La Malaisie: Comment plaider la cause des femmes invisibles?

Par Georgina Kakoseos Marko 

Une femme propriétaire d’une petite entreprise informelle à Malaisie. Photo par Firdaus Roslan.

Les femmes Malaisiennes connaissent de nombreux défis dans le domaine de l’économie informelle. Il se défini comme un secteur clandestin où les activités économiques ne sont pas enregistrées, et la majorité des employés sont des femmes [1]. Ainsi, les entreprises évitent des obligations fiscales et les travailleuses manquent de sécurité sociale et d’autres réglementations [2]. Comment fait-on pour affirmer les droits de ces travailleuses, quand elles ne sont pas reconnues par l’État Malaisien bien qu’elles contribuent de manière significative à l’économie nationale ?[3] Quand les injustices qu’elles subissent sont produites par une intersection du marché mondial libéral, un État répressif et une société misogyne ? [4]

En Malaisie, le plus courant travail pour les femmes dans le secteur informel, est le travail autonome comme des vendeuses de rue et le travail domestique[5]. Les droits, ou plutôt le manque des droits, du travail sont le résultat complexe du passé colonial du pays et de la mondialisation contemporaine. L’État Malaisien impose des restrictions sur la formation des syndicats, basées sur des lois issues de l’administration coloniale Britannique [6]. Dans les années 1970-1990, l’objectif des restrictions était plutôt de sauvegarder l’avantage compétitif de la Malaisie [7], à savoir des revenus bas dans le secteur de la manufacture, étant aussi le plus grand employeur des femmes [8].

Malgré les tentatives de l’État, l’industrie manufacturière était de plus en plus délocalisée vers des pays plus pauvres tandis que l’économie malaisienne se développait. Cela ne laisse pas d’autre choix à la main-d’œuvre, précédemment employée, que de s’engager dans l’économie informelle, où il est encore plus difficile d’obtenir des droits. Les salaires sont très bas car il y a une sous-évaluation sociétale du travail des femmes [9]. De plus, ces emplois sont dépourvus de sécurité sur le long terme et de protections sociales, comme une assurance médicale [10]. L’État rassemble peu de données sur le rôle de des femmes dans l’économie informelle pour le plus grand bénéfice de l’économie malaisienne. Ainsi, le travail de ces femmes est très certainement sous-estimé [11].

En raison des bas salaires, elles doivent consacrer plus d’heures de travail pour obtenir un montant suffisant pour la fin du mois. Cette charge importante de travail est un obstacle à un engagement supplémentaire qui pourraient leur permettre d’améliorer leur condition de travail. En d’autres mots, les travailleuses n’ont ni le temps ni l’énergie de former des syndicats, même dans le cas où cela pourrait être une option.

À cause de leur situation particulière avec l’intersection des structures oppressives mentionné plus haut, les femmes qui travaillent dans cette économie informelle n’ont rien structure de protection officielle, ni par l’État, ni par les syndicats. Il ne suffit pas d’engager les syndicats, parce que l’État ne les considère comme des vraies travailleuses [12]. De plus, les syndicats qui existent sont dominés par une culture patriarcale, ce qui a conduit les femmes syndicalisées à préférer collaborer avec des ONG féministes [13]. Par cette culture patriarcale, les travailleuses malaisiennes sont seulement perçues comme des épouses et des mères par les travailleurs masculins. Ainsi, les syndicats, étant dominés par les hommes, elles ont peu de voix et aucun des postes de direction [14].

Shalini Sinha, chef de WIEGO. Photo par Rashmi Choudhary.

Un exemple d’une ONG féministe est l’organisation WIEGO, « Women in Informal Employment : Globalizing & Organizing », est considéré comme l’un des plus efficaces réseaux travaillant avec ce groupe spécifique. Avec ce mode de travail unique, le WIEGO a réussi à faire entendre sa voix dans un contexte de gouvernance mondiale, bien qu’ayant commencé comme un mouvement auto-organisé [15].

Dans une interview avec Shalini Sinha, la chef du WIEGO, décrit la coopération de leurs missions avec les organisation prénommées MBOs (Member Based Organisations). Elles ont été créées et sont dirigées par les travailleuses eux-mêmes. Le WIEGO crée des liens entre les MBOs et le mouvement mondial, de même qu’il engage des chercheurs pour mieux documenter la situation avec des statistiques afin de compenser le manque de données étatiques [16]. De cette manière, ils évitent les préjugés occidentaux des ONGs ainsi que les structures patriarcales des syndicats.

