Exkyos me ! Les emprunts de l’anglais dans le Tagalog et le post-colonialisme linguistique

KLEE, Romana. English – Tagalog dictionary

Les expériences de colonisations répétitives aux Philippines ont certainement façonné plusieurs aspects bien précis de ce pays maritime. En effet, en plus d’une cuisine locale multiculturelle, nous pouvons voir aussi plusieurs emprunts des langues occidentales dans la langue nationale philippine : le tagalog. Est-ce que l’utilisation de nouveaux “slangs” et l’intégration unique de l’anglais dans le tagalog peuvent être considérées comme une forme de néo-colonialisme ? La colonisation américaine débutant en 1898 annonce la venue d’une influence nouvelle venant de l’occident alors que la puissance espagnole régnait depuis déjà quelques centaines d’années. La colonisation américaine est caractérisée bien sûr par son implication militaire et économique, mais l’influence de la langue est d’autant plus signifiante d’après une étude poussée du sujet (Michel Klen, 2002)

L’éducation et l’anglais

Avant l’arrivée américaine, aucune langue aux Philippines ne pouvait être considérée comme « nationale ». L’espagnole n’était parlée que par une élite extrêmement minoritaire  ( Kingsley Bolton et Maria Lourdes S. Bautista. 2008) et les langues philippines traditionnelles étaient multiples et utilisées dans des régions très spécifiques. Or, la venue de l’anglais a quelque peu ébranlé les statistiques. En effet, le bureau colonial des Philippines instaure en 1901 l’acte 74, l’implantation de l’anglais comme seule et unique langue de l’éducation (Vincente L.Raphael, 2015). Les conséquences qui découlent de l’omniprésence de l’anglais dans la société philippine sont nombreuses et visibles. Bien qu’après une colonisation forte de l’Espagne seulement 5% de la population pouvait maitriser l’espagnol (Vincente L.Raphael, 2015), 35% de la population avait une bonne maitrise de l’anglais en 1935. Certes, l’apprentissage d’une langue vient avec un prix. Ce prix implique la disparition partielle de particularités venant de la langue maternelle (Vincente L.Raphael, 2015).

 

An American teacher, Mary Scott Cole, is pictured with her class in Palo, Leyte. Photo from the University of Michigan Bentley History Library.

Enseignante Américaine, Mary Scott Cole, dans sa classe à Palo, Leyte. Photo de l’University of Michigan Bentley History Library.

L’anglais comme outil de hiérarchisation sociale

Bien que l’anglais soit la langue de l’éducation et que l’éducation, bien qu’elle soit accessible au public, n’est pas obligatoire, seulement l’élite bourgeoise avait accès à l’éducation. Quitter les bancs d’école pour subvenir aux besoins de la famille, surtout en campagne, n’était pas rare. Il est donc inévitable que parler l’anglais rimait avec être éduqué, et que conséquemment parler anglais rimait avec prestige social. (Vincente L.Raphael, 2015) Bref, l’anglais est synonyme d’élite, et même d’espoir d’avoir du succès dans ce pays dominé par les États-Unis.

L’anglais et l’identité philippine

Qu’est-ce que l’apprentissage de l’anglais représente pour l’identité nationale du peuple philippin? Comme dit plus haut, la perte graduelle des rudiments des langues nationales propres aux Philippines vient grandement ternir la particularité identitaire. En effet, ce phénomène sépare les Philippins de leur identité nationale puisqu’eux même, vont s’identifier comme Philippins parlant anglais, et même comme Pilipino-américain (Vincente L.Raphael, 2015). De plus, l’enseigement de la langue anglaise avait des défauts.Les enseignants américains dans les écoles étaient rares et le ministère devait donc engager des enseignants Philippins. Leurs connaissances de la langue était moindre et laissait les étudiants avec des bases avancées certes, mais loin d’être parfaite.  Donc, les étudiants philippins, en plus de ne pas perdre les nuances de leur langue maternelle, ne maitrisent pas à la perfection l’anglais, les laissant avec une identité ni complètement américaine, ni complètement philippine. Seulement un drôle de mix des deux (Vincente L.Raphael, 2015).

