Le soft power sud-coréen au Vietnam

Par Karel Sauvageau

Le Vietnam et la Corée du Sud ont été ennemis[1] lors de la guerre du Vietnam, puisque le pays de l’Asie de l’Est est un allié des États-Unis et donc il était intervenu. Or, les décennies qui ont suivi la guerre ont été marquées par des conséquences positives quant à la perception du Vietnam à l’endroit de la diplomatie sud-coréenne, cela grâce à l’exportation de la culture sud-coréenne via la télévision. C’est ce qu’on appelle communément du soft power, puisque, sans intentions politiques préalables, l’image du pays de l’Asie de l’Est a connu au Vietnam une croissance positive depuis la fin des années 1980[2]. Seulement environ 20 ans plus tard, soit en 2007[3], un centre culturel a été créé à Hanoi afin de promouvoir la culture sud-coréenne et l’apprentissage du coréen. Le Vietnam peut alors depuis bénéficier d’investissements financiers et d’un modèle de développement de la part de la Corée du Sud.


Figure 1 : https://fr.123rf.com/photo_59846795_puzzle-avec-le-drapeau-national-de-la-cor%C3%A9e-du-sud-et-le-vietnam-sur-un-fond-de-carte-du-monde-illustr.html.

 

Migrations par le mariage

Un facteur socio-économique marquant de l’ascension économique de la Corée du Sud a été le manque de femmes dans les campagnes en raison de l’essor urbain. En effet, le mode de vie moins favorable dans les campagnes était devenu rejeté dans les années 1990[4] et le gouvernement sud-coréen avait donc mis en place une nouvelle politique de migrations par le mariage afin de combler ce manque de femmes. On peut considérer comme du soft power ces mariages arrangés qui consistaient de la part du pays de l’Asie de l’Est à promouvoir son développement économique afin d’attirer les Sud-est asiatiques des pays plus pauvres, qui eux pouvaient bénéficier d’une vie économiquement meilleure en Corée du Sud. Cette vague de migration par le mariage a été particulièrement importante pour le Vietnam, le pourcentage de vietnamiennes mariées à des hommes sud-coréens a rapidement augmenté entre 2004 et 2006, passant de 10% à 34%[5] de tous les mariages transnationaux en Corée du Sud. En réalité, les immigrantes par le mariage sud-est asiatiques étaient principalement vietnamiennes.[6]

 

Influence culturelle

La vague culturelle sud-coréenne a été particulièrement popularisée au Vietnam depuis les années 1990. Déjà en 2000, c’était en effet plus de la moitié de tous les films importés au Vietnam qui étaient d’origine sud-coréenne[7]. Ce qui explique cela c’est notamment la proximité entre les deux cultures, dont l’influence confucéenne, cette dernière étant très présente à l’écran. Depuis le début des années 2000, grâce à l’exportation du cinéma et de la musique, les Sud-est asiatiques s’intéressent de manière croissante à la langue et à la culture sud-coréennes. De ce fait, en 2005 le ministère de l’Éducation de la Corée du Sud a rapporté que le nombre de postulants vietnamiens pour le test de compétence linguistique en coréen avait presque doublé[8] en seulement un an. Cette même année, les émissions de télévision sud-coréennes avaient pris d’assaut les chaînes vietnamiennes, au point où un haut fonctionnaire vietnamien s’était plaint de l’inégalité de diffusion du contenu vietnamien et avait menacé[9] de cesser la diffusion du contenu sud-coréen qui était devenu trop important.


Figure 2 : https://www.scmp.com/week-asia/society/article/2181741/why-are-so-many-south-korean-tourists-visiting-vietnam.

