Le déclin de la démocratie philippine

Le président philippin Rodrigo Duterte a réussi à capturer l’attention des observateurs depuis son ascension au pouvoir en 2016. Sa présidence, cristallise la récente montée du populisme autoritaire dans l’Asie du Sud-Est et sa popularité inquiète, pour en dire le moins (Caouette 2018).

Comment expliquer ce phénomène ? Est-il raisonnable de penser que les philippins préfèrent le populisme à la démocratie libérale ?

L’histoire de la démocratie philippine

Dès le début du 20e siècle et jusqu’à l’indépendance du pays en 1945, les États-Unis ont souvent parrainé des « élections libres » afin de légitimer l’édifice politique en place et regrouper l’élite locale derrière un candidat que l’occupation cautionne (Hernandez 1984).

Le poids des États-Unis sur l’archipel est un facteur significatif quant à la compréhension du système politique philippin. En effet, le gouvernement américain est intervenu à plusieurs reprises dans son ancienne colonie, notamment en 1953, quand le colonel Edward Lansdale a déployé les ressources de la CIA pour assurer l’élection de Ramon Magsaysay à la présidence (Hernandez 1984).

En 1965, la jeune démocratie philippine est prise en otage par Ferdinand Marcos, qui par des manipulations politiques parvient à consolider son pouvoir sur l’archipel et devenir le premier dictateur de la République des Philippines. Grace aux réformes agraires mises en place et à la stabilité politique dont le pays jouissait, le régime de Marcos a initialement bénéficié d’une popularité considérable, et cela même après avoir déclaré la loi martiale en 1972 (Castillo 1983).

Innauguration de Ferdinand Marcos le 30 décembre 1965.
Source: Wikipédia

Profitant de sa popularité, Marcos modifie la constitution afin de se donner plus de pouvoirs politiques et pour emprisonner plusieurs milliers d’opposants politiques. Toutefois, une multitude d’instances de fraude électorale ont miné la légitimité de sa position politique et galvanisé l’opposition à son régime (Castillo 1983).

Finalement, l’assassinat du sénateur Benigno Aquino – principal opposant politique de Marcos – a précipité la chute du régime de Marcos et a ouvert les portes à la démocratie.

Des débuts de démocratie

À la suite de la chute du régime de Marcos, la veuve du défunt sénateur, Mme Corazon « Cory » Aquino, gagne les élections présidentielles et assure la réhabilitation des institutions politiques. Une nouvelle constitution est adoptée en 1987 qui porte le mandat présidentiel à 6 ans, sans possibilité de se représenter à un second mandat (Wurfel 2001).

Cory Aquino est considérée comme étant « la mère de la démocratie philippine » Source: philstar.com (1988)

L’héritage de Marcos continue de peser lourd sur les Philippines. Au niveau politique, cela s’est manifesté par un coup d’État (1989) organisé par un groupe d’officiers loyaux à l’ex-président qui s’est conclue en échec. Cet événement s’avère être un désastre politique pour la nouvelle présidente (Wurfel 2001). Au niveau économique, le poids de la dette extérieure, a conféré au FMI une influence considérable sur les politiques publiques des Philippines qui ont dû prioriser le remboursement de la dette avant tout autre chose (Wurfel 2001).

Les bilans des successeurs d’Aquino sont tout aussi mitigés.

En 2001, le tumulte politique s’est amplifié avec l’arrestation du président Joseph Estrada pour des charges de corruption. Sa successeur, Gloria Arroyoa, a été accusée de fraude électorale en 2005 quand un enregistrement audio d’une conversation entre Arroyo est un membre de la COMELEC (Commission on Elections) où ces deux derniers discutaient ouvertement de manipulation électorale (Thompson 2010).

Qu’est-ce qui explique donc la montée de Duterte ?

