Les inégalités ethniques au Laos

Par Ariane Labelle

Le Laos est l’un des pays les plus divers ethniquement en Asie du Sud-Est. On compte plus de 200 groupes ethniques différents, même si seulement 49 d’entre eux sont officiellement reconnus par le gouvernement (Minority Rights Group International, 2017). De plus, le Laos est l’un des pays les plus pauvres de la région. Les groupes minoritaires sont les plus atteints par cette pauvreté tandis que le groupe majoritaire, les Lao-Tai, est plutôt épargné (Anders Engvall 2006, p.26). En effet, les taux de pauvreté pour les Lao-Tai sont de 25% et, pour les minorités, ce taux bondit à 50,6% (Elizabeth M. King. et Dominique van de Walle 2012, p.6). Comment, historiquement et politiquement, expliquer ces inégalités de richesse entre les groupes ethniques au Laos?

Une affiche en Lao et en Thaï
Source: Dreamstime

Les Lao Theung, qui forment aujourd’hui environ 23% de la population du pays, furent les premiers à s’installer au Laos. Ils y vécurent pendant plusieurs milliers d’années avant que les Lao-Tai, formant aujourd’hui 67% de la population, viennent s’y installer à leur tour (Baogang He 2005, p.81). À leur arrivée, ces derniers ont pris possession des plaines et ont repoussé les Lao Theung vers les plateaux et les montagnes. Ils ont développé un système politique basé sur un chef qui détenait le pouvoir sur un certain territoire. Chaque année, le chef d’un territoire offrait un cadeau à un représentant Lao Theung qui, en échange, devait reconnaître la légitimité du chef et son droit à posséder le territoire. Ce rituel avait comme effet de renforcer le pouvoir des Lao-Tai et de montrer leur supériorité politique et économique (Carol J. Ireson, et W. Randall Ireson 1991, p.921-922).

Lors de l’époque du Protectorat français, les Lao-Tai furent accordés des postes dans l’administration des régions du territoire. Ainsi, ils étaient en charge de gérer des régions, peu importe leurs compositions ethniques. Ce contexte politique aura comme effet d’amplifier la supériorité des Lao-Tai sur les minorités. Par conséquent, suite à l’indépendance du Laos, les Lao-Tai, étant le groupe dominant, ont bâti le pays à leur image (Carol J. Ireson, et W. Randall Ireson 1991, p.922-923).

Historiquement, les Lao-Tai, même s’ils ne sont pas les premiers à être arrivés dans la région, ont su rapidement imposer leur dominance. En effet, ils ont mis en place un système politique qui leur a permis de s’enrichir et de devenir les propriétaires légitimes des terres. Ensuite, lors de la colonisation par les Français, ils ont reçu le rôle d’administrer les régions, ce qui leur a permis d’affirmer leur pouvoir sur les minorités ethniques. Ces multiples siècles de l’histoire ont permis l’enrichissement ainsi que l’installation de dynamiques bénéfiques pour les Lao-Tai. Ces dynamiques sont toujours présentes de nos jours et peuvent se voir au travers des politiques du gouvernement laotien. D’ailleurs, c’est au travers de ces politiques qu’elles contribuent à la perpétuité des inégalités entre les groupes ethniques.

Dû à la pauvreté et au peu de ressources du pays, le gouvernement (constitué de membres Lao-Tai) a dû prioriser le développement économique avant de considérer le bien-être des minorités. Jusqu’à nos jours, les politiques pour le développement sont souvent bénéfiques pour les Lao-Tai et désavantageuses pour les minorités, puisqu’elles ne prennent pas en compte leur condition et leurs particularités. En outre, plusieurs de ces politiques mènent à la « laoisation » des groupes minoritaires. Autrement dit, il s’agit de l’homogénéisation de la société laotienne multiethnique vers l’idéal Lao-Tai (Carol J. Ireson, et W. Randall Ireson 1991, p.925-926).

Dans le domaine de l’éducation, les enfants appartenant à une minorité ethnique ne reçoivent pas la même qualité d’enseignement que les enfants Lao-Tai. L’enseignement n’est pas adapté à leurs besoins ni à leurs conditions et ils ont accès à moins de ressources (Carol J. Ireson, et W. Randall Ireson 1991, p.928). L’exploitation des territoires forestiers à des fins de développement est aussi problématique. Le gouvernement a mis en place des lois strictes concernant la préservation des forêts (afin de les garder intactes pour une éventuelle exploitation), ce qui restreint la superficie des terres agricoles que les minorités peuvent utiliser. Ceci pose problème puisque l’agriculture est souvent leur seul moyen de subsistance et une de leur seule activité économique (Carol J. Ireson, et W. Randall Ireson 1991, p.932). Le gouvernement a aussi élaboré des politiques de déplacement de plusieurs minorités ethniques vers un autre territoire. Selon le gouvernement, ceci serait positif pour les minorités et aiderait au développement économique. Toutefois, il s’agirait surtout d’une stratégie pour contrôler les minorités et pour essayer de les assimiler à la culture Lao-Tai (Baogang He 2005, p.95).

Politiquement, les besoins et les intérêts des minorités ethniques ne sont pas pris en compte. Les politiques élaborées par le gouvernement laotien visent le développement économique, alors que l’ethnie Lao-Tai est présentement la seule à bénéficier de ce développement. De plus, à travers certaines de ses politiques, le gouvernement tente d’assimiler les minorités ethniques, comme les Lao Theung, à la majorité Lao-Tai. Toutefois, ceci ne risque pas de réduire les inégalités ethniques prochainement.

 

Bibliographie

King, Elizabeth M., and Dominique van de Walle. 2012. « Laos: Ethnolinguistic Diversity and Disadvantage. » Indigenous Peoples, Poverty and Development : 1-17.

Ireson, Carol J., and W. Randall Ireson. 1991. « Ethnicity and Development in Laos. » Asian Survey 31: 920–937.

Engvall, Anders. 2006. Ethnic minorities and rural poverty in Lao PDR. Stockholm School of Economics.

He, Baogang. 2005. Multiculturalism in Asia. Oxford University Press.

Minority Rights Group International. 2017. Laos. En ligne. http://minorityrights.org/country/laos/ (page consultée le 4 juin 2017).

 

Lien pour marque-pages : Permaliens.

Les commentaires sont fermés