Thaïlande: Miracle asiatique ou croissance planifiée?

Les magnifiques paysages de la Thaïlande en font rêver plusieurs, mais il y a à peine quelques décennies, c’était la croissance économique fulgurante du pays qui faisait rêver les investisseurs. En effet, l’économie thaïlandaise croissait si vite que certains y ont vu une similarité avec la croissance qu’avaient vécue les 4 dragons asiatiques. De nombreux auteurs s’entendent afin de dire que cette croissance est due à la transformation d’une économie centrée sur la production locale, à une économie plus libéralisée et tournée vers les marchés d’exportation.1 

Statistic: Thailand: Gross domestic product (GDP) in current prices from 1984 to 2024 (in billion U.S. dollars) | Statista

Produit intérieur brut de la Thaïlande pour la période 1984-2020 et prévisions jusqu’à 2024. Statista – 2020.

Ouverture au commerce, à qui la faute?

Cette transformation ne s’est pas faite qu’en suivant les lois du marché, c’est plutôt le gouvernement thaïlandais qui a décidé d’ouvrir le pays aux investissements étrangers. Le pays a donc rapidement cessé de produire des biens pour la consommation locale, comme le riz, pour plutôt laisser des entreprises étrangères s’installer et produire des biens qui pourraient se vendre à l’étranger. En accueillant ces entreprises, le peuple thaïlandais a bénéficié du savoir-faire et des technologies de ces entreprises.2&3

Il ne serait pas rigoureux de dire que le gouvernement thaï a pris cette décision de son plein gré. Une multitude d’organisations ont mis une forte pression pour que le pays s’ouvre au monde économiquement. On pense notamment au Asia-Pacific Economic Cooperation (APEC) et à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) dont le pays est membre depuis sa création en 1995. Ces organisations ont fortement encouragé les pays à diminuer les barrières au commerce entre pays. Avec cette pression, nombreux pays de la région ont signé des ententes de libre-échange pour faciliter le commerce, comme par exemple l’ASEAN-afta, soit un accord économique entre les pays de l’ASEAN.4

Comment s’est exercée cette pression?

Petite leçon rapide de droit international. Un pays membre de l’OMC, comme la Thaïlande, a le droit de taxer les produits étrangers comme il le veut. Cependant, selon la clause de la nation la plus favorisée, il doit taxer de la même façon tous les autres pays membres, à moins d’avoir un accord de libre-échange avec eux.

En devenant membre de l’OMC, la Thaïlande a donc été incitée à signer de nombreux accords afin de réduire les frais de douanes étrangers sur les produits qu’elle exportait. Par exemple, la Chine impose présentement une taxe de douane de 8.9% sur toute la machinerie électronique, mais si la Chine et la Thaïlande signent une entente, les taxes douanières sont réduites, rendant l’exportation de produits plus faciles pour la Thailande.5

Sony

Usine de fabrication de caméra de Sony, à l’usine de Chonburi. David Schloss – 2017.

L’économie thaïlandaise avait un potentiel économique dont la portée était limitée avant les politiques de libéralisation. Dans certains domaines, on appelle ce potentiel l’avantage comparatif, cela signifie qu’avec sa grande quantité de ressources et une main-d’œuvre abondante, la Thaïlande pouvait produire des biens de base, et les vendre à des prix beaucoup plus compétitifs que dans des pays comme les États-Unis. Si vous travaillez dans un bureau et que vous utilisez une imprimante, cette dernière a probablement été assemblée en Chine, mais avec de nombreuses pièces thaïlandaises. 6&7&8

L’augmentation des exportations a été bénéfique pour la croissance économique du pays, mais certaines tranches de la population ont eu à en payer le prix. Par exemple, en transformant les terres agricoles en terrains pour des usines, le prix des fermes et des denrées alimentaires a explosé. Les premiers à en avoir souffert sont ceux se trouvant en zone rurale, généralement plus pauvres.9&10

Et maintenant?

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Usine de fabrication de pièces automobiles en Thaïlande. Machine Design – 2018.