Néanmoins, il est important de ne pas trop glorifier les mouvements de base, car il existe toujours des hiérarchies internes [17].  De plus, les défis auxquelles les travailleuses font face ne sont pas éliminés par des réseaux : ils font partie d’un système capitaliste mondial et d’une logique patriarcale. Malgré cette dimension-là, demeure la question de l’aide véritablement apportée par le travail des organisations comme le WIEGO pour les femmes invisibles, et le support pour qu’elles puissent s’organiser d’une manière autonome pour leurs droits futurs.

 

[1] Shanthi Thambia et Tan Beng Hui, p. 214.

[2] Définition par ILO.

[3] Shanthi Thambia et Tan Beng Hui, p. 214.

[4] Jean Grugel et Anders Uhlin, p. 1708.

[5] Shanthi Thambia et Tan Beng Hui, p. 214.

[6] Chee Heng Leng et Cecilia Ng Choon Sim, p. 119.

[7] Chee Heng Leng et Cecilia Ng Choon Sim p. 122.

[8] Shanthi Thambia et Tan Beng Hui, p. 215.

[9] Shanthi Thambia et Tan Beng Hui, p. 213.

[10] Shanthi Thambia et Tan Beng Hui, p. 221.

[11] Voir Anja K. Franck et Jerry Olsson, « Missing Women? The Under-Recording And Under-Reporting Of Women’s Work In Malaysia ».

[12] Voir Lea Goelnitz. 2018. « Unheard, Unseen, Unrecognized : Women In Informal Employment ».

[13] Voir Vicky Crinis, 2008. « Malaysia : Women, labour activism and unions ».

[14] Voir Vicky Crinis, 2008. « Malaysia : Women, labour activism and unions ».

[15] Jean Grugel et Anders Uhlin, p. 1711.

[16] Voir Lea Goelnitz « Unheard, Unseen, Unrecognized : Women In Informal Employment ».

[17] Jean Grugel et Anders Uhlin, p. 1711.

 

Bibliographie

Crinis, Vicky. 2008. « Malaysia : Women, labour activism and unions ». Dans Kaye Boardbent et Michele Fords, dir., Women and Labour Organising in Asia : Diversity, Autonomy and Activism. London : Routledge, 50-65.

Goelnitz, Lea. 2018. « Unheard, Unseen, Unrecognized : Women In Informal Employment ». Fes-Asia.Org. En ligne. https://www.fes-asia.org/news/unheard-unseen-unrecognized-women-in-informal-employment/ (page consultée le 23 février 2019).

Grugel, Jean, et Uhlin, Anders. 2012. « Renewing Global Governance : Demanding Rights And Justice In The Global South ». Third World Quarterly 33 (9) : 1703-1718.

Heng Leng, Chee, et Ng Choon Sim, Cecilia. 1997. « Economic Restructuring in Malaysia. Implications for Women Workers ». Dans Isa Baud et Ines Smyth, dir., Searching For Security : Women’s Responses To Economic Transformations. London : Routledge, 107-131.

ILO. 2001. « OECD Glossary Of Statistical Terms – Informal Sector. ILO Definition ». Stats.Oecd.Org. En ligne. https://stats.oecd.org/glossary/detail.asp?ID=1350. (page consultée le 3 avril 2019)

Karlsson Franck, Anja, et Olsson, Jerry. 2014. « Missing Women? The Under-Recording And Under-Reporting Of Women’s Work In Malaysia ». International Labour Review 153 (2) : 209-221.

Pallas, Christopher L. 2010. « Good morals or good business? NGO advocacy and the World Bank’s 10th IDA » dans Eva Erman et Anders Uhlin, dir., Legitimacy Beyond the State? Re-examining the Democratic Credentials of Transnational Actors. Basingstoke: Palgrave.

Thambiah, Shanthi, et Hui, Tan Beng. 2018. « Globalization and Increased Informalization of Labor : Women in the Informal Economy in Malaysia » Dans Najafizadeh Mehrangiz et Linda Lindsey, dir., Women Of Asia : Globalization, Development, And Gender Equity. New York : Routledge.

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