INDONÉSIE: le poids des firmes multinationales dans les exploitations minières

Par Noémie Maurel

Cuivre, or, nickel et plus, depuis l’ère coloniale, les ressources minières sont extrêmement convoitées en Indonésie. La demande de charbon sur les marchés internationaux est telle que les Indonésiens l’ont surnommé le « barang tuhan agi rata », soit le « produit du dieu bien partagé » [1], y donnant une dimension quasi sacrée. Toutefois, l’exploitation de ces ressources fait face à plusieurs défis, qui en découlent globalement d’un seul : la place prépondérante des firmes multinationales.

 

Données : Courmont, 2015 [1]

Intérêts nationaux VS Intérêts locaux :
La force économique que représentent les entreprises étrangères leur permet de faire pression sur l’État indonésien et l’empêchent de répondre correctement aux besoins de sa population. Bien qu’il soit prouvé que l’exploitation minière à petite échelle fournirait plus d’emplois (ratio d’au moins 10 pour 1 emploi),

les  mineurs pratiquant une exploitation traditionnelle sont considérés comme « illégaux » [2]. Plusieurs compagnies tentent même de se déresponsabiliser en faisant porter le poids des conséquences environnementales sur eux, ou encore en déclarant que leur présence est un « fléau » pour l’investissement [2]. En outre, il est arrivé que l’État indonésien déploie une présence policière et militaire, parfois financée par ces firmes, afin de protéger leurs terres de ces mineurs [2]. Pour finir, ce statut pousse les populations locales vers la corruption. L’exploitation étant leur seule source de revenu, les autorités en profitent pour exiger des sommes de la part des mineurs en échange de l’accès aux zones exploitables [2]. Les raisons pour lesquelles ces firmes ont tant de pouvoir sont d’une part la dépendance économique du pays, mais aussi l’inachèvement du plan de décentralisation qui a été mis en place. Censé donner plus de pouvoir aux régions arriérées, le projet de décentralisation n’a cependant pas eu les résultats escomptés, créant des chevauchements de sphère de compétence juridique entre pouvoir central et local, par exemple au niveau de l’octroi de permis d’exploitation minière pour les habitants locaux [2]. Les firmes profitent donc de cette distance entre gouvernement central et local pour faire valoir leurs intérêts [2].

La mine du Mont Grasberg exploitée par la compagnie Freeport McMoran. Le trou fait plus de 600 mètres de profondeur et est situé à proximité du Parc National de Lorentz et des derniers glaciers de l’île. Source : observatoire de la NASA, 2005   

Enjeux socio-économiques :
Sur le plan socio-économique plusieurs enjeux se présentent. Premièrement, l’appât du gain a poussé énormément de personnes à migrer pour travailler dans ces mines, à tel point que certaines communautés locales se retrouvent minoritaires dans leur propre région [3]. Toutefois, cela mine les principes organisateurs des sociétés mélanésiennes, au sein desquelles les liens de parentés, identités et relations sociales ont une importance non négligeable, et engendre d’importantes tensions entre communautés [3]. Dans certaines zones, les habitants avouent ne pas se sentir en sécurité et avoir peur de ces nouveaux « visages que nous ne connaissons pas » [3.1]. En outre, les disparités de revenus entre mineurs migrants et « autochtones » sont une autre source de tension.

 

À la mine Grasberg, certains dénoncent des conditions de travail « dignes de la colonisation » [4.1]. Le problème est que ces tensions érodent l’intégrité territoriale indonésienne, dont le séparatisme papou en est l’exemple le plus représentatif. Par ailleurs, les populations locales ne touchent presque aucun dividende émanant de l’exploitation minière prenant place sur leurs terres [4]. De ce fait, les minorités ne profitent que très peu de ces activités et certaines régions demeurent encore très pauvres [4]. Pour y remédier, le gouvernement indonésien a fait adopter en 2009 une loi stipulant l’obligation des entreprises d’effectuer la fusion et l’affinage des métaux au sein du pays, afin d’augmenter les retombées économiques pour les collectivités rurales. Celles-ci restent encore toutefois très inégalitaires [4].