Qu’en est-il de la Thaïlande aujourd’hui? Les entreprises étrangères s’étant installées en Thaïlande ont-elles réellement contribué à développer le pays, ou ont-elles embelli une poignée d’indicateurs économiques comme le PIB? Afin de répondre à cette question, il est intéressant de voir comment s’en sortent les entreprises locales. En date de 2007, on commençait à observer une montée des entreprises thaï sur la scène internationale. Effectivement, nombre d’entre elles ont su saisir le potentiel économique du pays, mais certaines autres ont plus de difficultés, notamment les petites et moyennes entreprises. Ayant passé une longue période dans une économie internationale, dans un premier temps fermée sur elle-même, puis contrôlée par des entreprises étrangères, les entreprises locales n’ont pas réussi à acquérir de l’expérience en commerce international. Un des plus grand défi du gouvernement en matière de commerce sera d’appuyer ces petites et moyennes entreprises dans leurs efforts d’internationalisation.11

Le pays est également confronté aux changements qui s’opèrent dans la conjecture internationale actuelle. Les relations entre pays évoluent rapidement. La libéralisation n’est plus aussi à la mode qu’elle l’était autrefois. Des tarifs sont imposés sans avertissements par certains dirigeants aux tendances populistes. Pour l’économie thaïlandaise, très dépendante du commerce international, l’incertitude remet en danger sa pérennité.12

 

  1. Han Herderschee. 1993.
  2. Bjorvatn, Kind et Nordås. 2001.
  3. Kohpaiboon. 2003.
  4.  Fujita. 1997.
  5. Organisation mondiale du commerce. 2020.
  6. Observatory of Economic Complexity. 2017.
  7. Reinhardt. 2000.
  8. Urata et Yokota. 1994.
  9. Dias Karunaratne. 1998.
  10. Strutt, W. Hertel et Stone. 2010.
  11. Hwee Wee. 2007.
  12. Pongsudhirak. 2019.

 

Bibliographie

Bjorvatn, Kjetil, Hans Jarle Kind et Hildegunn Kyvik Nordås. 2002. « The Role of FDI in Economic Development ».  Nordic Journal of Political Economy Vol.28: 109-126.

Dias Karunaratne, Neil. 1998. « Trade Liberalization in Thailand: A Computable General Equilibrium (CGE) Analysis ». The Journal of Developing Areas Vol.32 (No. 4): 515-540

Fujita, Mai. 1997. « Industrial policies and trade liberalization? The Automotive Industry in Thailand and Malaysia » dans Keiji Omura, dir., Deepening economic interdependence in the APEC region. Chiba (Japon): APEC Study Center, institute of developing economies.

Herderschee, Han. 1993. «Incentives for Exports: The Case of Thailand ». ASEAN Economic Bulletin Vol. 9 (No. 3): 348-363.

Hwee Wee, Kee. 2007. « Outward foreign direct investment by enterprises from Thailand ». Transnational Corporations Vol. 16 (No. 1): 89+

Kohpaiboon, Archanun. 2003. « Foreign trade regimes and the FDI–Growth Nexus: a case study of Thailand ». The Journal of Development Studies Vol. 40 (No. 2): 55-69

Observatory of Economic Complexity. 2017. Where does Thailand export Office Machine Parts to? (2017). En ligne. https://oec.world/en/visualize/tree_map/hs92/export/tha/show/8473/2017/ (page consultée le 14 avril 2020).

Organisation Mondiale du Commerce. 2020. Tariffs and imports: Summary and duty ranges: China. En ligne. https://www.wto.org/english/res_e/statis_e/daily_update_e/tariff_profiles/CN_e.pdf (page consultée le 14 avril 2020).

Pongsudhirak, Thininan. 2019. « Politics of regional trade liberalisation ». En ligne. https://www.bangkokpost.com/opinion/opinion/1753964/politics-of-regional-trade-liberalisation (page consultée le 13 avril 2020).

Reinhardt, Nola. « 2000. Back to Basics in Malaysia and Thailand: The Role of Resource-Based Exports in Their Export-Led Growth ». World development Vol. 28 (No.1): 57-77

Strutt, Anna, Thomas W. Hertel et Susan Stone. 2010. « Chapter 8 Exploring Poverty Impacts of ASEAN Trade Liberalization for Cambodia, Lao PDR, Thailand and Vietnam », dans Gilbert, J., dir.,  New Developments in Computable General Equilibrium Analysis for Trade Policy. Bingley (R-U): Emerald Group Publishing Limited.

Urata, Shujiro et Kazuhiko Yokota. 1994. « Trade liberalization and productivity growth in Thailand ». The Developping Economic Vol.32 (No. 4): 444-459

 

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