 

Développement des marchés

La Corée du Sud est reconnue comme ayant été autrefois un pays bénéficiaire de l’aide au développement étant devenu, grâce à son ascension économique, un pays donateur. Elle a d’ailleurs entre 2009 et 2010 fait un don en aide au développement de 82 millions de $US[10] au Vietnam, ce dernier ayant à ce moment été son plus grand bénéficiaire. Avec une histoire marquée par la guerre, la colonisation japonaise et la séparation du territoire pour ces deux pays, lorsque la Corée du Sud offre son savoir-faire et investit au Vietnam, les gens l’écoutent. Au début des années 1990, le Vietnam a commencé à accueillir les investisseurs étrangers, ce qui lui a permis de devenir un marché au fort potentiel de développement. La Corée du Sud a rapidement saisi cette opportunité en étant l’un des trois premiers pionniers[11] à investir massivement au Vietnam, alors que ce dernier n’était même pas encore membre de l’ASEAN[12]. Les investissements directs étrangers de la Corée du Sud étaient d’ailleurs entre 1988 et 2007 les plus importants[13] au Vietnam. Étant donné que son modèle de développement économique est principalement basé sur ses exportations, la Corée du Sud a su rapidement voir au Vietnam une opportunité nouvelle d’investissements.

Avec une coopération bilatérale axée sur le transfert de connaissances, la Corée du Sud a apporté une aide au développement significative au Vietnam. Le gouvernement sud-coréen a entre autres mis en place un programme d’accompagnement afin d’aider le Vietnam dans l’instauration de son marché boursier en plus de lui fournir, entre 1996 et 2002[14], un soutien financier de 1,6 million de dollars. Ainsi, cela a permis d’aider le gouvernement vietnamien qui souhaitait développer une économie de marché et de réaliser une croissance industrielle, en plus de permettre à la Corée du Sud de valoriser son expertise et de tisser des liens économiques importants avec ce pays de l’Asie du Sud-Est. De 2003 à 2008, le Vietnam est, avec 3,87 milliards de dollars, le bénéficiaire principal d’investissements sud-coréens en Asie du Sud-Est[15]. En 2014, la Corée du Sud était le premier investisseur étranger au Vietnam, « avec plus de 3 000 projets estimés à 23,5 milliards de dollars et générant quelque 400 000 emplois dans l’économie locale »[16]. Le Vietnam qui était en faveur de l’aide au développement proposée par la Corée du Sud a pu bénéficier d’investissements dans le secteur des technologies, ce qui a permis en retour de valoriser le succès de l’innovation sud-coréenne.

Ainsi, l’ouverture du Vietnam aux investissements et son ambition de développement lui ont permis de bénéficier de l’expertise de la grande puissance qu’est la Corée du Sud, cela en échange d’une influence culturelle.

[1] Tudor, Korea: The Impossible Country, 283.

[2] Keyser et Shin, Corée du Sud-Viêt-Nam : Les deux Puissances Moyennes d’Asie, 313-314.

[3] Steinberg, Korea’s Changing Roles in Southeast Asia: Expanding Influence and Relations, 40.

[4] Kim, Sur le « multiculturalisme » à la coréenne, 153-154.

[5] Fresnoza-Flot et Ricordeau, International Marriages and Marital Citizenship : Southeast Asian Women on the Move, 179.

[6] Kim, 153.

[7] Steinberg, 287.

[8] Steinberg, 256.

[9] Steinberg, 268.

[10] Tudor, 288.

[11] Steinberg, 35.

[12] Association des nations de l’Asie du Sud-Est.

[13] Steinberg, 311.

[14] Steinberg, 170.

[15] Kim, Le Soft Power Sud-Coréen en Asie du Sud-Est : Une théologie de la prospérité en action, 14.

[16] Keyser et Shin, 319.

Bibliographie

Fresnoza-Flot, Asuncion et Ricordeau, Gwénola. International Marriages and Marital Citizenship : Southeast Asian Women on the Move. Londres : Routledge, 2017. https://doi.org/10.4324/9781315446363.

Keyser, Donald et Shin, Gi-Wook. « Corée du Sud-Viêt-Nam : Les deux Puissances Moyennes d’Asie ». Outre-Terre 2, no. 39 (2014) : 311–321.

Kim, Hui-yeon. Le Soft Power Sud-Coréen en Asie du Sud-Est : Une théologie de la prospérité en action. Bangkok : Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est contemporaine, 2014. http://www.doi.org/10.4000/books.irasec.194.

Kim, Tae-Soo. « Sur le « multiculturalisme » à la coréenne ». Hérodote 2, no. 141 (2011) : 151–160.

Steinberg, David I. Korea’s Changing Roles in Southeast Asia: Expanding Influence and Relations. Singapour : ISEAS Publishing, 2010.

Tudor, Daniel. Korea: The Impossible Country. Rutland : Tuttle Publishing, 2018.

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