Philippines : Une transition chaotique entre démocratie et démocrature.

Par Gabriel Dargnat.

Le président philippin, Rodgrigo Duterte. Source : La Croix.

 

 

 

 

 

 

 

 

Une démocratie fragile.

            Les Philippines sont un archipel d’Asie du Sud-est. C’est également l’unique pays d’Asie à majorité catholique. Après plus de trois siècles de domination espagnole, le pays obtient son indépendance en 1898 mais demeure sous le joug américain jusqu’en 1946 afin d’instaurer un « apprentissage de la démocratie »[1]. L’histoire contemporaine des Philippines est donc sensiblement marquée par les influences étrangères. La naissance démocratique effective se réalisera en 1986 avec la chute du dictateur Ferdinand Marcos et l’élection de la première femme présidente aux Philippines, Corazon Aquino[2]. La période sous le joug américain a dessiné un modèle politique fortement inspiré par celui des États-Unis. Le président de la République est élu pour un mandat de 6 ans non renouvelable[3]. Le pouvoir législatif est entre les mains du Sénat composé de 24 élus et de la Chambre des Représentants composée de 250 membres élus pour trois ans[4]. La vie partisane est marquée par de nombreuses coalitions qui dépendent souvent des personnalités au pouvoir mais également du lignage des personnalités, laissant une place forte au clientélisme dans la politique locale[5]. Depuis 1986 et l’instauration de la démocratie dans le pays, l’évolution du système démocratique n’a pas été un long fleuve tranquille et a au contraire démontré de fortes fragilités quant à la vigueur de cette jeune démocratie. Une rapide revue des présidents successifs souligne les déboires politiques de l’archipel. Malgré l’élection démocratique de Corazon Aquino en 1986 durant sa présidence sept tentatives de coup d’État ont été déjouées ![6] De 1998 à 2001, le pays fut confié à l’ancien acteur Joseph Estrada, condamné à la prison en 2007 pour corruption[7]. Son successeur, Gloria Macapagal-Arroyo fut emprisonnée en 2011 pour s’être approprié notamment des fonds publics[8]. Entre coups d’État déjoués et anciens chefs d’État incarcérés, ces péripéties dévalorisent grandement la démocratie philippine minée par les dérives de la classe politique. Outre la corruption endémique, c’est le clientélisme fortement ancré dans les relations politiques au plus haut sommet de l’État philippin qui fragilise la démocratie. Dans ce sens, « Les tao (gens ordinaires) pensent généralement, et à raison, qu’est élu celui qui distribue le plus d’argent »[9].

 

Un président autoritaire, fortement soutenu/populaire.

            La démocratie de l’archipel, déjà fragile, est depuis 2016 bouleversée par l’accession au pouvoir du président de la République actuel à la personnalité atypique, Rodrigo Duterte. L’actuel président est connu à l’international pour ses nombreuses déclarations chocs. Depuis sa prise du pouvoir, il utilise des méthodes se rapprochant d’un dictateur. Pourtant, la population le soutient en grande majorité avec 91% des Philippins se disant satisfaits de sa présidence selon une enquête menée en octobre 2020[10]. Divers facteurs peuvent expliquer l’élection de Duterte, qui se présente comme le rempart aux principaux maux du pays : le haut niveau de corruption, le clientélisme politique, la violence grandissante au sein de la société. Cette violence endémique conjugue des guerres contre le terrorisme, contre les rebelles communistes et contre le trafic de drogue.

De plus, malgré la forte croissance que connaît le pays, il y a encore 2,7 millions de personnes qui vivent dans la pauvreté[11]. Rodrigo Duterte est alors apparu dans le paysage politique comme le seul pouvant faire face à ces nombreux enjeux. Il a convaincu avec son franc-parler et son agressivité qu’il était le bon choix pour protéger les Philippins en dépit d’un moindre respect de la démocratie. Plus largement, Rodrigo Duterte correspond au phénomène de mondialisation du populisme[12]. À l’image des autres populistes, Rodrigo Duterte véhicule un message politique anti-élite. Duterte se présentant comme « homme du peuple » eut sa campagne en grande partie financée par la famille de l’ancien dictateur[13]. Concernant ses ennemis politiques, Duterte n’hésite pas à utiliser des méthodes antidémocratiques. Il fit notamment emprisonner la sénatrice Leila M. de Lina et fit destituer la juge principale de la Cour suprême, Maria Lourds Sereno[14]. Rodrigo Duterte en date de 2018, à travers la guerre contre la drogue avait tué 12.000 personnes en mettant l’impunité des violences au centre de sa politique. La phrase suivante du chef d’État philippin ne laisse paraître aucun doute : « Je suis un dictateur ? Oui, c’est vrai. Si vous n’êtes pas contents, ne votez pas pour moi »[15].