Habitants locaux du site Timika en Nouvelle Guinée cherchant des crabes. La rivière de Timika est extrêmement polluée et contient des taux de mercure supérieurs à la moyenne [5]. Source : Time, 2017

Environnement :
En outre, ces migrations ont de graves conséquences sur l’environnement. Les besoins étant multiples, les moyens pour y répondre sont drastiques (ex: défrichage). De plus que la modification du paysage par l’élimination des forêts fluviales des basses terres favorise l’écoulement de sédiments résultant de résidus miniers dans les rivières environnantes [3]. Les dangers que cela représente sont divers : cumulé à la saison des pluies, ce facteur aggrave les risques d’inondation et contamine la faune et la flore, dont certaines populations locales se nourrissent [3][5]. Les enjeux environnementaux sont alors une menace directe à la santé et à la vie de celles-ci. Dans certains cas, les zones humides ne sont plus propres à la vie aquatique; à Kalimantan, 1.400 espèces animales et 15.000 végétales sont menacées; la riziculture l’est elle aussi puisque le riz pousse dans des eaux contaminées [4]. Dans plusieurs sites, les résidus miniers sont même relâchés au large des côtes [3].

Bien que ces dégâts soient dénoncés par de nombreuses ONG, les rapports de forces entre locaux et les firmes sont totalement asymétriques et toute poursuite judiciaire concernant la destruction des terres ne mène qu’à une militarisation plus intense de la zone [4]. Il est important de mentionner que l’État indonésien a fait plusieurs tentatives de réformes à ce sujet afin de venir en aide sa population. En 1999, la loi 41/1999 interdit l’exploitation de certaines zones protégées. Toutefois, sous pression des grandes firmes, ces lois ont été modifiées une première fois en 2004 (13 projets d’exploitation représentant 682.000 hectares de forêts ont eu l’aval du gouvernement indonésien) et de nouveau en 2007 et 2008, permettant aux exploitations de taille importante de miner des zones considérées comme protégées [2].

Pour conclure, nous pouvons dire que s’il y a une telle ambivalence dans les agissements du gouvernement indonésien c’est bien parce qu’il est compliqué pour un pays en développement d’accorder ses intérêts économiques et les besoins de sa population. Les lois en faveur de celle-ci doivent être révisées et ne pas céder au bon vouloir des acteurs externes. L’Indonésie doit faire un choix : les droits de quel acteur comptent le plus ?

Nombre de mots: 990

[3.1] Banks, Paull et Mockler 2005, 3
[4.1] Mottet, Lasserre et Courmont 2015, 85

Bibliographie : 

[1] Courmont, Barthélémy. 2015. « Le difficile contrôle des exploitations minières en Indonésie », Géoéconomie, vol 3, (no 75) : 93-108.

[2] Spiegel, Samuel J.. 2012. « Governance Institutions, Resource Rights Regimes, and the Informal Mining Sector: Regulatory Complexities in Indonesia », World Development, vol 40, (no 1) : 189–205.

[3] Banks, Glenn, David Paull, Simon Mockler. 2005. « The social and environmental impact of mining in Asia-Pacific : the potential contribution of a remote-sensing approach », Resource management in Asia-Pacific, (no 60) : 1-22

[4] Mottet, Éric, Frédéric Lasserre, Barthélémy Courmont. 2015. « Chapitre 3 : Indonésie les défis d’un archipel minier » Dans Géopolitique des ressources minières en Asie du Sud-Est : trajectoires plurielles et incertaines : Indonésie, Laos et Vietnam : 38-70.

[5] Limboing, Daniel, Jeims Kumampung, Joice Rimper, Takaomi Arai, Nobuyuki Miyazaki. 2003. « Emissions and environmental implications of mercury from artisanal gold mining in north Sulawesi, Indonesia », The Science of the Total Environment, (no 302) : 227-236

 

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