Ruptures ethniques en Malaisie

Par Ariane Labelle

Depuis son indépendance en 1957, la Malaisie a constamment dû faire face à des problèmes qui persistent entre les différents groupes ethniques qui la composent. En effet, la population du pays est aujourd’hui composée d’environ 55% de Malais, 26% de Chinois, 8% d’Indiens et 10% d’indigènes (France diplomatie 2017). Cette coexistence est prédisposée à l’apparition de conflits interethniques; pensons, par exemple, aux émeutes anti-chinoises de 1969 (France diplomatie 2017). Ainsi, il serait intéressant de se demander quels sont les enjeux de cette diversité au niveau de l’harmonie nationale. De plus, comment expliquer que le gouvernement tente d’accorder des privilèges à l’ethnie malaise au travers de ses politiques ?

La diversité culturelle de la Malaisie Source: UN Women/Lin Joe Yin

Le cas chinois

Comme mentionné plus haut, plusieurs groupes ethniques habitent la Malaisie. Pourtant, seulement le Malais et l’Islam sont reconnus comme langue et religion officielles par le gouvernement (France diplomatie 2017). On vient donc à se demander si ceci ne serait pas un moyen de favoriser certaines ethnies par rapport aux autres. Historiquement, les Malais ont toujours craint les Chinois. Avant 1963, les Chinois étaient le peuple majoritaire. Ce n’est qu’après le retrait de Singapour et l’annexion de deux autres territoires à la Malaisie que les Malais sont devenus le peuple dominant en nombre. Cela dit, les Chinois ont toujours dominé la sphère économique (Université Laval 2012). D’ailleurs, lors des années 1970, le gouvernement malais a développé une politique nommée la New Economic Policy en réponse à ce « problème ». Le but de cette politique était d’éradiquer la pauvreté et d’éliminer la spécialisation professionnelle des groupes ethniques. En d’autres mots, il s’agissait de privilégier financièrement les Malais aux dépens des Chinois (Université Laval 2012). Cette politique a effectivement été fructueuse pour les Malais. Cependant, elle n’a pas eu autant d’effet sur les Chinois, car ceux-ci ont tout simplement continué à engager des personnes de la même ethnie qu’eux pour travailler dans leurs compagnies (Sudhir Arnand 1983, p. 250-251). Au final, la New Economic Policy n’a fait que diviser et isoler encore plus les groupes ethniques (Jamie Mackie 1992, p. 166). Même s’ils ont presque toujours constitué une minorité, les Chinois ont toujours possédé un immense pouvoir économique en Malaisie, ce qui est vu comme une menace par plusieurs Malais, et principalement par le gouvernement. En effet, dans un pays riche en ethnies, est-il normal qu’une seule d’entre elles possède presque entièrement le monopole de la richesse?

La classification ethnique

Le gouvernement malaisien oblige à ce que la race ainsi que la religion apparaissent sur la carte d’identité. Par ailleurs, les races sont seulement séparées en quatre catégories : « Malais », « Chinois », « Indien » et « Autres ». La catégorie « Autres » inclut surtout les autochtones (Charis Quay Huei Li 2013, p. 595). Quant à la race malaise, l’article 160 de la Constitution fédérale de Malaisie dicte qu’une « personne qui s’affirme musulman, parle habituellement la langue malaise, adhère aux coutumes malaises, et [est originaire de la Malaisie ou de Singapour] » en fait partie. Si on se fit à cette définition, il est clair que, pour le gouvernement, être Malais implique aussi être musulman. De plus, la Constitution affirme que les Malais (donc les musulmans), en raison de leur ethnie, sont garants d’un statut spécial dans le pays (Charis Quay Huei Li 2013, p. 597). L’Islam, loin d’être la seule religion pratiquée, a également un statut privilégié en Malaisie. Il s’agit de la religion officielle et elle possède même son propre système judiciaire, en parallèle au système de droit civil (Charis Quay Huei Li 2013, p. 595). La mosaïque des races et religions en Malaisie offre en outre une opportunité aux médias, aux organisations et aux partis politiques de manipuler la population en semant la crainte des différentes ethnies et en incitant à la haine entre celles-ci (Charis Quay Huei Li 2013, p. 600). En outre, la classification des « races », ou plutôt ethnies sur la carte d’identité fait partie d’une de ces techniques de division. Cependant, cela pose problème, puisque beaucoup de personnes en Malaisie sont à la fois chinois et malais, indiens et chinois, malais et indiens, etc. Dans ce cas, à quelle catégorie appartiennent-ils?

Les autochtones

Les indigènes sont les grands oubliés de la Malaisie. Formant 10% de la population, ils n’ont pas droit à leur propre catégorie ethnique. Ceci n’est pas un hasard, puisque leur assimilation est souhaitée par le gouvernement malais. C’est ainsi que les peuples autochtones sont tous rassemblés sous la catégorie « Autres ». D’ailleurs, plus que les autres groupes ethniques, les indigènes sont victimes de pauvreté et d’exclusion sociale (Charis Quay Huei Li 2013, p. 598). De plus, leurs terres attirent la convoitise du gouvernement malais afin d’y construire des infrastructures ou bien pour aller y piller des ressources naturelles. L’aéroport de Kuala Lumpur, par exemple, a été construit sur un ancien territoire autochtone. Sa construction a obligé les indigènes sur place à quitter, car leurs terres étaient réquisitionnées par le gouvernement (Charis Quay Huei Li 2013, p. 598). C’est à croire que les indigènes de la Malaisie n’ont aucun droit sur leurs terres, même s’ils les habitent depuis plusieurs générations. Ceci fait partie du dilemme de la préservation de la nature et du territoire versus le développement économique du pays.

Pour conclure, la Malaisie, nouvelle puissance économique d’Asie, doit trouver un moyen de gérer sa diversité culturelle et ethnique par des politiques ayant comme but l’inclusion plutôt que l’exclusion. Par ailleurs, plusieurs initiatives populaires pour l’unité nationale ont pris forme depuis les dernières années, dont le Kita Kawan Mah, signifiant « Nous sommes tous amis » (Charis Quay Huei Li 2013, p. 600).  Du côté des autochtones, la Commission des droits de l’homme de Malaisie est rattachée à leur cause, essayant sans cesse d’améliorer leur situation économique et leur statut à l’intérieur d’un pays qui est supposé être le leur (Charis Quay Huei Li 2013, p. 599).

 

Bibliographie

Anand, Sudhir. Inequality and poverty in Malaysia: Measurement and decomposition. The World Bank : Oxford University Press.

France. France Diplomatie. 2017. Présentation de la Malaisie. En ligne. http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/malaisie/presentation-de-la-malaisie/ (page consultée le 14 mai 2017).

Mackie, Jamie. 1992. « Changing Patterns of Chinese Big Business in Southeast Asia ». Southeast Asia Capitalists. Dir. Ruth McVey. Ithaca: Southeast Asia Program Publications, Cornell University : 161-190.

Quay Huei Li, Charis. 2013. « Déconstruire la violence démographique en Malaisie ». Études 12 : 593-603.

Université Laval. 2012. Malaisie. En ligne. http://www.axl.cefan.ulaval.ca/asie/malaysia.htm (page consultée le 14 mai 2017).

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