Thaïlande : Les Kathoeys avant l’influence coloniale

Par Heidi Poirier

**Note de l’auteur : Le pronom « iel » est utilisé dans le texte en tant que pronom neutre pour référer aux Kathoeys et les accords alternent entre masculins et féminins comme les personnes que le terme représentait en Antiquité.**

Bien que la Thaïlande (Siam à l’époque) ne fut jamais colonisée, la colonisation des régions voisines a eu un impact important sur plusieurs aspects de la société, dont des enjeux d’acceptation sociale et de législation. Les Kathoeys sont un groupe qui fut victime des impacts de la colonisation, mais qui existait bien avant ceux-ci. Selon une conception occidentale de l’identité de genre, les Kathoeys seraient catégorisés comme étant des femmes transgenres, mais cette définition n’est pas adaptée aux réalités identitaires et sociales des Kathoeys, surtout celles qui précèdent l’ère d’influence coloniale. La conception du genre n’est pas la même et n’était pas la même en Thaïlande et dans d’autres sociétés non occidentales que dans les sociétés occidentales.

Il y a comparativement moins d’informations sur les Kathoeys que d’autres groupes de personnes s’identifiant à l’extérieur des normes hétéronormatives et cisnormatives dans d’autres pays d’Asie, comme les Hijra en Inde [1]. En ce sens, il n’est pas certain si les Kathoeys avaient un rôle religieux ou social spécifique, mais certaines mentions dans des textes historiques et déductions d’experts nous permettent de comprendre leur réalité avant l’influence coloniale. Cela dit, il est certain que les Kathoeys existaient bel et bien, et en assez grand nombre pour être mentionné dans les textes de l’époque.

Dans les textes anciens, le terme « Kathoey » semble être un terme parapluie qui regroupe non seulement les personnes transgenres (ou transsexuelles), mais également les personnes hermaphrodites ou intersex, ainsi que les homosexuels. Par contre, il est important de nuancer ce terme parapluie, car il existe d’autres termes en Thaïlande pour décrire des personnes homosexuelles ou qui ne se conforment pas aux attentes de la société envers leur genre et le terme « Kathoey » n’est plus utilisé comme terme parapluie aussi large aujourd’hui. De plus, il n’est pas clair si certains groupes comme les eunuques étaient considérés comme les Kathoeys et il semblerait, que le terme « Kathoey » s’appliquait autant aux femmes qu’aux hommes transgenres en antiquité [2], alors qu’il s’applique presque exclusivement aux femmes transgenres aujourd’hui, et dans de rares cas, à des hommes homosexuels.

Malgré le peu d’informations sur le rôle en société des Kathoeys, certains chercheurs croient que ces personnes auraient fait partie de troupes de théâtre, grâce à leurs capacités à jouer des rôles féminins et masculin à une époque durant laquelle les acteurs de troupes de théâtre populaires étaient exclusivement des hommes [3]. Cette hypothèse est possible, mais il serait étonnant qu’elle explique en entier le rôle des Kathoeys dans la société, car leur identité a perduré bien au-delà des troupes de théâtre jusqu’au 21e siècle.

Il est difficile de déterminer dans quelle mesure les Kathoeys furent acceptées ou ostrasiées de la société générale durant l’antiquité, mais selon certains textes religieux (surtout bouddhiste), il est évident que les comportements qui dérogeaient de l’hétéronormativité et la cisnormativité n’étaient pas favorablement accueillis, surtout au sein des ordres religieux [4]. Le bouddhisme fut adopté par la majorité de la Thaïlande vers le 13e siècle [5] et c’est surtout à partir de ce moment qu’il y a plus de littérature sur le traitement et la perception envers les Kathoeys. En effet, selon la croyance bouddhiste toute divergence à l’hétéronormativité et la cisnormativité a une cause spirituelle reliée aux mauvaises vies antérieures ou encore, une déviance négative du comportement de l’individu. Si la première était la cause, la religion semblait bien plus tolérante que si c’était la deuxième cause, malgré qu’il y avait un besoin de corriger l’individu peu importe la cause. En ce sens, il paraît que l’inné est mieux toléré que l’acquis, mais alors comment déterminer la cause ? Selon les textes bouddhistes, l’environnement est le facteur décisif [6]. Ensuite, une particularité qui permet de mieux comprendre la perception sociale de la sexualité et le genre, est une liste d’actions sexuelles socialement interdites qui n’inclut pas l’homosexualité et la variance de genre, mais plutôt l’adultère et le viol. Ainsi, alors que l’homosexualité et la variance de genre sont considérées comme moins adéquats que l’hétérosexualité et être cis genre, ils restent bien supérieurs, sur l’échelle d’acceptabilité sociale, aux actions comme l’adultère et le viol [7].

Il est cependant important de mentionner qu’il est difficile de comprendre les réalités de l’époque Kathoeys à travers des textes antiques pour trois raisons principales. Premièrement, la définition des termes à l’époque n’est pas la même qu’aujourd’hui, donc nous devons nous appuyer sur des interprétations pour en déduire la signification de l’époque. Deuxièment, les traductions peuvent elles aussi changer la définition d’un mot, surtout s’il n’existe pas d’homologue parfait. Finalement, les chercheurs analysent ces textes antiques avec une vision moderne et souvent occidentale, ce qui teinte leur interprétation.

Bref, malgré qu’il est évident que les Kathoeys font partie de la société thaïlandaise depuis plus de 10 siècles, leur rôle en société, s’iels en avaient un, n’est pas clair et le niveau d’acceptation de la société est, lui aussi, difficile à déterminer durant l’ère qui précède l’influence coloniale.

Sources

[1] Thongkrajai 2010, p.158

[2] Jackson 1998

[3] Totman 2003

[4] Jackson 1998

[5] Baker et al 2014, p. 7

[6] Jackson 1998

[7] Jackson 1998

Bibliography

Baker, Christopher John, and Pasuk Phongpaichit. 2014. A History of Thailand (version Third edition.) Third ed. Cambridge: Cambridge University Press.

Jackson, Peter A. 1998. Male Homosexuality ans Transgenderism in the Thai Buddhist Tradition. Queer Dharma : Voices of Gay Buddhists. Gay Sunshine Press : San Fransisco.

Thongkrajai, Cheera. 2010.  Kathoey, un genre multiple : le processus d’adaptation et de négociation identitaire des transsexuels MTF de ThaïlandeRecherche en sciences humaines sur l’Asie du Sud-Est 16 (2) : 157-174

Totman, Richard. 2003. The Third Sex : Kathoey – Thailand’s Ladyboys, Londres : Souvenir Press.

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