Singapour : Une sécurité maritime et territoriale constamment remise en question

Par Alexia Belzile

La piraterie et le terrorisme maritime sont des enjeux de sécurité qui affectent négativement Singapour. La cité-État a adopté plusieurs stratégies sécuritaires pour renforcer la sécurité du détroit de Malacca et des ports singapouriens afin de repousser la menace pirate et terroriste.

 

Piraterie et terrorisme maritime

La piraterie est un phénomène fréquent dans le détroit de Malacca. Image : Bjoertvedt / Wikimedia.

Depuis les années 1990, la piraterie a repris de l’ampleur dans le détroit de Malacca, affectant négativement sa sécurité. De plus, la menace terroriste maritime dans le détroit a surgi davantage suite aux attentats du 11 septembre 2001[1]. En 2015, on recensait que «40 % des cas de piraterie dans le monde ont [eu] eu lieu dans les eaux indonésiennes, dont une partie significative dans le détroit de Malacca» et que 38 des 54 attaques de piraterie considérées comme graves dans le monde se sont produites en Asie du Sud-Est[2].  Par exemple, lorsque les navires qui s’aventurent dans le détroit ralentissent pour mieux naviguer, leurs capacités à manœuvrer s’affaiblissent. Ainsi, ils peuvent devenir victimes d’actes de piraterie et de vol de marchandise[3].

Afin de faire face à ce phénomène, le gouvernement singapourien a favorisé la croissance des régions situées en bordure des rives du détroit de Malacca. Cette croissance permet notamment d’éloigner la pauvreté dans ces régions pour ensuite «lutter contre les racines du crime pirate», puisque les criminels sont moins enclins à s’aventurer sur des territoires plus développés[4]. En effet, il a été démontré que plus une région est pauvre et que son taux de chômage est élevé, plus que les habitants de la région ont tendance à se tourner vers la piraterie ou vers le «vol à main armé à bord des navires», car ces activités illicites constituent une source de revenus intéressante»[5]. La déclinaison et la résurgence de la piraterie au sein du détroit correspondent alors du niveau de développement social, économique et des «facteurs […] géopolitiques» qui affectent la région[6]. Ces éléments expliquent pourquoi la crise économique de 1997 qui a touché l’Asie du Sud-Est a contribué au regain de la piraterie dans le détroit[7].

Singapour a avantage à faire fuir la menace pirate : si les navires ne veulent plus passer par le détroit de Malacca parce qu’ils craignent pour leur sécurité, ils ont la possibilité de suivre un autre chemin maritime.  Singapour perdrait donc une grande partie de son monopole économique acquit à l’aide du détroit de Malacca, pénalisant ainsi son économie[8]. Malgré qu’elle possède une armée et une marine bien équipée pour surveiller les activités du détroit de Malacca, la cité-État n’hésite pas à faire appel à de l’aide de la part de puissances étrangère pour lutter contre le terrorisme et la piraterie dans le détroit[9].

 

La protection du détroit de Malacca est essentielle pour la prospérité économique de Singapour. Image : P. Oei. 

 

 Stratégie de protection des frontières territoriales et maritimes

Les enjeux de sécurité concernant le détroit de Malacca remettent en question la dépendance de Singapour sur le détroit pour sa prospérité économique[10].Ce détroit est extrêmement important pour Singapour, car il supporte «50% du fret maritime mondial» (plus de 94 000 bateaux y passent chaque année) et de nombreuses «importations en hydrocarbures»[11]. Ainsi, le détroit de Malacca permet à Singapour d’alimenter de façon croissante ses échanges commerciaux et de se maintenir au sommet des puissances économiques mondiales. La prospérité de Singapour serait remise en question si le détroit était perturbé par la piraterie et le terrorisme maritime [12].

Les autorités singapouriennes se sont efforcées d’adopter des stratégies pour renforcer la sécurité dans le détroit de Malacca. D’abord, elles ont sécurisé ses ports et ses infrastructures portuaires qui accueillent de très nombreux navires provenant de l’étranger. Ensuite, les autorités ont installé des caméras tout le long du détroit pour surveiller les activités des utilisateurs et pour repérer des comportements problématiques, sous la surveillance de l’armée et de la marine singapourienne. Il faut aussi que les navires qui naviguent dans le détroit aient reçu une autorisation spécifique provenant des autorités de la cité-État. En effet, Singapour revendique fortement «le droit de passage ne transit» établit par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer[13]. Enfin, elle s’est engagé dans plusieurs initiatives internationales visant à assurer la sécurité des détroits dans le monde, dont la convention de Rome de 1988 sur la répression d’actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime, l’International Ship and Port Facility Security Code(ISPS), la Container Security Initiative(CSI) et la Radiation Detection Initiative[14].

