Thaïlande : Un modèle hybride, entre monarchie institutionnelle et coups d’État militaires

Par Gabriel Dargnat

Une instabilité historique

Le Royaume de la Thaïlande, considéré comme un paradis touristique et deuxième économie de l’Asie du Sud-est, est pourtant une dictature militaire sous commandement monarchique. La Thaïlande, comme l’indique sa signification littéraire « terre des hommes libres » n’a jamais accepté de tutelle étrangère[1]. La société thaïlandaise est marquée par une forte instabilité politique qui se traduit par plus d’une vingtaine de tentative de coups d’État dont douze réussis depuis 1932, accompagnée de la promulgation de dix-huit constitutions, soit un coup d’État tous les 7 ans et une durée d’une constitution en moyenne de quatre ans ![2] La Thaïlande devient une monarchie constitutionnelle en 1932. Dès la même année, une partie de l’armée se rebelle et renverse la monarchie obligeant le roi à accepter la première constitution du pays[3].  La crise économique de 1997 et les fortes contestations conduisent à l’élection en 2001 du Premier ministre Thaksin Shinawatra. Sa réélection 2005 et sa popularité grandissante inquiètent le Roi qui soutient alors l’armée afin d’exclure Thaksin Shinawatra du pouvoir. En 2006, un nouveau coup d’État a lieu[4].   Le pays devient le théâtre de confrontations entre les soutients de l’ancien premier ministre, souvent issus de la classe populaire (ils seront nommés les « chemises rouges ») et la bourgeoisie ainsi que les soutiens de la monarchie (les « chemises jaunes »)[5]. L’armée répond violemment à la contestation populaire des chemises rouges. En 2011, Yingluck Shinawatra gagne les élections et devient Premier ministre 10 ans après la victoire de son frère. Pourtant elle est contrainte elle aussi de quitter le pouvoir en 2013 suite à la colère provoquée par sa proposition d’amnistier les responsables de la répression militaire des chemises rouges ainsi que son frère. Depuis 2014, la Thaïlande est redevenue une dictature militaire, dans laquelle l’armée et le roi forment un État dans l’État s’aidant mutuellement à conserver le pouvoir en dépit de la volonté populaire[6].

 

Le Roi Rama X saluant la foule. Source : Histoireroyale.fr

 

Un axe militaro-monarchique

Le fonctionnement du système politique thaï actuel repose donc sur une coordination entre les élites du pays : « Juges et militaires sont les deux piliers de « l’État dans l’État » (…) ils sont socialisés ensemble dans des institutions militaro-civiles élitaires, et leurs relations coordonnées informellement par des « personnes influentes » au sein du Conseil privé du roi. »[7] Le gouvernement thaï prône un régime garantissant l’unité, l’harmonie et la vertu. Ainsi cette vision s’oppose fondamentalement à la démocratie puisque celle-ci requiert des débats, mais aussi potentiellement des conflits[8]. La religion a également une place importante dans le système politique thaïlandais, puisque le bouddhisme justifie notamment la situation socioéconomique des individus. Ainsi, « le bouddhisme justifie la différence, la doctrine monarchique la rend utile »[9]. Concernant la monarchie, sa légitimée repose notamment sur la vertu du roi et sur l’amour qu’il inspire à ses sujets. Pourtant depuis la mort de Rama IX en 2016 et l’accession au trône de son fils Vajiralongkorn, dit Rama X, les bienfaisances manifestés par le roi sont rares et le respect qu’il inspire est faible. Contrairement à son père, Rama X n’inspire pas la confiance à son peuple et marque l’actualité internationale par son comportement oscillant entre ses frasques et une autorité incontrôlable. Rama X dont le patrimoine est estimé à 35 milliards d’euros s’est installé en Allemagne avec son harem pendant le confinement dû à la Covid-19, démontrant le peu d’implication du roi pour son pays et provoquant la colère des thaïlandais[10]. L’axe militaro-monarchie repose sur un rapport de force entre la junte militaire, le roi et le Premier ministre, au sein duquel le roi et le Premier ministre doivent aller dans le sens de l’armée au risque de mener à un soulèvement de l’armée voyant le pouvoir lui échapper. Dans ce sens, en 2019 la junte militaire a nommé les membres du Sénat afin notamment de permettre la réélection de l’actuel Premier ministre Prayut Chan-O-Cha, anciennement commandant en chef de l’armée royale thaïlandaise…[11]

 

Cette mainmise des élites sur le pays ainsi que le passé violent et instable du pays laissent peu d’espoir à un avenir démocratique en Thaïlande. Pourtant en octobre 2020 de nombreux manifestants ont exprimé leurs colères contre la monarchie et le Premier ministre[12]. C’est notamment la jeune génération qui refuse de grandir sous l’autorité de cet axe militaro-monarchique. Cependant, jusqu’à aujourd’hui les réponses judiciaires du gouvernement avec notamment l’arrestation pour sédition de plusieurs manifestants pro-démocratie, répriment les contestations et maintiennent l’autorité des élites sur la Thaïlande[13]. Les soubresauts thaïlandais ne semblent pas devoir cesser prochainement.