Selon Oxfam, le taux de pauvreté reste relativement fort (25%) et l’indice de Gini demeure figé à 0.46 – 1.0 correspond à une inégalité économique extrême – depuis le début du mandat d’Aquino III en 2010. Aux Philippines, l’histoire se répète. Si les intentions d’Aquino étaient nobles, celui-ci n’a pu redresser les problèmes économiques structurels qui ont toujours su alimenter les instabilités chroniques qui dominent les Philippines (Tupaz et Wagner 2015).

La montée drastique du crime organisé, l’inefficacité grandissante des forces de l’ordre et une corruption qui ne semble avoir de limites constituent tous des facteurs qui expliquent la popularité de Duterte.  Celui-ci a émergé comme étant la seule figure capable de mettre fin à ce fléau en promettant de recourir à des méthodes brutales (Timberman 2016).

Certes, les inégalités économiques sont un facteur important quant à la compréhension de la montée en popularité de Duterte. Toutefois, Il est important de souligner que la démocratie en tant que système politique n’a pas su séduire la majorité de la population (Curato 2018).  Bien que les philippins accordent une forte importance aux libertés individuelles, ils considèrent leurs politiciens comme étant les plus corrompus de la région (Guerrero et Tusalem 2008).  Il n’est donc pas surprenant que le « franc-parler » de Duterte ait réussi à séduire autant d’électeurs.

Qu’en est-il de la démocratie ?

Rassemblement politique à Manille (CNN Philippines, Juin 2012) – Photo : Presidential Photographers Division

Les avancées démocratiques ne suivent pas une trajectoire linéaire et ne sont certainement pas définitives. La tenue régulière d’élections, bien qu’étant une condition nécessaire à la mise en place de systèmes démocratiques, ne constitue pas une condition suffisante (Caouette 2018).

Dans le cas des Philippines, l’espace démocratique semble mis en difficulté par la montée en popularité du régime populiste de Duterte. Les attaques contre les médias et autres organisations civiles se multiplient (Curato 2018) et l’arrestation d’opposants politiques – dont l’arrestation de la Sénatrice Leila de Lima – inquiète. Qui plus est, la décision d’enterrer l’ex-dictateur Ferdinand Marcos en héros, dans le fameux Cemetary of Heroes, démontre une certaine nostalgie envers l’ancien régime autoritaire (Curato 2018). Ces événements font craindre un éventuel ressac autoritaire dans un pays où la démocratie a toujours exprimé d’énormes difficultés à imposer sa légitimité (Curato 2018).

Bibliographie :

Caouette, Dominique. 2018. « Vents d’autoritarisme sur l’Asie du Sud-Est ». Relations 796 : 35-37.

Castilo, Avalyn. 1983. « Democracy or Dictatorship? ». Harvard International Review 6(3): 32-33.

Curato, Nicole. 2018. « Toxic Democracy ? The Philippines in 2018 ». Southeast Asian Affairs 2019: 260-274.

Guerrero, Linda Luz et Rollin F. Tusalem. 2008. « Mass Public Perceptions of Democratization in the Philippines: Consolidation in progress? » Dans Chu, Yun-han, Larry Diamond, Andrew J. Nathan et Doh Chull Shin, dir., How East Asians View Democracy. West Sussex, New York: Columbia University Press, pp.61-82.

Hernandez, Andy. 1984. « Dictature aux Philippines sous le masque de la démocratie ». En ligne : https://www.monde-diplomatique.fr/1984/09/BELLO/38165. Page consultée le : 9 mars 2020

Thompson, Mark R. 2010.  « Reformims vs Populism in the Philippines ». Journal of Democracy 21(4): 154-168.

Timbermann, David G. 2016.  « The Vote in the Philippines: Elite Democracy Disrupted? ». Journal of Democracy 27(4): 135-144.

Wagner, Daniel et Tupaz, Edsel. 2016. « Aquino’s Legacy in the Philppines ». En ligne: https://www.huffpost.com/entry/aquinos-legacy-in-the-phi_b_7922082. Page consultée le 9 mars 2020.

Wurfel, David. 2001. “Les Philippines: une démocratie hésitante dans le contexte international ». Revue internationale de politique comparée 2001(3) : 501-517.

 

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