 

L’étude de la démocratie philippine démontre une grande fragilité, reflétée autant dans les moeurs hors-la-loi de la classe politique que dans la faiblesse des institutions. Le peuple philippin, lassé de la violence et de la corruption endémique, s’est tourné vers un homme manipulateur et opportuniste, offrant à l’archipel un avenir inquiétant. Dans ce cas-ci, le néologisme « démocrature » semble s’appliquer parfaitement. Le mandat de Rodrigo Duterte prenant fin en 2022 laisse un espoir d’une reprise démocratique. Pourtant, l’habitude de ses prédécesseurs à changer la constitution afin de se maintenir au pouvoir ainsi que l’annonce de la candidature à la présidence du fils de l’ancien dictateur Marcos augurent défavorablement de l’avenir démocratique de ce pays que l’on surnomme pourtant la « perle des mers d’orient »[16].

 

 

[1] Gwenola Ricordeau, « Les Philippines de Cory Aquino à Benigo Aquino. Vingt-cinq ans après la transition démocratique », Mouvement. 3, n° 67 (2011) : 160, https://doi.org/10.3917/mouv.067.0160.

[2] Jean-Noël Sanchez, « Avis de tempête démocratique : Rodrigo Duterte, nouveau président des Philippines. » Raison présente 3, n° 199 (2016), https://doi.org/10.3917/rpre.199.0109.

[3] Ambassade de France Manille, 112ème Assemblée de l’Union Interparlementaire. (Paris : Sénat. Service Union Interparlementaire, 2005), http://www.senat.fr/uip/reunions_statutaires/112_manille/note_gene.html

[4] Ibid.

[5] Ibid.

[6] David Wurfel, « Les Philippines : une démocratie hésitante dans le contexte international », Revue internationale de politique comparée 8, n° 3 (2001), https://doi.org/10.3917/ripc.083.0501.

[7] « L’ex-président Joseph Estrada condamné à la prison à perpétuité pour corruption », Le Monde, 12 septembre 2007. https://www.lemonde.fr/international/article/2007/09/12/l-ex-president-joseph-estrada-condamne-a-la-prison-a-perpetuite-pour-corruption_954180_3210.html

[8] « Ex-Philippine president Arroyo arrested », Radio-Canada, 18 novembre 2011. https://www.cbc.ca/news/world/ex-philippine-president-arroyo-arrested-1.1115875

[9] Ricordeau, « Les Philippines de Cory Aquino à Benigo Aquino. Vingt-cinq ans après la transition démocratique », 166.

[10] Ministère de l’Europe et des affaires étrangères, Présentation des Philippines. (Paris : Ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Service France Diplomatie, 2021), https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/philippines/presentation-des-philippines/.

[11] Ibid.

[12] David Camroux, « Duterte, un cas d’école », Dans Le retour des populismes : L’état du monde 2019, dir. Bertrand Badie (Paris : La Découverte, 2018), https://doi.org/10.3917/dec.badie.2018.02.0214.

[13] Ibid.

[14] Camroux, « Duterte, un cas d’école ».

[15] Emeric des Closières, « Tout ce que vous devez savoir sur Rodrigo Duterte » Asialyst, 8 août, 2017. https://asialyst.com/fr/2017/08/08/tout-ce-que-vous-devez-savoir-sur-rodrigo-duterte/.

[16] Camroux, « Duterte, un cas d’école ».

 

 

Bibliographie.

Ambassade de France Manille. 112ème Assemblée de l’Union Interparlementaire. Paris : Sénat. Service Union Interparlementaire, 2005. http://www.senat.fr/uip/reunions_statutaires/112_manille/note_gene.html

Camroux, David. « Duterte, un cas d’école. » Dans Le retour des populismes : L’état du monde 2019, sous la direction deBertrand Badie, 214-221. Paris : La Découverte, 2018. https://doi.org/10.3917/dec.badie.2018.02.0214.

Des Closières, Emeric. « Tout ce que vous devez savoir sur Rodrigo Duterte. » Asialyst, 8 août, 2017. https://asialyst.com/fr/2017/08/08/tout-ce-que-vous-devez-savoir-sur-rodrigo-duterte/.

« Ex-Philippine president Arroyo arrested ». Radio-Canada, 18 novembre 2011. https://www.cbc.ca/news/world/ex-philippine-president-arroyo-arrested-1.1115875

« L’ex-président Joseph Estrada condamné à la prison à perpétuité pour corruption ». Le Monde, 12 septembre 2007. https://www.lemonde.fr/international/article/2007/09/12/l-ex-president-joseph-estrada-condamne-a-la-prison-a-perpetuite-pour-corruption_954180_3210.html

Ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Présentation des Philippines. Paris : Ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Service France Diplomatie, 2021), https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/philippines/presentation-des-philippines/.

Ricordeau, Gwenola. « Les Philippines de Cory Aquino à Benigo Aquino. Vingt-cinq ans après la transition démocratique ». Mouvement. 3,67 (2011) : 160-167.https://doi.org/10.3917/mouv.067.0160.

Sanchez, Jean-Noël. « Avis de tempête démocratique : Rodrigo Duterte, nouveau président des Philippines ». Raison présente 3, n° 199 (2016) : 109-118.https://doi.org/10.3917/rpre.199.0109.

Wurfel, David. « Les Philippines : une démocratie hésitante dans le contexte international ». Revue internationale de politique comparée 8, n° 3 (2001) : 501-517. https://doi.org/10.3917/ripc.083.0501.

 

 

 

 

 

 

 

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