 

Assurer la sécurité du détroit par la coopération

Un policier malais patrouille le détroit de Malacca, permettant de sécuriser davantage la région. Image : afp.com/Jimin Lai.

Les mesures énumérées précédemment prises par Singapour pour protéger le détroit de Malacca ne concernent que la protection de ses eaux territoriales. Afin d’assurer une protection plus large et efficace du détroit, Singapour n’a pas le choix de collaborer avec les autres pays de la région, dont la Malaisie et l’Indonésie. Par exemple, depuis 2006, l’Information Sharing Center du Regional Cooperation Agreement on Combating Piracy And Armed Robbery against Ships in Asia (RECAAP) a été créé pour renforcer la collaboration et la transparence entre ces trois pays dans la protection des territoires maritimes de la région[15]. Cette organisation permet aussi aux trois pays de patrouiller et d’inspecter le détroit conjointement pour permettre une surveillance plus constante et uniforme[16].

Par ailleurs, Singapour, la Malaisie et l’Indonésie font parties de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), qui vise notamment à renforcer la collaboration entre les États membres pour assurer un meilleur développement économique et social et pour former une zone de paix au sein de la région. Par contre, les structures de coopération de l’organisation ont été de nombreuses fois mises à l’épreuve et ont parfois été questionnées pour leur efficacité. En effet, l’ASEAN est davantage préoccupée par ses intérêts économiques que ceux sécuritaires et n’a pas d’«autorité supérieure à celle des États»[17]. L’ASEAN possède alors certaines lacunes dans son leadership pour la protection des territoires de ses pays membres, dont ceux maritimes, ce qui ne permet pas de maximiser la protection du détroit de Malacca[18].

Il est très important d’éviter les tensions et les conflits entre la Malaisie, l’Indonésie et Singapour, car cela permet de renforcer une coopération qui assure la sécurité du détroit de Malacca. Ces États bénéficient tous d’une protection efficace du détroit pour leur bien-être social, économique et politique et pour le respect de leur souveraineté territoriale[19]. Par contre, Singapour aurait tendance à agir de façon unilatérale en ce qui concerne les enjeux de sécurité qui affectent les pays la région et doit continuer à coopérer avec ceux-ci pour la protection de son territoire et de son économie[20].

[1]Frécon 2012

[2]Rimmer 2004

[3]Rimmer 2004

[4]Frécon 2012

[5]Rimmer 2004

[6]Emmery 2016

[7]Emmery 2016

[8]Rimmer 2004

[9]Fo 2013

[10]Frécon 2012

[11]Emmery 2016; Voir le billet de blogue «La rivalité économique et géostratégique singapourienne dans le détroit de Malacca»pour plus d’informations.

[12]Frécon 2012 ; Emmery 2016

[13]Ho 2010

[14]Frécon 2012

[15]Frécon 2012

[16]Ho 2010

[17]Emmery 2016

[18]Emmery 2016

[19]Emmery 2016

[20]Frécon 2012

Bibliographie

Emmery, Pierre. 2016. «Questions sécuritaires dans le détroit de Malacca». Revue de Défense nationale : 8(793) : 76-82. https://doi.org/10.3917/rdna.793.0076

Fo, Nathalie. 2013. «Les enjeux économiques et géostratégiques du détroit de Malacca». Géoéconomie: 4(67) : 123-140. https://www.cairn.info/revue-geoeconomie-2013-4-page-123.htm

Frécon, Éric. 2012. «Singapour, gardienne de ses détroits». Monde chinois, 2(2), 29-36. https://doi.org/10.3917/mochi.030.0029

Ho, Joshua. 2010. «Singapour et Malacca». Outre-Terre, 2(25/26) : 287-299. https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2010-2-page-287.htm

Rimmer, Peter J. 2004. «Les détroits de Malacca et de Singapour : États côtiers et États utilisateurs.» Études internationales, 34(2) : 227-253. https://doi.org/10.7202/009173ar

Lien pour marque-pages : Permaliens.

Les commentaires sont fermés