 

 

[1] Rodolphe de Koninck, « Chapitre 10-La Thaïlande, » dans L’Asie du sud-est, dir. Rodolphe de Koninck (Paris : Armand Colin, 2012), https://doi.org/10.3917/arco.koni.2012.01.0254.

[2] Eugénie Mérieau, « Comprendre l’instabilité politique thaïlandaise : constitutionnalisme et coups d’État », Politique étrangère Automne, n°3 (2014), https://doi.org/10.3917/pe.143.0135. .

[3] Mouna el Mokhtari, Comment la Thaïlande est redevenue une dictature militaire, Le Monde, 2 mars, 2019, https://www.youtube.com/watch?v=wgLp1EIvT7s.

[4] Ibid.

[5] Mérinau, « Comprendre l’instabilité politique thaïlandaise : constitutionnalisme et coups d’État ».

[6] Mouna el Mokhtari, Comment la Thaïlande est redevenue une dictature militaire, Le Monde, 2 mars, 2019, https://www.youtube.com/watch?v=wgLp1EIvT7s.

[7] Mérinau, « Comprendre l’instabilité politique thaïlandaise : constitutionnalisme et coups d’État », 138.

[8] Ibid.

[9] Ibid, 143.

[10] Marie Dis, « Le roi Rama X de Thaïlande quitte harem et Allemagne avec femme et fracas ». Le journal des femmes, 7 avril 2020, cité dans Vietnam aujourd’hui (blogue), 8 avril 2020, https://vietnam-aujourdhui.info/2020/04/08/le-roi-rama-x-de-thailande-quitte-harem-et-allemagne-avec-femme-et-fracas/

[11] AFP, « Thaïlande : le roi approuve la composition du Sénat, contrôlé par la junte. » Le Figaro, 14 mai, 2019. https://www.lefigaro.fr/flash-actu/thailande-le-roi-approuve-la-composition-du-senat-controle-par-la-junte-20190514.

[12] AFP, « Thailande : des milliers de manifestants pro-démocratie défilent dans les rues de Bangkok. » Le Monde,14 octobre, 2020. https://www.lemonde.fr/international/article/2020/10/14/thailande-des-milliers-de-manifestants-pro-democratie-defilent-dans-les-rues-de-bangkok_6056018_3210.html

[13] Ibid.

 

 

Bibliographie

AFP. « Thailande : des milliers de manifestants pro-démocratie défilent dans les rues de Bangkok. » Le Monde,14 octobre, 2020. https://www.lemonde.fr/international/article/2020/10/14/thailande-des-milliers-de-manifestants-pro-democratie-defilent-dans-les-rues-de-bangkok_6056018_3210.html

AFP. « Thaïlande : le roi approuve la composition du Sénat, contrôlé par la junte. » Le Figaro, 14 mai, 2019. https://www.lefigaro.fr/flash-actu/thailande-le-roi-approuve-la-composition-du-senat-controle-par-la-junte-20190514.

Camroux, David. 2014. « Thaïlande : la démocratie des riches n’est pas celle des pauvres. » Alternatives Internationales 3 (3) : 21-21. https://doi.org/

De Koninck, Rodolphe. « Chapitre 10 – La Thaïlande. » Dans L’Asie du Sud-Est, sous la direction de Rodolphe de Koninck, 254-279. Paris : Armand Colin, 2012. https://doi.org/10.3917/arco.koni.2012.01.0254.

Dis, Marie. « Le roi Rama X de Thaïlande quitte harem et Allemagne avec femme et fracas. » Vietnam aujourd’hui(blogue). World Press, 8 avril 2020. https://vietnam-aujourdhui.info/2020/04/08/le-roi-rama-x-de-thailande-quitte-harem-et-allemagne-avec-femme-et-fracas/

El Mokhtari, Mouna. Comment la Thaïlande est redevenue une dictature militaire. Le Monde. 2 mars, 2019. https://www.youtube.com/watch?v=wgLp1EIvT7s.

Mérieau, Eugénie. « Comprendre l’instabilité politique thaïlandaise : constitutionnalisme et coups d’État ». Politique étrangère, automne, n° 3 (2014) : 135-149. https://doi.org/10.3917/pe.143.0135.

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