non seulement socialement, mais surtout économiquement, car elle est l’une des causes de la montée économique de l’État et y est une actrice indispensable.

Relations militaires et politiques

« Le domaine des achats d’armements a été celui dans lequel le « virage vers la Chine » a été le plus spectaculaire » (Dubus, 2018, 11). D’habitude, la Thaïlande diversifie ses sources d’armements, avec une préférence pour les États-Unis et l’Europe. Depuis le coup d’État de mai 2014, les tensions se font sentir et la Chine en a profité. Nous y ajoutons les séries d’exercices militaires sino-thaïlandais, qui ont renforcé les relations militaires des deux États. De plus, entre 2014 et 2017, il y a eu dix rencontres entre la Thaïlande et la Chine, contre une entre la Thaïlande et les États-Unis (Dubus, 2018, 16). La position américaine, contre le coup d’État, a entaché leur relation avec la Thaïlande. De plus, les États-Unis ont eu une absence dans la région, que la Chine a saisie.

Figure 2. Le premier ministre chinois Li Keqiang (à droite) et son homologue thaïlandais Prayut Chan-o-cha passent en revue la garde d’honneur à Bangkok. Source : Véron et Lincot. 2021. La Thaïlande aimantée par la Chine. The conversation. https://theconversation.com/la-tha-lande-aimantee-par-la-chine-154458

 

La nouvelle route de la soie

Bien qu’au début des années 2000 la Chine était absente de l’économie thaïlandaise, elle est, depuis 2012, sa première partenaire commerciale (Dubus, 2018, 5). La position géographique de la Thaïlande est ce qui intéresse la

Figure 1. Gandil, Alexandre. 2017. Route de la soie : chronique d’une résurrection. Asialyst. https://asialyst.com/fr/wp-content/uploads/2015/08/Carte-route-de-la-soie-INFOGRAPHIE-V2-1280×635.jpg

Chine. La grande puissance a comme ambition une route qui lie l’Asie à l’Europe. L’un des projets clés est la création d’un chemin de fer à grande vitesse, entre Kunming (Chine) et Singapour, passant par le Laos, la Thaïlande et la Malaisie. La Chine doit donc chercher la coopération des États par lesquels son projet doit traverser. En juin 2017, le gouvernement thaïlandais a donné son feu vert pour le début de la construction, à Bangkok, par une entreprise chinoise (Dubus, 2018, 5) . Ça n’a pas plu aux locaux, car, selon eux, il s’agissait de traitement de faveur. Effectivement, il n’y a pas eu d’appel d’offres et le comité chargé d’examiner les investissements supérieurs à 5 milliards de bahts n’a pas eu le droit d’étudier le projet. De plus, le public manque d’informations au sujet du projet : le nombre d’ouvriers nécessaire, le statut des droits fonciers, etc. Ce projet a donc causé une polémique dans la population thaïlandaise, à cause des nombreuses zones d’ombres et des questions sans réponses.

Encore lié à la nouvelle route de la soie, un autre projet chinois a fait lever les foules en Thaïlande : dynamiter des rochers, dans le flot du fleuve Mékong, entre le Laos et la Thaïlande, sur une longueur de 1.6 kilomètre (Dubus, 2018, 9). Cela dans le but de faire passer des cargos chinois. Pour la population, ce projet n’est pas acceptable, car il affectera la migration des poissons vers le bas Mékong et altérer le fleuve. De plus, plusieurs économistes ont affirmé qu’il n’y avait pas grand-chose à gagner pour la Thaïlande dans ce projet (Dubus, 2018, 10). Pourtant, le gouvernement a donné son accord, car il semblerait qu’il chercherait les faveurs de la Chine (Dubus, 2018, 10).

Donc tous ses projets, dans le but d’être bien vu par la grande puissance. Ces relations, de plus en plus fortes, entre les deux nations, ne sont toutefois pas tout le temps avantageuses pour la Thaïlande : il existe une inégalité, qui se ressent dans leurs négociations économiques.

 

Bibliographie

Baffie, Jean. 2018. « Thaïlande ». François Bost éd., Images économiques du monde 2019. Géopolitique • Géoéconomie. Armand Colin, p. 309-310. https://doi.org/10.3917/arco.bost.2018.01.0309

Dubus, Arnaud. 2018. « La dérive chinoise de la Thaïlande des généraux ». Monde chinois, vol. 54-55, no. 2-3, p. 85-92. https://doi.org/10.3917/mochi.054.0085

Mérieau, Eugénie. 2018. « L’économie thaïlandaise repose sur le dynamisme de ses Chinois d’outre-mer. ».  Idées reçues sur la Thaïlande. sous la direction de Mérieau Eugénie. Le Cavalier Bleu, p. 111-116. https://www.cairn.info/idees-recues-sur-la-thailande–9791031802756-page-111.htm

 

Annexe

Figure 1. Gandil, Alexandre. 2017. Route de la soie : chronique d’une résurrection. Asialyst. https://asialyst.com/fr/wp-content/uploads/2015/08/Carte-route-de-la-soie-INFOGRAPHIE-V2-1280×635.jpg

Figure 2. Le premier ministre chinois Li Keqiang (à droite) et son homologue thaïlandais Prayut Chan-o-cha passent en revue la garde d’honneur à Bangkok. Source : Véron et Lincot. 2021. La Thaïlande aimantée par la Chine. The conversation. https://theconversation.com/la-tha-lande-aimantee-par-la-chine-154458

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