Naissance du Taglish

Le manque d’enseignant d’origine américaine disponible pour enseigner dans les écoles philippines ont entrainé la venue d’enseignants moins expérimentés, qui ne sont pas assez outillés en anglais pour exécuter parfaitement l’acte 74 du bureau de colonisation. Ceci amène des impacts imprévisibles qui viendront changer complètement la linguistique aux Philippines du XXe et même d’aujourd’hui. Évidemment, avec des enseignants maitrisant la base seule de l’anglais, les erreurs lors de l’enseignement sont multiples ( Kingsley Bolton et Maria Lourdes S. Bautista. 2008). Ces erreurs sont certes grammaticales, mais plus fréquemment des erreurs de prononciation. Les erreurs sont donc entendues et répétées par les élèves et intégrées à leur vocabulaire. C’est erreurs sont présentes dans la majorité de l’élocution des professeurs philippins, prononçant les mots « à la philippine » ( Kingsley Bolton et Maria Lourdes S. Bautista. 2008). Ce phénomène créera une fusion solide de l’anglais et du Tagalog dans le langage des Philippins, créant le Taglish (Tagalog – English)

Résultat de recherche d'images pour "taglish sign"

TORGÉ, Marcus. (2006). Taglish sur une banderole.

Nous nous demandons maintenant comment l’emprunt d’expressions et de mots anglophones impact l’identité nationale des Philippins suite à la période de colonisation américaine. Bien sûr, la langue d’un pays représente à la perfection l’identité d’un pays. Malgré que les Philippines aient environ 150 dialectes et langues, rien n’empêche que ceux-ci soient l’essence même des Philippines. La diversité linguistique fut grandement affectée par l’obligation d’utiliser l’anglais comme langue d’enseignement. La perte graduelle des nuances linguistiques des langues traditionnelles philippines a fait oublier l’identité philippine de certains, alors que la maitrise de l’anglais était signe de fortune, de bourgeoisie et d’intellect. Toutefois, qu’en est-il aujourd’huiLes Philippines ont su reprendre du poil de la bête sans le savoir, en développant leur propre langue dérivante de la tradition et de l’époque coloniale, créant une langue unique, que même certains anglophones ne peuvent comprendre malgré leur usage courant de l’anglais. Est-ce du néo-colonialisme ? Peut-être. Mais il s’agit sans l’ombre d’un doute d’un changement en leur faveur et en faveur d’un retour aux racines et à l’essence même des Philippines : la diversité.

Bibliographie 

1-Bautista, M. L. S., & Bolton, K. (Eds.). (2008). Philippine English: Linguistic and Literary (Vol. 1). Hong Kong University Press. https://books.google.ca/books?hl=fr&lr=&id=YnUgBAAAQBAJ&oi=fnd&pg=PR7&dq=english+philippines+colonisation&ots=v4anW9IlVj&sig=_994Aj_MLdyluobKE4k8k-HUNSE&redir_esc=y#v=onepage&q=english%20philippines%20colonisation&f=false

2- KLEN, Michel. (2002). L’exception philippine. Études, vol. tome 396, no. 6. https://www.cairn.info/revue-etudes-2002-6-page-739.htm#

3- RAPHAEL, Vicente L. (2015). The war of translation: Colonial education, American English, and Tagalog slang in the Philippines. The Journal of Asian Studies (vol. 74), no. 2. https://www.cambridge.org/core/journals/journal-of-asian-studies/article/war-of-translation-colonial-education-american-english-and-tagalog-slang-in-the-philippines/7472FDEA5A1C4F71B60C3FE3BF217366

Lien pour marque-pages : Permaliens.

Les commentaires sont fermés