La Thaïlande face aux trafics de drogues : une politique de lutte spécifique dans la région ?

Par Coline Hondermarck

Principalement connue pour ses paysages paradisiaques et son attrait touristique, la face cachée de la Thaïlande reflète bien d’autres aspects, particulièrement en termes de trafic de drogues. Située au cœur du célèbre “Triangle d’Or”[1], la Thaïlande représente un important point de transit pour les drogues à destination des pays de l’Asie du Sud-Est, de l’Asie de l’Est, l’Océanie et même, en plus faible quantité, en Amérique du Nord.

l’expansion du trafic de drogues en Thaïlande (photo : TNA Mcot)

Le faible contrôle des frontières qui concerne la Thaïlande, mais également l’ensemble de la région de l’Asie du Sud-Est (Laos, Vietnam, les Philippines, etc.) constitue un véritable atout pour les principaux producteurs de drogues et les trafiquants. La route empruntée à la frontière nord entre la Thaïlande et la Birmanie constitue par exemple un point de circulation important. Bien que le gouvernement thaïlandais mette en place une politique répressive de lutte contre la drogue, ce n’est pas forcément le cas pour ses voisins asiatiques comme la Birmanie, rendant la tâche ardue. Cependant, le renforcement de la sécurité à la frontière redéfinit les nouvelles routes de trafics, davantage tournées vers le Laos. L’efficacité des politiques de contrôle est donc relative dans la mesure où le problème est simplement déplacé à un autre point. Le défi de la drogue concerne la Thaïlande mais pas seulement et s’étend à l’échelle régionale et internationale.

Un phénomène qui dépasse largement les frontières asiatiques

Outre cette difficulté aux frontières, la question du commerce illégal au-delà de la région suscite particulièrement de l’inquiétude. Les aéroports thaïlandais doivent faire face à un important trafic en provenance du Moyen-Orient et de l’Afrique de l’Ouest (par exemple avec le cas d’une ivoirienne  qui a été interceptée avec 1,2 kg de cocaïne dans l’estomac) et même du Canada et de l’Europe. Le rôle de la mondialisation dans ce processus pose de nombreuses questions en termes de défis sécuritaires. En effet, le trafic à destination et à travers la Thaïlande risque probablement de connaître une forte croissance face à une intégration économique régionale de plus en plus importante (avec l’exemple de l’ASEAN par exemple), d’une multiplication des échanges commerciaux et d’une amélioration des liaisons de transports avec les voisins asiatiques (par exemple avec l’autoroute de Kunming Bangkok qui relie le Laos, la Chine et la Thaïlande). Dans le contexte de la pandémie de COVID-19, les nations de l’Asie du Sud-Est, notamment la Thaïlande, font face à une double menace de sécurité non-traditionnelle qui invite à développer une solidarité et une coopération renforcées.

 

Un trafic à relativiser à l’échelle asiatique

Cependant, lorsqu’il est question de faire une comparaison avec ses homologues asiatiques, la Thaïlande est relativement peu concernée par un trafic important de drogues dans son pays.[2] En effet, c’est l’un des rares pays à avoir supprimé la production illégale d’opium contrairement à des pays comme le Vietnam. Il est seulement question d’une quantité faible qui continue d’être produite dans les plateaux du nord à destination des groupes ethniques minoritaires. Cependant, le chiffre de produits de méthamphétamine risque de grimper dans les années à venir. Beaucoup craignent une propagation importante de VIH, notamment parmi les jeunes et les groupes à risque, par les personnes qui s’injectent cette substance. Le taux élevé de VIH parmi ces personnes est lié à la sévérité de la législation thaïlandaise en matière de drogues. L’incarcération des toxicomanes dans les centres de détention s’est accompagnée d’une augmentation de transmissions du VIH par l’importante présence de drogues dans ces lieux et où les aiguilles sont peu disponibles. Dans ce contexte, toute la stratégie thaïlandaise peut alors faire l’objet d’une profonde remise en question.

 

Le paradoxe de la politique thaïlandaise de lutte contre la drogue

Ainsi, la politique de lutte contre la drogue appliquée par le gouvernement thaïlandais est un véritable paradoxe 2. D’une part, l’efficacité des mesures centrées sur le développement alternatif a été démontrée par la suppression de la production illicite d’opium. D’autre part, l’application de politiques restrictives ne coïncident pas avec le droit international sur les droits de l’homme. En effet, cette politique est marquée par l’organisation d’une « guerre contre la drogue » à partir de 2003 prévoyant la peine de mort, l’incarcération des toxicomanes susceptibles de transmettre le VIH ainsi que les gestes de maltraitance de la police thaïlandaise envers les consommateurs. La mise en place d’une politique conservatrice dont le but est la tolérance zéro à l’égard du trafic de drogues tend ainsi à remettre en question sa légitimité et son efficacité. En effet, cette politique tend à créer des effets pervers qui incitent davantage les comportements déviants. L’ensemble de ces politiques représentent de véritables obstacles concernant l’accès aux traitements volontaires et aux services de santé.

Ainsi, le cas de la Thaïlande est riche d’enseignements pour ses homologues asiatiques, particulièrement au sein de l’ASEAN. L’application de politiques répressives et le traitement obligatoire de la toxicomanie sont susceptibles de faire obstacle à un traitement efficace et à la réduction des risques dans le pays mais également dans la région sud-asiatique.

[1] Chin Ko-Lin, « The Golden Triangle : Inside Southeast Asia’s », Cornell University Press, 2009.

[2] Windle, James. 2015. “Drugs and Drug Policy in Thailand.”. Washington, DC: Brookings Institution.

 

Bibliographie

– « Thaïlande. Not Enough graves : The War on Drugs, HIV/AIDS, and Violation of Human Rights”, Human Rights Watch, June 2004, Vol. 16, No. 8

– Chin Ko-Lin, « The Golden Triangle : Inside Southeast Asia’s », Cornell University Press, 2009.

– Paul Newton, Stephane Proux, Michael Green, Frank Smithuis, Jan Rozendaal, Sompol Prakongpan, Kesinee Chotivanich, Mayfong Mayxay, Sornchai Looareesuwan, Jeremy Farrar, Francois Nosten, Nicholas J White “Fake artesunate in southeast Asia”, in THE LANCET, Vol 357, June 16, 2001

– Leechaianan, Yingyos, and Dennis R. Longmire. 2013. “The Use of the Death Penalty for Drug Trafficking in the United States, Singapore, Malaysia, Indonesia and Thailand: A Comparative Legal Analysis.” Laws 2(2): 115–49

– Windle, James. 2015. “Drugs and Drug Policy in Thailand.”. Washington, DC: Brookings Institution.

 

 

 

 

 

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