Myanmar: En porte-à-faux avec l’économie de marché

Sous les projecteurs

Le Myanmar, ou Birmanie comme l’appellent encore certains, a récemment été sous les projecteurs de la scène internationale pour son mauvais traitement de la minorité Rohingya. La situation a

Forward magazine marks World Workers Day 1970. (Supplied/Pansodan archive)

Affiche de propagande dans le cadre du Burma road to socialism. Source: Foward Magazine – 1970.

fait ressortir un trait important du pays. Le Myanmar a récemment entamé des changements constitutionnels pour devenir une démocratie, mais les militaires conservent une place très importante dans les décisions de la nation. Cette situation place d’ailleurs le pays au 130e rang en matière de perception de la corruption.1

Dans les dernières décennies, démocratique ou non, le gouvernement a souvent fait des allers-retours entre politiques socialistes et libéralisation du marché.  Dès 1962, le pays a débuté une série de politiques d’intervention dans l’économie avec le Burma road to socialism (မြန်မာ့နည်းမြန်မာ့ဟန် ဆိုရှယ်လစ်စနစ်), pour ensuite mener le Open door policy afin de s’ouvrir au commerce international, puis finalement se refermer sur l’extérieur dans les dernières années.2

Malgré ces va-et-vient, le pays a réussi à attirer des capitaux internationaux, premièrement en privatisant les petites et moyennes entreprises, puis les grandes entreprises. Ces privatisations ne se sont pas nécessairement faites au profit de la population. Ceux qui ont eu l’occasion d’acheter ces entreprises sont ceux qui avaient la chance d’être des amis du régime militaire. Malgré tout, l’économie du Myanmar a réussi à croître. Elle a même permis à la nation de devenir un exportateur net en vendant des grandes quantités de gaz naturel et de vêtements à la Chine et à l’Inde.3&4

La naissance d’une oligarchie

Comme mentionné plus tôt, ce n’est pas la totalité de la population qui a pu profiter de cette ouverture. La transition économique s’est soldée par une accumulation de richesse entre les mains d’une minorité, donnant à l’économie du Myanmar des allures d’oligarchie.5 Étant donné le caractère non-démocratique du pays, de nombreux autres États imposaient des restrictions sur l’investissement au Myanmar, limitant d’encore plus la possibilité pour les étrangers d’investir au pays. De plus, les investisseurs étrangers sont effrayés par le caractère imprévisible du gouvernement. L’absence d’État de droit, les décisions arbitraires du gouvernement et la violence politique font partie du quotidien de la nation. Les paysans trop pauvres pour profiter de la privatisation, et les étrangers exclus et inquiets, ont donc laissé la place à quelques privilégiés pour s’approprier le marché. Les plus pauvres, privés d’investissements et de prêts, ont donc dû se contenter de rester économiquement marginalisés, et de contribuer à faire du Myanmar un des pays les plus pauvres de la région, et de la planète.6&7

Une exception à la règle

Kachin War a Battle for Resources

Le Kachin, région du Myanmar, et Le Yunnan, province chinoise. Source: Radio Free Asia – 2012.

Une région, le Kachin, s’est échappée cependant au processus s’étant opéré dans le reste du pays. Proche de la province chinoise du Yunnan, dans une région ayant vécu d’intenses violences dans les années 90, des hommes d’affaires chinois ont réussi à percer considérablement le marché du Myanmar. Des zones spéciales créées initialement par le régime militaire, nommées « ceasefire zones » ont mené à la création d’un « ceasefire capitalism ». Le régime militaire ayant eu de la difficulté à établir sa dominance sur des territoires ethniques décentralisés, a décidé de s’allier aux investisseurs chinois afin de s’assurer un certain contrôle sur la région, créant ainsi une zone spéciale où les étrangers prennent une place considérable dans l’économie. Aujourd’hui, les hostilités dans la zone ont reprises, renvoyant ce cas d’exception aux archives.

Une trop forte pression

Le rôle des acteurs étrangers dans la transition économique ne se limite pas aux investisseurs chinois. Certaines institutions internationales comme le Asian Development Bank a sur exercer une certaine pression grâce à son Greater Mekong Subregion Programme. Cette banque d’investissement a décidé de contourner le gouvernement en place afin de directement discuter avec des groupes non gouvernementaux afin d’établir des partenariats, et de contribuer au développement des infrastructures au Myanmar.

En rejoignant l’ASEAN, le pays a contribué à l’ouverture de son économie vers les autres pays de la région. Malgré cette ouverture, et la signature du Foreign investment law en 2012, les investisseurs restent inquiets. L’historique des interventions du gouvernement les laisse perplexe quant à la pérennité de leurs investissements. Malgré la transition vers la démocratie, peu croient que le gouvernement prendra les actions nécessaires afin d’assurer  au reste de la planète que le Myanmar est sécuritaire, et ouvert au commerce. 9&10

 

  1. Transparency International. 2019.
  2. Turnell. 2011.
  3. Ford, Gillan et Thien. 2016.
  4. Kudo et Mieno. 2007.
  5. Jones. 2013.
  6. Ford, Gillan et Thien. 2016.
  7. Turnell. 2011.
  8. Woods. 2011.
  9. Stokke, Vakulchuk et Øverland. 2018.
  10. Simpson. 2014.

 

Bibliographie

Ford, Michele, Micheal Gillan et Htwe-Htwe Thein. 2016. « From Cronyism to Oligarchy? Privatisation and Business Elites in Myanmar  ». Journal of Contemporary Asia Vol. 46 (No. 1): 18-41

Jones, Lee. 2013. « The Political Economy of Myanmar’s Transition ». Journal of Contemporary Asia Vol. 44 (No. 1): 144-170

Kudo, Toshihiro et Fumiharu Mieno. 2007. « Trade, Foreign Investment and Myanmar’s Economic Development during the Transition to an Open Economy ». Idea Discussion paper (No. 116). Chiba (Japon): Institute of Developping Economies.

Simpson,  Adam. 2014. « Market Building and Risk under a Regime in Transition: The Asian Development Bank in Myanmar (Burma) ». Dans Carroll T., dir., The Politics of Marketising Asia. Studies in the Political Economy of Public Policy. London: Palgrave Macmillan.

Stokke, Kristian, Roman Vakuchuk et Indra Øverland. 2018. Myanmar: A Political Economy Analysis. Oslo (Norvège): Norwegian Institute of International Affairs.

Transparency International. 2019. Corruption Perceptions Index 2019. En ligne. https://www.transparency.org/cpi2019?/news/feature/cpi-2019 (page consultée le 15 avril 2020).

Turnell, Sean. 2011. « Fundamentals of Myanmar’s Macroeconomy: A Political Economy Perspective ». Asian Economic Policy review Vol. 6 (No.1): 136-153

Woods, Kevin. 2011. « Ceasefire Capitalism: Military–Private Partnerships, Resource Concessions and Military–State Building in the Burma–China Borderlands ». Journal of Peasant Studies Vol. 38 (No. 4): 747-770

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