Démocratie en Malaisie : Une progression lente, mais constante

Par Jeffrey Aubin

Dans une région où la démocratie peine à avancer, et où elle a même parfois connu un recul au cours des dernières années, la Malaisie semble représenter l’exception. En effet, de 2018 à 2019, la démocratie y a connu une forte progression selon l’index démocratique du journal The Economist (The Economist Intelligence Unit 2020). Selon la théorie analysée lors du dernier article sur Singapour, cette démocratisation serait vraisemblablement reliée au développement économique du pays. La Malaisie a connue une forte croissance économique depuis son indépendance de l’Angleterre, et est maintenant le deuxième pays avec le plus grand PIB par habitant de l’Asie du Sud-Est avec environ 9 812$. Cela a été atteint grâce à une économie diversifiée et un taux de croissance élevé, à 5,5% de moyenne depuis 2010, permettant au pays d’être près du seuil le qualifiant de pays à haut revenu, soit 12 000$ (Ministère de l’Économie et des Finances 2018).

Photo : Célébrations de la fête nationale en Malaisie
Crédit : Vemon Chan-Flickr, Arkib Negara et Ong See Fook, Penang Monthly, novembre 2016

État de la démocratisation en Malaisie

La Malaisie est donc près d’atteindre le niveau suggéré par Boix et Stokes (2003, 537-38) comme étant le point de départ d’un changement politique rapide devant installer une démocratie en trois ans. Si cette marque s’est révélée sans importance au Singapour, elle semble avoir plus de chances d’enclencher cette fameuse démocratisation dans ce cas-ci. Le pays, qui est une semi-démocratie depuis les années 1990, a longtemps été dirigé par le même parti grâce aux politiques anti-démocratiques de celui-ci visant à restreindre le pouvoir des partis d’opposition et de la société civile (Case 1995, 185). Cependant, le pays a récemment connu des percées démocratiques, notamment lors des élections de 2018 qui ont vu le parti dominant être vaincu, donnant lieu à la première alternance de pouvoir de l’histoire de la Malaisie (Tsu Chong 2018, 110-11).

La théorie est-elle donc vraie? Le développement économique est-il ce qui est responsable de la démocratisation en Malaisie? Cela semble tout à fait plausible. Effectivement, il se peut bien que ce ne soit pas une coïncidence que la démocratisation s’accélère au même moment que la Malaisie s’approche de la barrière des 12 000$. Une analyse de cas portant sur le pays a d’ailleurs suggéré le développement économique avait permis à la classe moyenne de prendre de l’expansion et que la frustration de celle-ci envers les agissements du gouvernement avait fragilisé les dynamiques clientélistes présentes dans la politique malaisienne (Case 1995, 190). Cette fragilisation avait menée à une séparation du parti dominant et donc une augmentation de la compétitivité de l’espace politique (Case 1995, 189). On peut donc dire que, d’une manière quelque peu indirecte, la croissance économique était bel et bien à l’origine de la démocratisation en Malaisie.

La démocratie, un héritage britannique?

Cependant, il y a évidemment d’autres explications. L’une d’entre elles attribue le succès relatif de la démocratie en Malaisie aux Britanniques et à leur régime colonial. Selon cette vision, le tout a commencé avec la stratégie de diviser pour mieux régner employée par l’Angleterre en Malaisie. Cette stratégie consistait à profiter de et à encourager la compétition entre les Malais et les Chinois, les deux ethnies dominantes au sein de la nation (Case 1995, 184). C’est un peu comme si tes parents, voulant avoir la paix, faisaient tout pour détruire la complicité entre toi et tes frères et sœurs pour ne pas que vous fassiez trop de mauvais coups ensemble. On pourrait s’attendre alors, dans une telle situation, que le retrait des Britanniques causent une lutte pour le pouvoir entre les deux ethnies et donc à moins de démocratie. Pourtant, sous ce régime, les élites malaises et chinoises ont mis en place une tradition de consultation et de représentativité pour faciliter les compromis et l’harmonie entre les deux camps (Case 1995, 184). Grâce au retrait pacifique de l’Angleterre, ces traditions sont restées en place et ont permis à la Malaisie de devenir moins autoritaire que ses voisins (Case 1995, 185).

Une question d’opportunité

Compte tenu de la grandeur de l’empire britannique, la Malaisie n’est bien évidemment pas le seul pays de l’Asie du Sud-Est à avoir été colonisé par l’Angleterre. Ce n’est pas non plus le seul pays à s’être bien développé économiquement. Qu’est-ce qui lui a donc permis de connaître une démocratisation constante depuis l’indépendance, devenant ainsi l’exception démocratique de la région? C’est en effet le pays le plus démocratique de la région après le Timor oriental (The Economist Intelligence Unit 2020), un État qui est encore jeune n’ayant obtenu leur indépendance qu’en 2002. Tout d’abord, il faut prendre en considération la division qui s’est opérée au sein du parti dominant et qui a permis à un dirigeant dynamique de se présenter comme opposition principale demandant la démocratie. Les changements socioéconomiques seraient donc bénéfiques, mais ce serait la particularité des élites politiques malaisiennes qui aurait permis au pays de devenir une semi-démocratie qui continue de progresser. En d’autres mots, la démocratisation n’est pas amenée par des causes, mais par des personnalités poussant pour le changement (Case 1995, 195). Il y aussi une question de chance puisque la fenêtre d’opportunité de démocratisation en Malaisie a coïncidé avec un contexte régional indiquant que la démocratie était le meilleur chemin disponible (Case 1995, 197). C’est tout cela qui distingue cette nation du Singapour, deux cas pourtant à priori très similaires (Slater 2012, 19). La Malaisie, le seul pays de l’Asie du Sud-Est à être plus démocratique en 2019 que n’importe quand auparavant (The Economist Intelligence Unit 2020), est donc réellement une exception dans la région.

Malaisie : Kuala Lumpur, capitale cosmopolite

Photo : Vue des tours Petronas à Kuala Lumpur
Crédit : Beeboys, Routard.com, Date inconnue

Bibliographie

Boix, Charles, et Susan Carol Stokes. 2003. « Endogenous Democratization ». World Politics 55 (no 4) : 517-49.

Case, William. 1995. « Semi-Democracy in Malaysia : Withstanding the Pressures for Regime Change ». Pacific Affairs 66 (no 2) : 183-205.

France. Ministère de l’Économie et des Finances. 2018. Malaisie. En ligne. https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/MY/situation-economique-et-financiere (page consultée le 21 mars 2020)

Slater, Dan. 2012. « Southeast Asia : Strong-state Democratization in Malaysia and Singapore ». Journal of Democracy 23 (no 2) : 19-33.

The Economist Intelligence Unit. 2020. Democracy Index 2019. En ligne. http://www.eiu.com/Handlers/WhitepaperHandler.ashx?fi=Democracy-Index-2019.pdf&mode=wp&campaignid=democracyindex2019 (page consultée le 14 mars 2020)

Tsu Chong, Chan. 2018. « Democratic Breakthrough in Malaysia : Political Opportunities and the role of Bersih ». Journal of Current Southeast Asian Affairs 37 (no 3) : 109-37.

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